enquête défection à montréal

La longue cavale de deux espoirs cubains

Juillet 2017. Deux joueurs de baseball cubains en tournée au Québec avec leur équipe nationale junior choisissent Montréal pour faire défection. En pleine nuit, ils se sauvent du dortoir du cégep Ahuntsic, où ils sont hébergés. Leur plan : quitter Cuba à jamais pour tenter leur chance dans les ligues majeures. À 17 et 18 ans, ils laissent derrière eux famille, amis et patrie. Depuis un an, La Presse suit leur cavale de Montréal au Costa Rica, où nous les avons rencontrés. 

Une enquête de Gabrielle Duchaine, de Simon-Olivier Lorange et d’Olivier Jean

Chapitre 1

La fuite

Le mercure vient à peine de descendre sous la barre des 24 degrés au parc de baseball Clair Matin de Saint-Eustache. Il fait chaud. L’humeur est à la fête.

Les gradins sont déjà bien remplis et l’équipe locale est sur place. Mais les étoiles du jour se font attendre.

Nous sommes le 11 juillet 2017. C’est soir de match entre les Bisons de Saint-Eustache et l’équipe nationale junior de Cuba, au Québec depuis une dizaine de jours pour une tournée promotionnelle.

Les jeunes stars cubaines, les meilleurs joueurs de leur pays, ont déjà disputé six parties sans anicroche, de Charlesbourg à Granby en passant par Longueuil. Les garçons ont serré des mains. Ils ont posé, sourire aux lèvres, à côté d’élus municipaux. Ils ont participé à toutes sortes d’évènements publics.

Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, ils sont en retard. En fait, ils ont failli ne pas venir du tout.

Il n’y a pas que la foule patientant sous un soleil encore brillant qui a chaud. Derrière un opaque rideau de secret et une intense opération de relations publiques se déroule une crise majeure au sein de l’équipe invitée.

Une crise qui risque de jeter la honte et le discrédit sur ses responsables et qui aura des échos politiques.

Une crise qui nous mènera sur les traces de deux jeunes fugitifs, de Montréal à Hamilton, jusqu’au Costa Rica, et qui mettra en lumière au passage une intrigante alliance de transfuges cubains, tous d’ex-joueurs de baseball qui ont refait leur vie en Amérique du Nord.

Inconscients de ce drame dont les premiers chapitres s’écrivent à l’instant sous leurs yeux, les spectateurs attendent. Et les Bisons aussi.

C’est finalement avec une heure de retard, en silence et la tête basse qu’athlètes et entraîneurs arrivent au terrain.

Sur la liste des joueurs en uniforme, deux noms ont été retirés.

***

À part leur nationalité et leur passion pour le baseball, Yorkislandi Álvarez et Pablo Enrique Gonzalez n’ont à première vue pas tellement de choses en commun.

Ils ont grandi à des centaines de kilomètres l’un de l’autre. Ils viennent de milieux et de groupes ethniques différents. Le destin en fera pourtant bientôt des frères d’aventure.

Le premier, Yorkis pour les intimes, un grand mince aux traits caucasiens de 18 ans, est né de parents extrêmement pieux, fort engagés dans la vie de leur église.

Il a passé son enfance à Artemisa, ville de 90 000 habitants située complètement dans l’ouest de Cuba. Le garçon a foulé très jeune les terrains de baseball. Il rêvait d’être un arrêt-court. Une position qu’il réussira à occuper au sein de l’équipe nationale junior de son pays, faisant de lui la fierté de sa famille et de sa patrie.

« Mon père voulait être un arrêt-court, mais il n’a pas réussi. J’essaie de suivre ses traces », nous confiera d’ailleurs le jeune homme lors d’une rencontre en mai 2018.

Le second, Pablo, vient de la province très touristique de Villa Clara, à plus de quatre heures de route de chez son coéquipier. À 17 ans, court sur pattes, la peau foncée, il est le benjamin d’une famille de cinq enfants. Le jeune receveur a appris les rudiments du baseball dans un champ près de chez lui, et il aspire lui aussi à réussir de grandes choses.

Les deux garçons se rencontrent dans les hauts lieux du baseball cubain. Ce n’est qu’une fois membres de l’équipe nationale qu’ils deviennent amis. Très amis, nous diront-ils.

Pas surprenant, alors, qu’ils se retrouvent à partager une chambre lors de la tournée québécoise de l’été 2017.

***

Dans leur chambre des résidences étudiantes du cégep Ahuntsic à Montréal, où l’équipe cubaine a établi ses quartiers, Pablo et Yorkis ne dorment pas. 

Pablo a reçu un appel sur son cellulaire. Un appel d’un homme qu’il dit ne pas connaître. Un homme qui, en quelques courtes phrases, a offert de changer à jamais le cours de sa vie et de celle de son cochambreur.

Nous sommes le 8 juillet 2017, trois jours avant le match à Saint-Eustache.

Les garçons sont à des milliers de kilomètres de chez eux. Ils sont loin de leur famille, dans un pays qui leur est inconnu. Et ils n’ont jamais réfléchi aussi vite.

Au bout du fil, l’homme, un Cubain d’origine selon eux, s’est identifié sous le pseudonyme de Padrino. Parrain, en français.

Il leur a expliqué, en espagnol, les avoir vus jouer à Cuba sur des vidéos. Ils ont une chance, croit-il, de percer dans les ligues majeures.

Mais pour y arriver, il faut faire défection. Quitter Cuba à jamais. Mettre une croix sur leur famille, leurs amis, leur copine. Et faire confiance à quelqu’un dont ils ne savent rien.

Comme beaucoup de leurs compatriotes, les deux athlètes aspirent discrètement à une vie nord-américaine et à une carrière professionnelle. Puisque les athlètes cubains, en raison de l’embargo commercial américain, n’ont pas le droit de signer un contrat avec des équipes majeures lorsqu’ils vivent à Cuba, la seule solution est de partir.

Mais pour l’instant, ce n’est pour eux qu’une utopie lointaine. Ils n’ont pas de plan précis et ils ont laissé Cuba il y a 10 jours certains de rentrer à la maison au terme du voyage.

Deux jours

Padrino leur donne deux jours pour décider. S’ils se font prendre, ils risquent d’être bannis à vie de leur sport.

Pablo, le plus jeune, appelle sa mère dans le plus grand secret. Personne – ni les entraîneurs, ni le personnel, ni les autres joueurs – ne doit savoir ce qui se trame.

À sa maman, l’adolescent avoue tout.

« Elle m’a dit de bien mesurer les conséquences de ma décision. Elle m’a dit qu’elle m’appuierait, quoi que je décide », nous confiera un an plus tard le garçon lorsque nous le rencontrerons au Costa Rica.

Yorkislandi, lui, hésite à prévenir ses proches avant de faire le grand saut. Il a peur de leur réaction.

Ce n’est finalement qu’après avoir pris la fuite qu’il parlera à sa mère. 

« Au début, elle a eu peur, mais elle a compris que c’était le mieux pour moi quand je lui ai expliqué. »

— Yorkislandi Álvarez

Le lendemain de l’appel du mystérieux Cubain, l’équipe joue à Coaticook et le duo n’a d’autre choix que de suivre.

Le surlendemain, le lundi 10 juillet, c’est congé de baseball. L’équipe en profite pour magasiner, puis passe la soirée à se reposer aux résidences du cégep Ahuntsic.

Les deux jeunes hommes y voient leur chance. Le sablier est presque écoulé. Les deux jours de réflexion tirent à leur fin. Ils tentent le tout pour le tout.

Fébriles, les garçons contactent Padrino, qui leur donne le feu vert. Par message texte, Pablo reçoit une photo de celui qui les attend et la couleur de la voiture dans laquelle ils doivent monter.

Ils n’ont le temps que de prendre un petit sac à dos chacun, laissant tout le reste derrière, et sortent en silence.

Dans les autres chambres, certains dorment déjà, alors que d’autres essaient les nouveaux vêtements qu’ils ont achetés. Yorkis et Pablo profitent de cette distraction pour s’esquiver sans attirer l’attention.

Dehors, dans la nuit claire de la ville, ils se mettent à courir vers une voiture garée rue Saint-Hubert.

Ils s’y engouffrent et le véhicule disparaît dans Montréal.

Chapitre 2

La panique

Antoine Desrosiers n’est pas encore sorti de sa chambre que déjà, il remarque que quelque chose ne va pas.

Alors que les Cubains dont il est responsable frappent quasi quotidiennement à sa porte dès l’aube pour lui demander un service ou un autre, ce matin, c’est silence radio.

Le Québécois agit à titre de secrétaire de route pour l’équipe d’étoiles depuis bientôt 10 jours. Il est leur personne-ressource. Il les accompagne partout. Il mange avec eux et dort où ils dorment.

Il commence à connaître leurs habitudes.

Et aujourd’hui, en ce mardi 11 juillet 2017, justement, l’ambiance n’est pas comme d’habitude.

« Je n’avais pas eu de bonjour, personne ne me demandait rien. Je n’ai pas posé de questions et je suis descendu. »

Dans l’aire commune des résidences du cégep Ahuntsic partagée par les joueurs et employés de l’équipe cubaine, l’ambiance est particulièrement « spéciale », remarque Antoine.

Il comprendra vite pourquoi.

Complètement affolé, un des responsables de l’équipe le prend à part. Deux joueurs, annonce-t-il, manquent à l’appel.

Au petit matin, des entraîneurs ont découvert la chambre de Pablo et Yorkislandi vide. Ils n’ont laissé aucune explication.

Dans un accès de colère, les coachs ont emballé tout ce que les garçons avaient laissé derrière : vêtements, équipement, objets personnels, et ont tout envoyé à la poubelle.

Ils « sont sur la panique », décrit Antoine Desrosiers. 

« Ils étaient arrivés ici avec 21 joueurs et ils allaient repartir à 19. Eux, c’était vraiment ça qui les inquiétait. Ils sentaient qu’ils trahissaient leur patrie. [Le baseball] c’est super important là-bas. Ils allaient devoir rendre des comptes après ça. »

— Antoine Desrosiers, secrétaire de route de l’équipe cubaine

Les défections sont assez courantes chez les baseballeurs cubains, et l’équipe a tout fait pour qu’une telle situation ne se produise pas.

Ils sont 10 adultes pour 21 athlètes.

Les gens de Baseball Québec les ont vus réquisitionner les passeports dès les douanes passées à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.

Ils surveillent les joueurs jusque dans la salle de bains, racontera, ébahi, l’entraîneur d’une des équipes québécoises qui les a affrontés.

Et pourtant… En voilà deux qui ont pris le large. Et au Canada en plus. Un chemin hautement inhabituel pour des déserteurs cubains. Ces derniers passent généralement par des pays d’Amérique du Sud depuis l’abolition par le président Obama d’une politique qui accordait jusqu’à l’an dernier un droit de résidence à tout Cubain mettant un pied sur le sol américain, comme l’explique Joe Kehoskie.

Cet ancien agent de joueurs aux États-Unis, qui a représenté de nombreux Cubains, est aujourd’hui consultant et expert de la question qui nous occupe. La fuite de Pablo et Yorkislandi à Montréal l’étonne un peu.

« De ce que j’en sais, ce sont les premières défections de joueurs de baseball cubains à survenir au Canada ou aux États-Unis depuis la fin de cette politique d’accueil. »

— L’ex-agent Joe Kehoskie, soulignant le caractère exceptionnel de l’incident

En même temps, « dans un tournoi junior comme celui-là, faire défection est aussi simple que de sortir du dortoir et de sauter dans une voiture. Il ne faut pas plus qu’un proche, un ami ou un agent pour réussir le coup ».

Il n’aurait pas cru si bien dire.

***

« Quoi ? » Dans sa voiture en route vers le bureau, Maxime Lamarche, directeur général de Baseball Québec, ne peut retenir cette exclamation en entendant la nouvelle. 

« Deux joueurs se sont sauvés, vient d’annoncer Antoine Desrosiers au bout du fil. Les responsables capotent. »

Maxime se met au téléphone. Un de ses premiers appels est à Raymond Boisvert, interprète français-espagnol des Capitales de Québec et ancien policier à la Gendarmerie du Canada (GRC). Il saura qui contacter.

Ce dernier avise la GRC et les services d’immigration « pour que ça soit signalé ». Il ne décèle toutefois que peu d’intérêt de la part des autorités.

Antoine se bute à la même réaction au poste de quartier 27 du Service de police de la Ville de Montréal, rue Fleury, où les entraîneurs cubains ont exigé qu’on les conduise. Durant tout le trajet, ils ont jeté des regards attentifs par la fenêtre dans une tentative désespérée de retrouver les disparus.

« Les policiers nous ont dit qu’ils voudraient bien faire quelque chose, mais que ça allait plus loin qu’un poste de police de quartier. Que c’était plus politique. »

— Antoine Desrosiers, secrétaire de route de l’équipe cubaine

Antoine essaie alors d’expliquer aux dirigeants de l’équipe que les deux fugitifs ont le droit d’être au Canada pour toute la durée du tournoi, auquel il reste encore neuf parties. Comme les autres joueurs, ils détiennent un visa étudiant valide 30 jours qui ne spécifie pas qu’ils doivent rester en compagnie du groupe. Impossible de lancer un avis de recherche.

Aux résidences, les responsables saisissent les téléphones cellulaires des 19 athlètes restants. Fini les appels en toute discrétion. Fini les réseaux sociaux. Fini les contacts avec le monde extérieur.

***

Maxime Lamarche est assis loin des regards avec les dirigeants cubains à une table à pique-nique dans le parc attenant au terrain de baseball des Bisons de Saint-Eustache.

En arrière-plan, les vedettes cubaines, la mine basse, ont fait leur entrée sur le terrain.

C’est un miracle que les joueurs y soient. L’équipe a failli tout annuler. Elle ne voulait pas jouer ce soir.

Elle a catégoriquement refusé de participer à l’entraînement des frappeurs.

« Tout a changé. Ils se sont mis à se méfier des étrangers, ils ne voulaient plus donner d’entrevues », raconte Antoine Desrosiers.

Lui aussi est au match. « Il a fallu se rendre à l’évidence que les gars ne reviendraient pas. » La mission que lui ont confiée les Cubains : « garder ça le plus secret possible ».

Les photographes de presse, qui devaient initialement avoir accès au banc des joueurs, s’en voient interdire l’accès sans explications.

Installé près du deuxième but, sur le terrain, le photographe de La Presse présent à l’évènement entend une discussion en espagnol. Il comprend que des joueurs ont fait défection. Questionné, Antoine ne peut que nier. « Fallait garder ça le plus low profile possible. C’est quand même deux jeunes qui disparaissent. Pour eux, c’était quand même assez inquiétant », expliquera-t-il un an plus tard. 

Mais en analysant la liste des joueurs en uniforme des dernières parties, il apparaît rapidement que deux noms n’y figurent plus : ceux de Yorkislandi Álvarez, 18 ans, arrêt-court et de Pablo Enrique Gonzalez, 17 ans, receveur.

C’est ici que nous nous lançons sur leur piste.

Chapitre 3

se faire oublier

Comme bien des jeunes de leur génération, Yorkis et Pablo sont férus des réseaux sociaux.

Ils y documentent toute leur vie : ce qu’ils mangent, ce qu’ils font, ce qu’ils portent et, bien sûr, tout ce qui touche au baseball.

La tentation est forte, même lorsqu’ils sont en cavale et qu’ils sont censés garder un profil bas pour ne pas attirer l’attention.

Voilà plus de 10 jours que les garçons ont fui Montréal. Leur équipe n’a trouvé aucune trace d’eux. Les entraîneurs ont tenté en vain de les joindre sur leur cellulaire et via l’internet, raconte Antoine Desrosiers.

« Après quelques jours, ils ont comme arrêté de les chercher. Ils avaient l’air de dire : “Vous avez voulu partir, ben correct. Arrangez-vous” », se rappelle Maxime Lamarche de Baseball Québec.

Le 22 juillet, jour du dernier match de l’équipe nationale junior au Québec, Pablo craque. Il ajoute sur sa page Facebook un égoportrait le montrant dans ce qui semble être un dépanneur ou une épicerie, un étalage vitré de produits surgelés derrière lui. Il porte une casquette des Blue Jays de Toronto.

Maxime Lamarche tente d’identifier l’endroit. Est-ce au Québec ? À Toronto ? Aux États-Unis ? Le cliché manque de détails.

Fin juillet, ce sont donc 19 membres de l’équipe cubaine sur les 21 arrivés un mois plus tôt qui montent dans l’avion pour La Havane.

Dès le lendemain, une autre photo apparaît en ligne. Cette fois, c’est Yorkislandi qui l’affiche sur Facebook.

On le voit assis, pouce en l’air, sur un banc, à côté de son compatriote. Les deux athlètes portent chemise et casquette de baseball arborant un logo des défunts Expos. Il s’agit en fait de l’uniforme des Expos de l’Ontario, une équipe junior élite.

C’est ainsi que nous retrouvons nos jeunes déserteurs dans la région d’Hamilton, à une heure à l’ouest de Toronto.

***

Marty Fraser remarque deux nouveaux visages sur le terrain.

Le courtier immobilier de Cambridge, en Ontario, est venu reconduire son fils aîné à Hamilton pour une activité des Expos, pour lesquels joue l’adolescent.

L’équipe manque cruellement de bras cette saison et l’entraîneur, Damian Blen, qui a lui-même fui Cuba à la fin des années 90 pour s’installer au Canada, a amené du renfort : un arrêt-court et un receveur. 

Une bénédiction. Surtout qu’ils sont bons, note l’agent d’immeubles. Bien plus que tous les autres joueurs.

Mais qui sont-ils ?

« La manière dont ça m’a été expliqué, c’est que ces garçons étaient venus au Canada avec un visa d’un an. Qu’ils jouaient à Montréal, mais que leur entraîneur là-bas avait trop de joueurs, alors il avait appelé Damian pour lui demander s’il en voulait. »

— Marty Fraser

C’est bien sûr inexact, mais l’histoire ne lui apparaît pas farfelue pour autant.

Depuis des mois, l’équipe tente de faire venir, légalement, quelques joueurs cubains pour l’été.

« Je sais que Damian a fait plusieurs fois des allers-retours à Cuba, mais qu’à la fin, ils n’ont pas réussi à amener des garçons au Canada. »

Que deux tombent du ciel, comme ça, c’est en soi une bonne nouvelle. Marty accepte de les héberger chez lui.

Ils y passeront le reste du mois de juillet et tout le mois de septembre – en août, les Fraser sont en voyage.

Rien dans les poches

Les jeunes étrangers arrivent chez leurs hôtes avec rien d’autre qu’un uniforme des Expos et un peu d’équipement.

Marty les emmène magasiner. Il faut même leur acheter des bas et des sous-vêtements. Son fils aîné leur donne aussi des vêtements qui ne lui font plus.

« Quand ils ne jouaient pas une partie, Damian venait les chercher chez nous et il les emmenait dans un centre d’entraînement de baseball. Il leur donnait toujours un jour de congé par semaine, parfois deux. Ils dormaient, ils jouaient aux jeux vidéo, ils allaient sur les réseaux sociaux et ils s’entraînaient », raconte le père de famille.

Des deux garçons, il ne sait pas grand-chose. Comme ils ne parlent pas l’anglais et que les Fraser ne maîtrisent pas l’espagnol, ils utilisent l’application mobile Google traduction pour communiquer.

Jamais, dit-il, ils ne lui ont fait part de leur statut de déserteurs ou de leur fuite montréalaise.

C’est en nous parlant, en mai dernier, que l’homme a découvert ce qui s’était vraiment passé.

Cela dit, les deux Cubains ne cachent rien de leurs aspirations professionnelles.

« Nous savions que Damian essayait de leur faire signer un contrat avec des équipes des ligues majeures. Ce n’était pas un secret. »

— Marty Fraser

Fin septembre Pablo et Yorkis quittent le foyer des Fraser. Marty n’aura plus de nouvelles.

Pourtant, ils resteront encore plusieurs mois dans la région.

***

Qui est Padrino, l’homme mystérieux qui a convaincu les deux jeunes de faire défection ?

Comment les athlètes ont-ils abouti sous l’aile de Damian Blen ?

Où ont-ils vécu durant les mois qu’ils n’ont pas été hébergés chez les Fraser ?

Un flou persiste sur la portion canadienne de la cavale des garçons.

Une chose est sûre : pendant tout leur séjour ontarien, qui durera six mois pour un et neuf pour l’autre, ils ont peur et ceux qui les protègent aussi.

Un bref échange sur Facebook entre La Presse et Pablo à la fin du mois de juillet 2017 le démontre. 

« Le problème, c’est que pour des raisons de sécurité, je ne peux pas te parler. Pour l’instant, je ne peux rien dire. »

— Pablo Enrique Gonzalez, en juillet 2017

Un mois plus tard, Damian Blen prétend, lors d’une conversation téléphonique, que les deux sportifs ont joué deux matchs avec les Expos, dont ils n’ont gardé que le chandail, avant de poursuivre leur chemin. Il nous répétera la même chose par message texte en septembre. « Je n’ai plus aucun contact avec eux. Je n’ai rien à voir avec ces garçons. »

Dans les faits, à cette époque, Yorkis et Pablo sont toujours ses protégés. Depuis, M. Blen n’a répondu à aucune de nos nombreuses demandes d’entrevue.

Lorsque nous les avons rencontrés au Costa Rica, en juin 2018, les deux athlètes ont confié qu’ils ne se sentaient « pas en sécurité au Canada », parce qu’ils savaient qu’ils ne resteraient « pas longtemps ».

« Mais notre décision était prise et on ne pouvait pas revenir en arrière, même si on se sentait déprimés. Il fallait continuer quoi qu’il arrive parce que c’est notre rêve. »

— Pablo Enrique Gonzalez

Pour passer le temps et chasser l’angoisse, ils se jettent corps et âme dans le sport. « On s’entraînait généralement à l’intérieur et parfois dehors pour ne pas jouer seulement en dedans. Jusqu’à ce que la neige commence… » Pour se réchauffer, ils boivent du café Tim Hortons, pour lequel Pablo développe une réelle passion.

Des photos les montrent aussi à une partie des Blue Jays. C’est Marty qui les y a emmenés.

Au sujet des gens qui l’ont aidé, le duo est peu loquace.

Même un an plus tard, une fois bien au chaud sous le soleil du Sud, les garçons continuent de jurer qu’ils n’ont aucune idée de l’identité réelle de Padrino.

« Ceci n’est pas la première histoire de défection à être publiée. Dans chaque histoire, il y a une vérité. Cela n’aiderait pas les futurs joueurs d’être trop précis », prévient Francisco Santiesteban, qui entraîne le duo au Costa Rica.

***

Lorsqu’il reçoit l’appel, Gustavo Dominguez n’hésite pas une seconde. Il ne sait rien d’un Pablo Enrique Gonzalez ou d’un Yorkislandi Álvarez. Il ne les a jamais vus jouer. Il n’est pas au courant qu’ils ont fait défection. Mais quand Damian Blen lui propose de les représenter, il dit oui.

« En ce qui me concerne, si tu fais partie de l’équipe nationale, tu es probablement au-dessus de la moyenne », dit l’homme au bout du fil.

Dans le monde des agents, Gus Dominguez est une superstar.

Lui-même fils de parents transfuges, il est devenu en 1991 l’agent du lanceur Rene Arocha, premier membre de l’équipe nationale cubaine à faire défection pour atteindre les Majeures. Depuis ce temps, il a aussi représenté, entre autres, l’arrêt-court Rey Ordóñez, qui a joué près de 1000 matchs dans les Majeures après avoir fait défection en 1993 pendant les Jeux universitaires à Buffalo.

Après un procès ultra médiatisé à la fin des années 2000, il a fait quelques années de prison aux États-Unis pour avoir aidé des Cubains à traverser illégalement la frontière dans le but de leur faire signer un contrat professionnel.

Son nom fait partie de la légende à Cuba. Pablo et Yorkis lui font tout de suite confiance.

Mais pourquoi, lui, choisit-il de leur accorder la sienne ?

La réponse est à la fois politique et financière.

« Ça remonte à mes racines, à ce qui est arrivé à ma famille et à la façon dont tout le monde a dû se disperser [quand on est partis], quelque chose que je n’oublierai jamais. Chaque fois que j’aurai la chance d’aider de jeunes Cubains à réaliser un rêve et d’en mettre une dans les dents [de Cuba], je serai le premier en ligne », dit-il.

« En fin de compte, il faut regarder ça comme une entreprise. Ça prend de l’argent pour gagner de l’argent. Je veux mettre de la nourriture sur la table pour ma famille. En plus, je suis cubain, je sais ce que ma famille a traversé quand elle a décidé de quitter Cuba. J’ai joué au baseball, je sais ce qu’il faut pour jouer au baseball dans ce pays. »

Gus accepte ainsi deux nouveaux poulains, qu’il souhaite maintenant former et faire parader.

Pour cela, il faut les faire passer au Costa Rica.

Chapitre 4

Cap sur le sud

Le 14 mars 2018. 

Au terme d’une semaine angoissante, passée d’aéroport en aéroport et d’hôtel en hôtel, Yorkislandi foule enfin le sol costaricain.

Son soulagement est total. Les dernières semaines ont été marquées par les appréhensions. Et surtout par l’attente.

Voilà en effet deux mois que son camarade Pablo a quitté l’Ontario pour le Costa Rica – les deux garçons ne voyagent pas ensemble afin « de ne pas attirer l’attention », nous confieront-ils après coup.

Deux mois au cours desquels Yorkislandi s’entraîne sans relâche et échange quotidiennement avec son ami par l’entremise des réseaux sociaux.

« Je n’ai jamais douté que mon tour viendrait », dira-t-il.

L’appel qu’il attendait impatiemment arrive à la fin du mois de février. Son agent Gus Dominguez a tout planifié. Ne reste plus qu’à partir.

Détours

Première destination : le Guyana.

Il s’agit d’un long détour, mais ce petit pays d’Amérique du Sud est l’une des rares destinations sur la planète où les Cubains peuvent atterrir sans visa.

« Jusqu’en 2016, l’Équateur était la porte de sortie par excellence pour les ressortissants cubains, mais cela a provoqué des crises migratoires et diplomatiques majeures en Amérique centrale », explique Sebastian Arcos, directeur associé à l’Institut de recherche sur Cuba de l’Université internationale de Floride.

« Depuis ce temps, le Guyana est devenu la meilleure option. »

Après quelques jours en Guyana, « le temps que les avocats [de Gus] au Costa Rica obtiennent les visas nécessaires », Yorkislandi reprend l’avion, cette fois vers le Nicaragua, avant d’enfin arriver au Costa Rica.

Son agent assure qu’il a franchi toutes les étapes dans la légalité. Une affirmation renforcée, selon le chercheur Sebastian Arcos, par le fait que le Nicaragua, allié politique du régime cubain, est « extrêmement risqué pour les migrants illégaux », qui s’exposent à l’expulsion.

« Quand on fait les choses légalement, à ma manière, on n’a pas de problèmes », conclut Gus Dominguez.

Yorkis soutient également avoir eu en main son passeport cubain en tout temps : selon lui, ce sont des passeports diplomatiques, émis en vue de la tournée québécoise, que les responsables de l’équipe nationale ont confisqués en arrivant à Montréal.

Passage obligé

Il faut savoir que de rester au Canada n’a jamais été une option envisageable pour le duo. En vertu des règles du baseball majeur, les joueurs établis aux États-Unis, au Canada et à Porto Rico doivent passer par le repêchage amateur, tandis que ceux établis dans un autre pays deviennent joueurs autonomes.

« En étant repêché, un joueur ne peut négocier qu’avec l’équipe qui l’a réclamé. Alors que comme joueur autonome, on peut négocier avec les 30 clubs des Majeures. Au bout du compte, ça fait une énorme différence sur la valeur du contrat et du bonus de signature. »

— Gus Dominguez, agent de Pablo et Yorkislandi

En outre, même s’il rend hommage au travail de Damian Blen, « un ami depuis au moins 15 ans », Gus Dominguez a plutôt l’habitude de préparer ses joueurs au Costa Rica, où il emploie deux entraîneurs à temps plein.

Zone d’ombre

À San José, Yorkislandi retrouve donc Pablo. Celui-ci a vraisemblablement quitté Toronto au cours des premiers jours de l’année 2018 et est arrivé à destination le 22 janvier.

Une large zone d’ombre masque le voyage de Pablo, élaboré de concert avec son entraîneur Damian Blen. Bien que nous ayons pu discuter avec les deux garçons quelques mois après les faits, ceux-ci ne nous ont parlé que du périple de Yorkis. Pablo n’a pas souhaité nous fournir plus de détails sur sa propre expérience.

« Ç’a été un voyage éreintant, mais je gardais le moral en me disant que c’était un pas de plus vers mon rêve », a simplement affirmé le jeune homme.

Gus Dominguez dit ne pas en savoir davantage, mais laisse planer un sous-entendu : « Damian a manqué son coup. »

Nous avons joint Damian Blen au cours des derniers jours pour l’interroger à ce sujet. Bien qu’il ait confirmé son identité à deux reprises au bout du fil, il a finalement prétexté un faux numéro et raccroché lorsque nous lui avons expliqué l’objet de notre appel.

Nous savons néanmoins que quelques semaines après l’arrivée de Pablo au Costa Rica, Damian a téléphoné à Gus pour l’aviser qu’il n’avait plus d’argent et qu’il ne pouvait plus s’occuper des deux garçons.

Cet appel marque un changement de ton dans l’aventure des deux jeunes joueurs.

« J’ai pris les choses en main », résume l’agent, qui assume maintenant les frais de subsistance et d’entraînement de ses protégés, ce dont se chargeait Damian jusque-là. Désormais, « on fait les choses à ma manière », tranche-t-il.

Sur le plan financier, l’entente est plutôt simple : l’agent subvient aux besoins de ses clients, puis se « rembourse » lorsque ceux-ci signent un contrat professionnel, dont il retiendra un pourcentage – généralement 5 %. Ce type de scénario est assez habituel dans l’histoire des joueurs cubains ayant fait défection.

« Ça reste une business, autrement je ne le ferais pas. »

— Gus Dominguez

L'agent dit par ailleurs ne pas être au courant si une entente de nature financière unissait Damian aux deux joueurs.

***

Réunis au Costa Rica, à l’aube du printemps, Pablo et Yorkislandi sont désormais en attente de leur statut de résidents permanents – le premier prévoyait l’obtenir avant la fin du mois de juin. Ils ont entre-temps le statut de résidents temporaires.

Leur long voyage terminé, ils peuvent enfin se mettre au travail pour de bon. Ils n’ont plus que deux choses en tête.

Le baseball.

Et les ligues majeures.

Chapitre 5

En attendant les Majeures

San José, Costa Rica — Le soleil est radieux sur la capitale costaricaine en ce matin de la fin du mois de mai.

Tout au fond d’un grand parc multisport, une cage de frappeurs et deux terrains de baseball. L’un d’eux, inondé, est impraticable, l’autre a connu des jours meilleurs.

Parmi les jeunes joueurs qui s’activent, l’ambiance est bon enfant. Mais les directives dispensées par les deux entraîneurs sont néanmoins directes, parfois sèches. Ça trime dur.

Dans le groupe, Yorkislandi et Pablo. Voilà respectivement deux et quatre mois qu’ils ont rejoint l’équipe d’entraînement. Et presque un an qu’ils ont fait défection à Montréal.

Ils peuvent enfin souffler un peu.

Dans la première entrevue qu’ils accordent à La Presse, par l’entremise d’une interprète, les deux joueurs sont détendus, sourient. Même si le défi qui les attend est monumental, à leurs yeux, le pire est passé.

Au Costa Rica, ils se sentent à la maison. Ou presque. Cuba et leurs familles leur manquent. Beaucoup. « Mais nous étions conscients des sacrifices que nous faisions, de ce que nous laissions derrière nous, en prenant notre décision », explique Yorkislandi, qui dit néanmoins garder des liens avec ses proches grâce aux réseaux sociaux.

« Mais c’est très dur… »

Selon eux, leurs familles n’ont pas subi de représailles du gouvernement cubain à la suite de leur départ, contrairement à ce qu’ont vécu d’autres joueurs ayant fait défection par le passé.

Ils se voient déjà revenir au Costa Rica après leur carrière professionnelle, y faire émigrer leurs familles.

« Les deux pays ne sont pas si différents, constate Pablo. Les relations avec les gens sont les mêmes. C’est beaucoup plus facile de s’adapter ici qu’au Canada. »

Ils gardent également contact avec leurs ex-coéquipiers de l’équipe nationale qui, disent-ils, comprennent leur décision et ne leur en tiennent pas rigueur.

« Tout le monde comprend à quel point notre démarche est sérieuse. Ils savent que c’était notre décision, et ils la respectent. »

— Yorkislandi

L’un de leurs coéquipiers qui était de la tournée au Québec l’an dernier, Victor Mesa Jr, a lui aussi fui Cuba en mai. Son frère et lui se trouvent aujourd’hui en République dominicaine.

Baseball à temps plein

À San José, ils se consacrent désormais entièrement au baseball – « et à apprendre l’anglais sur l’internet pendant les temps libres », prend soin de préciser Pablo.

Six matins par semaine, ils sont sur le terrain dès 6 h, afin de maximiser leur entraînement avant la chaleur de l’après-midi ou la pluie pendant la saison humide. En soirée, ils sont au gymnase.

Avec leurs coéquipiers (un autre Cubain et des Costaricains), ils travaillent sous la gouverne de Julio Villalon, lanceur cubain qui a fait défection en 1999 et qui a disputé cinq saisons dans les ligues mineures aux États-Unis avant de raccrocher ses crampons en 2006.

« Julio nous aide énormément, lance Yorkislandi. Il sait ce que ça prend pour jouer au niveau le plus élevé. Si on continue à ce rythme, on va réaliser notre rêve. »

Julio Villalon, 40 ans, travaille de pair avec Francisco Santiesteban, ex-receveur qui a lui aussi fui le régime cubain.

Comme ses jeunes protégés, Santiesteban a fait faux bond alors qu’il s’alignait avec l’équipe nationale. C’est pendant une série de matchs en Colombie, en 1997, que le colosse de 6 pi 4 po est passé à l’action.

Lui aussi a dû se contenter des circuits mineurs pendant sa courte carrière nord-américaine. Il s’est par la suite tourné vers le rôle d’entraîneur – il a notamment été gérant d’une filiale dominicaine des Braves d’Atlanta.

Éducateur physique possédant une spécialisation en baseball, il fournit désormais son aide à des jeunes joueurs au Nicaragua et au Costa Rica.

Jonglant avec l’humour et la fermeté pendant les exercices qu’il dirige, il explique que son rôle dépasse largement les clôtures du terrain de baseball.

« Cette génération de joueurs est différente des précédentes, dit-il en entrevue. Ils sont extrêmement positifs dans leur approche, mais c’est mon travail comme coach de m’assurer qu’ils comprennent parfaitement bien la situation, de leur montrer que les choses peuvent ne pas aller comme ils le souhaitent s’ils ne restent pas concentrés sur leur objectif… »

« Ils sont jeunes, ils n’ont pas eu le temps de penser aux aspects négatifs » de leur aventure.

— Francisco Santiesteban, entraîneur

Rien de gagné

Car malgré leur optimisme, rien n’est encore gagné.

Michel Laplante, président des Capitales de Québec, rappelle que les histoires de succès ne sont pas la norme. Au contraire.

« J’ai joué dans les mineures pendant huit ans. On n’a pas une Ferrari, on ne fait pas 1 million par mois, dit-il. Les jeunes de 20 ans pensent que ce qui les attend, c’est le baseball majeur à 5 millions par année. Mais on tente de leur dire : “Écoute, il y a des milliers de joueurs aux États-Unis qui vivent à 800 $ par mois.” »

« Ils calculent : “Tel joueur, quand il jouait dans ma ligue [à Cuba], il frappait .315 et moi je frappe .310. Si lui gagne 65 millions, je devrais en faire 52.” Alors ils traversent. Ils font toute cette démarche-là et un an plus tard, il n’y a aucune équipe du baseball majeur qui les a pris. Mais ils vivent dans l’espoir… »

Francisco Santiesteban décrit néanmoins ses deux recrues comme de bons élèves.

« Ils vont se rendre jusqu’au bout, je n’en doute pas. Ils ont beaucoup de talent, et s’ils n’avaient pas de chance de signer un contrat des ligues majeures, ils ne seraient pas ici. »

Loin des projecteurs

Au Costa Rica, le soccer règne en roi et maître. Yorkislandi et Pablo profiteraient d’une tribune bien plus prestigieuse s’ils s’entraînaient en République dominicaine, où les équipes des Majeures possèdent des académies ainsi que du personnel consacré au développement de leurs jeunes espoirs.

En fait, ils ne disputent actuellement pas de matchs, se contentant d’exercices avec leurs coéquipiers et leurs entraîneurs.

Selon leur agent, ce déficit de visibilité ne leur nuira pas. Déjà, dit-il, des dépisteurs d’équipes professionnelles sont venus les voir à l’entraînement, et les discussions avancent en vue de la signature de contrats.

« Ça fait 15 ans que j’ai un bureau au Costa Rica, explique Gus Dominguez. Travailler en équipe réduite permet à mes entraîneurs de parler directement aux joueurs. Et le système de développement est devenu trop corrompu en République dominicaine, il y a trop de gens impliqués, qui veulent nous voler des joueurs… Je n’ai ni le temps ni la volonté de faire des affaires là-bas… »

« Ça nous permet de prendre notre temps et de développer nos habiletés, renchérit Pablo. Le lieu physique où nous sommes n’est pas important pour nous. Ce qui compte, c’est le talent, le potentiel et de quelle manière on se projette dans l’avenir. »

« De toute façon, si des joueurs de l’équipe nationale cubaine s’entraînaient en Afrique, les équipes iraient les voir là-bas ! », s’esclaffe encore Gus Dominguez, qui affirme qu’il est « sûr à 100 % » que les deux jeunes hommes parapheront des ententes bientôt. La période de signature des joueurs autonomes internationaux s’amorce demain.

Peu importe où ils se retrouveront, Yorkislandi et Pablo peuvent déjà avoir le sentiment du devoir accompli, estime Francisco Santiesteban.

« S’ils étaient restés à Cuba, ils auraient passé leur vie à se demander ce qui leur serait arrivé. En venant ici, ils savent qu’au moins, ils auront tout essayé. »

— Francisco Santiesteban, entraîneur

Yorkislandi et Pablo sont catégoriques : si c’était à refaire, ils n’hésiteraient pas à prendre les mêmes risques.

« Et je serais prêt à aider de jeunes joueurs à faire la même chose dans le futur », affirme Pablo, qui se dit pessimiste de voir la situation politique changer à Cuba.

En attendant la suite, les deux joueurs continuent de trimer dur pour atteindre leur rêve.

Yorkislandi se voit jouer pour les Yankees de New York, Pablo, pour les Red Sox de Boston, leurs éternels rivaux.

Qui sait si le destin ne les renverra pas en Ontario dans l’uniforme des Blue Jays…

« Pourquoi pas ! », s’exclame Yorkislandi.

« Mais pas question d’y passer l’hiver… »

Nos journalistes tiennent à remercier Mariana Cajina Rojas, étudiante en journalisme à l’Université du Costa Rica, pour son aide précieuse à San José.

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