Pascale Bérubé

Femme du futur

Pascale Bérubé a publié des textes dans des collectifs – comme Pauvreté (Triptyque, 2021) et Zodiaque (La mèche, 2019) – des poèmes dans la revue Estuaire et sur Facebook, terrain propice à l’expérimentation. Trop de Pascale est son premier livre solo, une venue au monde poétique surprenante dans la Collection queer de Triptyque.

L’écriture tentait Pascale Bérubé depuis sa lecture, il y a quelques années, des livres d’Élise Turcotte (Le bruit des choses vivantes) et de Karoline Georges (Ataraxie). Mais c’est à la suite d’une résidence d’écriture en 2019 que « sa » livre – elle préfère cette appellation incontrôlée qui déjoue les codes – a émergé peu à peu.

« J’ai écrit 40 pages que j’ai retravaillées afin de trouver la bonne facture littéraire et une homogénéité qui transcendent ce que je fais sur Facebook. Ce réseau social est comme une seconde peau pour moi. Le virtuel me nourrit, mais cela a des limites. »

Le titre de sa publication s’est imposé en résidence lors d’un exercice prenant la forme de huis clos.

« Le trop du titre c’est l’hyperprésence de femmes qui entrent en moi et en sortent. Cela renvoie aux reflets et au mimétisme. »

« Au cinéma, celles qui veulent emprunter la personnalité d’autres femmes m’ont toujours intéressée, comme le fait d’endosser plusieurs costumes identitaires. »

— Pascale Bérubée

Son intérêt pour la féminitude, les arts visuels et l’image domine dans son œuvre, tout comme les thèmes de l’estime de soi, du regard d’autrui et des émotions à fleur de peau. Fascinée par l’artiste de performance Marina Abramović, Pascale Bérubé a fait de son corps un outil artistique.

« Instinctivement, je ressentais ce besoin de m’installer physiquement dans une pratique. Le corps reste relié à l’écriture parce que je crois que tout ce qui précède un poème est une performance. S’il n’y avait pas de corps ou de présence au monde, il n’y aurait pas de texte. »

Nelly Arcan

La proximité avec l’œuvre de Nelly Arcan est également indéniable. Il y est question des concepts du paraître versus ceux de l’intellect, de la beauté et de la laideur.

« Je m’y retrouve dans le refus qu’on oppose à des femmes qui n’entrent pas dans le moule. Dans ma livre, je ne suis pas dans le jugement face à la beauté ou à la perception qu’on en a. Je vis cette remise en question tous les jours. Ce qui m’habite, c’est de me définir par moi-même sans avoir de comptes à rendre à personne. »

Elle dénonce en ce sens les réactions fort négatives exprimées récemment face à la « nouvelle » Madonna, comme si la chanteuse appartenait à tout le monde sauf à elle-même.

« On cherche à enfermer les femmes dans un couloir très étroit. Pourquoi une femme ne pourrait pas se raser les sourcils et le crâne pour explorer et se présenter telle une toile vierge ? C’est beau de voir une femme de son âge expérimenter et créer. Les femmes ont le droit d’exister dans leur propre regard, n’en déplaise à certains hommes. Tant mieux si les jeunes générations peuvent s’émanciper de cette façon. » 

Dans tout ce qu’elle laisse émerger en écrivant, Pascale est Pascale, mais pas trop, ni tout le temps. Son écriture au « je » peut s’avérer trompeuse, et ce, volontairement. L’autrice aime maintenir une distance face à son « personnage », même si on a l’impression d’avoir accès à sa vie personnelle en la lisant.

« J’exagère sûrement, le langage est un matériel d’exagération, d’amplification de la matière, tout comme les fards cosmétiques ou les vêtements, comme le cri qu’on préfère au murmure », écrit-elle.

Contours flous

Pascale Bérubé crée sur un fil ténu entre la vraisemblance de révélations intimes et la femme qui préférerait bien souvent rester anonyme.

« D’un point de vue créatif, c’est stimulant d’être le contour de quelque chose qu’on n’arrive pas à distinguer parfaitement. J’aime dire que la femme qu’on voit sur mes photos est une actrice que j’ai engagée ou encore une intelligence artificielle. »

« Qu’est-ce que l’authenticité ? On peut être une personne fausse et, en même temps, authentique telle qu’on le constate sur les réseaux sociaux. »

— Pascale Bérubé

En fait, le « je » n’existerait pas puisqu’il reste en constante métamorphose. Ce qui ne change pas, ce sont les sentiments qu’elle a pour sa mère, disparue en 2022.

« C’est une livre qui appartient aussi à ma mère. Tous les miroirs présents dans la Trop, elle les habite aussi. Ce sont des souvenirs tendres. »

Trop de Pascale n’a cependant rien d’une œuvre nostalgique ou replète de traumatismes. Pascale Bérubé, femme d’aujourd’hui et du futur, a écrit « une » livre pour parler aux autres femmes, à toutes les femmes.

Pas assez de Pascale(s).

Trop de Pascale

Pascale Bérubé

Triptyque, collection queer

126 pages

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