Ils étaient trois

Le premier est arrivé de façon inespérée. Presque personne en 1942 ne savait qui était Maurice Richard ; ils étaient encore moins nombreux à lui prédire une grande carrière. Celui qui allait devenir un mythe national, Le Rocket, a toujours parlé très peu et ses interventions médiatiques étaient laborieuses. On l’admirait, certes, mais il avait son quant-à-soi.

Le second était attendu après ses exploits à Québec. Jean Béliveau, quand il vient rejoindre Richard avec le Canadien de Montréal, en impose déjà. Grand, le verbe lent, la voix grave, il incarne une forme d’élégance, sur et hors la glace, peu commune au Canada français. Cela n’empêchait pas l’attachement, mais créait des limites à ne pas franchir.

Au moment où Béliveau quitte l’équipe, leur successeur désigné, à lui et à Richard, débarque à Montréal précédé d’un cortège d’éloges dont il n’y a pas eu de précédent : Guy Lafleur, encore enfant, est déjà une vedette. Le club de Montréal a fait des pieds et des mains pour le recruter. Il ne peut que dominer à son tour.

Les choses ne se passeront pas immédiatement comme on l’espérait.

Ses trois premières saisons déçoivent, mais le capital de sympathie dont bénéficie Guy Lafleur jusqu’à ce jour est déjà là : on souffre avec lui, on en veut à l’organisation qui ne paraît pas lui donner sa chance, on essaie de l’encourager.

Le « gars ordinaire, qui vise le sommet », dont parle l’écrivain Victor-Lévy Beaulieu en 1972, attire toutes les sympathies. C’est un proche qui traverse des moments difficiles.

Les succès se multiplient à partir de la saison 1974-1975 ; moins d’une décennie plus tard, ce sera fini, après un départ précipité du Canadien et malgré un retour avec les Rangers de New York et les Nordiques de Québec. Cela ne signifie pas que Guy Lafleur soit dès lors absent de la société québécoise. On le voit à la télévision dans des publicités rarement réussies, on suit ses difficultés familiales jusqu’au palais de justice, on l’entend sur toutes les tribunes sportives, voire au-delà, car on apprécie son franc-parler. Il aura passé sa vie sous l’œil des médias. Il aurait pu exiger une plus grande intimité ; il ne l’a fait que rarement, sauf quand sa santé a commencé à péricliter.

Comme en 1971, quand il ne parvenait pas à trouver ses marques et à devenir le successeur de Richard et de Béliveau, Guy Lafleur sera resté toute sa vie une figure d’identification au-delà des amateurs de hockey. Il incarnait la gentillesse, la générosité, la disponibilité. Sur ce plan-là, il aura été unique.

Ils étaient trois. Ils ne sont plus là, mais la mémoire collective s’est déjà assurée qu’ils ne soient jamais oubliés, chacun à sa façon, chacun dans son contexte.

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