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Une baisse d’impôt serait-elle vraiment utile actuellement ?

Les promesses de baisse d’impôt se succèdent depuis le début de la campagne électorale, les caquistes, les libéraux et les conservateurs en ayant déjà fait des engagements formels. Mais une question demeure : est-ce la bonne manière de venir en aide aux Québécois en plein contexte inflationniste ? Non, répondent la plupart des experts interrogés par La Presse.

« On profite de la situation qui est la campagne électorale pour donner des bonbons, mais dans le fond, c’est une espèce d’opportunisme qui ressemble plus à de la vieille politique qu’à autre chose. Il serait possible d’être beaucoup plus imaginatif que ça, pour aider le vrai monde », lance le fiscaliste André Lareau, professeur associé à la faculté de droit de l’Université Laval.

Dans son « bouclier anti-inflation », la CAQ de François Legault promet en effet une baisse de 1 % des deux premiers paliers d’imposition, dès 2023, une économie annuelle pouvant aller jusqu’à 810 $. Le PLQ de Dominique Anglade, lui, promet une baisse de 1,5 % des deux premiers paliers d’imposition, ce qui représente jusqu’à 1125 $ par année. Dans le premier cas, la mesure dégagerait autour de 1,8 milliard en baisses d’impôt, chaque année. Et dans le second, ce serait 2,5 milliards. Éric Duhaime, lui, propose une réduction de deux points de pourcentage des deux premiers paliers d’imposition, mais n’a pas dévoilé combien cela coûterait à l’État québécois.

Mais une baisse d’impôt « ne cible pas les bonnes personnes », estime M. Lareau. Il rappelle que « même ceux qui gagnent plus de 200 000 $ auront une baisse d’impôt alors que, soyons francs, ils n’en ont pas vraiment besoin, ou du moins, beaucoup moins ».

« Si on veut vraiment avoir un impact, alors arrivons avec des mesures ciblées pour ceux qui sont dans le besoin. Arrêtons de dire que tout le monde a des besoins identiques, ce n’est pas vrai. »

— André Lareau, professeur associé à la faculté de droit de l’Université Laval

Un point de vue partagé

D’autres experts partagent son point de vue. Car entre juillet 2021 et juillet 2022, les salaires ont grimpé un peu plus vite que l’inflation au Québec. (+8 % pour le salaire horaire moyen, contre +7,3 % pour l’inflation.) Les plus vulnérables, de ce point de vue, pourraient donc probablement être mieux servis par un crédit de solidarité, ou une aide directe, affirment certains observateurs.

« La baisse d’impôt n’est pas le bon moyen pour redonner de l’argent à ceux qui en ont vraiment besoin. On le sait que ce n’est pas une bonne manière, pour la simple et bonne raison que ces gens-là ne paient pas assez d’impôts », affirme Olivier Jacques, professeur en politiques publiques à l’Université de Montréal.

Tant François Legault que Dominique Anglade plaident que cette baisse d’impôt aidera à lutter contre l’inflation. Mais comme l’a rappelé mercredi le chroniqueur de La Presse Paul Journet, il s’agit d’une « solution récurrente à un problème temporaire », qui risque même au contraire d’aggraver le problème de la hausse du coût de la vie, en stimulant la demande.

Plus d’argent, ou plus de services ?

Olivier Jacques rappelle aussi qu’une baisse d’impôt est toujours une forme de « troc » d’avantages et d’inconvénients, que le public oublie parfois de considérer. « On redonne de l’argent aux gens, certes, mais ça veut dire qu’ils auront moins de services publics. C’est un choix collectif qu’on fait en baissant les impôts », poursuit M. Jacques.

Qui plus est, avec une baisse d’impôt, l’État « se prive de revenus » sans aborder « l’augmentation des dépenses publiques », poursuit le professeur. De 2022-2023 à 2024-2025, celles-ci doivent en effet respectivement augmenter de 2,4 %, 3,4 % et 2,6 %, selon les dernières projections gouvernementales.

La cheffe libérale Dominique Anglade l’avait d’ailleurs clairement évoqué en point de presse : selon elle, ce ne sont pas les contribuables qui doivent payer pour la hausse du coût de la vie, mais bien l’État. « Il y a un message qui est très clair : on ne veut pas que ce soit les Québécois qui s’endettent versus le gouvernement », avait-elle soutenu.

Mais André Lareau prévient : « En période d’inflation, baisser les impôts, ce n’est pas la recette magique. » « On a une dette importante, et l’intérêt sur la dette va croître, quoi qu’on en dise », soulève-t-il.

À l’Université de Montréal, l’économiste Michel Poitevin soulève enfin que la baisse d’impôt au Québec ne sera que « partielle ». « N’oublions pas qu’on a aussi l’impôt fédéral qui continue de s’imposer et qui, lui, ne changera pas dans l’immédiat. La fiscalité n’est jamais un sujet facile, mais promettre une baisse d’impôt, ça touche tout le monde, même les riches », conclut-il.

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