Mort de George Floyd

« Encore du travail à faire »

Des voix s’élèvent pour réclamer au Québec une politique nationale de lutte contre le racisme, dans la foulée de la mort de George Floyd aux États-Unis, tué par un policier blanc. Un moment tout indiqué pour se pencher sur le racisme et le profilage racial au sein des forces policières, croit la Ligue des Noirs du Québec. 

Réactions d’Ottawa à la mort de George Floyd

« Le racisme envers les Noirs, la discrimination systémique, l’injustice, ça existe aussi chez nous. […] Le statu quo où les jeunes font face à la violence à cause de la couleur de leur peau est inacceptable. Aucun parent ne devrait avoir à expliquer à nouveau à leurs enfants qu’eux ou leurs amis pourraient subir le racisme. »

— Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

« Les gens ressentent beaucoup de douleur et de frustration, mais nous pouvons transformer cela en action et en justice. Nous devons faire plus qu’appeler à la paix, je crois que nous devons appeler à la justice. La justice est la seule voie vers la création d’un monde meilleur. » 

— Le chef du NPD, Jagmeet Singh

« Tous les niveaux de gouvernement doivent faire davantage pour éliminer ce genre de racisme. »

— Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer

(La Presse)

lutte contre le racisme

Une politique nationale à nouveau réclamée

Québec — Des voix s’élèvent pour réclamer au Québec une politique nationale de lutte contre le racisme, alors que la mort tragique de George Floyd aux États-Unis, tué par un policier blanc lors d’une violente arrestation, ramène les problématiques du racisme et du profilage racial au premier plan dans la province.

Le premier ministre du Québec, François Legault, a affirmé lundi qu’il comprenait le sentiment de révolte des gens qui ont vu la vidéo « choquante [et] révoltante » de la mort de M. Floyd.

« Ça montre qu’on a encore du travail à faire pour lutter contre le racisme. Ce n’est pas le genre de société que l’on veut au Québec », a-t-il dit en point de presse.

L’automne dernier, un rapport commandé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) rapportait entre autres que les Noirs étaient cinq fois plus susceptibles d’être interpellés par un policier que les Blancs, dans la métropole.

François Legault a promis lundi que la modernisation de la Loi sur la police, alors que cinq experts ont été mandatés par Québec afin de mener des consultations et faire des recommandations, s’attaquerait à l’enjeu du profilage racial.

« Je ne pense pas que notre problème est aussi grave que chez les Américains. Mais en même temps, on ne peut pas dire qu’on n’a pas de problème. […] On a encore du travail à faire. »

— Le premier ministre François Legault

« La très grande majorité de nos policiers travaillent bien, sont bien intentionnés. [On ne veut pas] discréditer leur travail. Mais oui, il y a des incidents, il existe du profilage et il faut faire en sorte de lutter contre ça », a pour sa part affirmé la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

Mettre fin au profilage

Dans ce contexte, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) réclame à nouveau une politique nationale de lutte contre le racisme. Elle souhaite aussi que l’on mette fin aux interpellations aléatoires qui sont faites par les policiers au Québec.

« Ça ne prévient pas la criminalité, ça n’assure pas la paix sociale, au contraire. Il faut trouver des façons de faire plus pratiques et intelligentes », a dit à La Presse le président de la Commission, Philippe-André Tessier.

Ces interpellations visent trop souvent des Noirs et d’autres minorités visibles, a-t-il rappelé. Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, d’origine haïtienne, peut en témoigner.

« Je ne connais pas de personnes de la communauté noire qui n’ont pas au moins une fois été interpellées sans raison par la police. C’est quelque chose de commun. Mes parents m’avaient parlé de ça, j’ai parlé de ça à mes enfants. Tout le monde de la communauté explique à ses enfants la relation qu’ils doivent avoir avec la sécurité publique. »

— Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux

Le ministre caquiste croit qu’il faudra d’abord « enclencher une discussion » sérieuse sur le sujet afin de poursuivre la lutte contre le racisme dans la province. Pour l’instant, observe-t-il, « il y a une certaine gêne » dans la société à aborder cet enjeu complexe.

« La première chose qu’il faut faire collectivement, c’est de nommer [les épisodes de racisme que l’on vit] », a affirmé à La Presse le président du Parti québécois, Dieudonné Ella Oyono.

« Parfois, on a l’impression que [les témoignages] de certaines personnes sont des anecdotes. Mais on a vu les rapports qui sont sortis. […] Le racisme [et le profilage racial], ça existe au Québec », a poursuivi l’Africain d’origine qui a choisi il y a plusieurs années le Québec pour y travailler, faire sa vie et fonder sa famille.

« Un État comme le Québec, qui est une société ouverte, ne peut faire l’abstraction d’une réelle politique de lutte contre le racisme et la discrimination […]. Ce serait un message clair à la société que le racisme est inacceptable », a pour sa part affirmé Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Anglade réclame un plan de match

Dominique Anglade, la première femme à devenir cheffe du Parti libéral du Québec, mais aussi la première Noire à la tête d’un parti politique représenté à l’Assemblée nationale, juge que le temps est arrivé de faire un « plan de match » contre le racisme.

« On peut parler en vœux pieux, ou on peut se dire qu’on va se doter de moyens pour y arriver et que chaque personne va pouvoir contribuer au meilleur de son potentiel », a-t-elle dit à La Presse.

« Nommons les choses, nommons les comportements, nommons ce qui arrive et de manière constructive. Sans accuser personne, sans rendre les gens coupables. Si tu te sens coupable, la conversation vient de se terminer. »

— Dominique Anglade, cheffe du PLQ

La cheffe de Québec solidaire, Manon Massé, réclame également une telle politique nationale. Elle croit aussi qu’il faut reconnaître que « le racisme systémique existe au Québec », ce qui ne veut pas dire que les Québécois sont systématiquement racistes.

Le chef par intérim du Parti québécois, Pascal Bérubé, ne la suit pas sur ce point et refuse de parler de qualifier de systémique le racisme tel que vécu au Québec, un terme selon lui très chargé. Mais « il faut comme société qu’il y ait un coût important à payer quand on fait preuve de racisme, que ce soit par une dénonciation publique ou par des sanctions », a-t-il précisé.

Pillage à Montréal

11 arrestations, enquête sur des enregistrements vidéo

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) tente de mettre la main au collet d’une poignée de pilleurs qui ont fracassé tard dimanche plusieurs vitrines de commerces de la rue Sainte-Catherine, dont celles du magasin de musique Steve’s. Au total, 11 casseurs ont été arrêtés à la suite de débordements qui sont survenus en marge d’une marche pacifique tenue au centre-ville en lien avec la mort de George Floyd. « C’est un long travail d’enquête qui s’amorce, a indiqué lundi l’agent Raphaël Bergeron, porte-parole du SPVM. Les enquêteurs vont visionner les images des caméras de surveillance. Il pourrait y avoir d’autres arrestations dans les jours à venir. » Environ 70 méfaits et actes de vandalisme ont été rapportés, dont plusieurs fenêtres fracassées et des graffitis. Plusieurs individus ont été filmés en train de s’enfuir avec des guitares par les fenêtres du magasin de musique. Les fenêtres d’un sex shop, d’un commerce de transferts bancaires, d’un restaurant, d’une pharmacie et d’une salle de spectacle de la rue Sainte-Catherine ont été vandalisées. 

— Tristan Péloquin, La Presse

Entrevue avec le vice-président de la Ligue des Noirs du Québec

« Nous vivons un moment charnière »

Le racisme est « une forme d’allergie mentale », et les rangs des forces policières du Québec n’en sont pas exempts, explique Gabriel Bazin, vice-président de la Ligue des Noirs du Québec. La Presse lui a parlé.

Comment vivez-vous les évènements des derniers jours ?

Je sympathise avec le ras-le-bol collectif qui est exprimé. J’éprouve aussi une certaine inquiétude. On voit qu’ils ont arrêté [des milliers de] personnes aux États-Unis au cours des derniers jours. Il y a une grande colère. Il faut y penser sérieusement. Les autorités doivent prendre les devants. Aussi bien les autorités municipales, provinciales, fédérales. Il faut en prendre conscience, parce que ça peut déborder n’importe quand. La marmite, elle est pleine. Il n’y a pas de passivité. Les gens sont réveillés. Ils demandent justice, car une injustice n’importe où est une injustice partout.

À Montréal, nous avons eu Anthony Griffin, Alain Magloire et bien d’autres… Nous avons des cas chez nous. Il faut avoir la lucidité pour voir que ça se passe ici aussi.

L’an dernier, la Ligue des Noirs a intenté une poursuite de 4 millions de dollars pour profilage racial. Où en sont les choses en ce moment ?

C’est présentement en examen par un juge. Ce qu’on reproche au SPVM [Service de police de la Ville de Montréal], c’est de pratiquer la discrimination, c’est de faire deux poids, deux mesures. Quand il s’agit d’une personne non blanche, la police peut être violente, brutale. Et les gens se retrouvent très souvent avec des accusations d’entrave au travail des policiers. Des jugements ont fait jurisprudence, et des juges ont acquitté des personnes, car c’était strictement du profilage racial. Certains policiers n’hésitent pas à utiliser le Code pénal pour pénaliser les Noirs. Ils mettent leurs armes au service de leur racisme.

De nombreuses études montrent que le racisme est une forme d’allergie mentale. Donc les gens ont le droit d’être malades, j’ai beaucoup de compassion, d’ailleurs, pour les gens qui sont dans cet état. Cependant, quand ils utilisent leurs armes pour attaquer la vie des citoyens, là, c’est une autre affaire. Le Noir est un suspect potentiel. C’est là qu’il y a un problème.

Quelle est la relation actuellement avec le SPVM ?

Je crois qu’actuellement, il y a une certaine conscience au niveau municipal, notamment de la part de la mairesse Valérie Plante. Mais il faut que les policiers soient conscients de leurs responsabilités devant les citoyens, et respecter en tout temps le code de déontologie. Le profilage racial n’a pas cessé. Si un Noir conduit une belle voiture, là, il y a toutes sortes de prétextes pour l’arrêter. Ça m’est arrivé. Une fois, j’étais avec un avocat criminaliste qui conduisait une BMW. Les policiers sont arrivés, et quand il a dit qu’il était avocat, ils sont partis. Une autre fois, avec ce même avocat, sur le boulevard Saint-Laurent, coin Sherbrooke, la policière l’arrête et la première chose qu’elle lui dit, c’est : « Que faites-vous dans la vie ? » La première question ! Nous avons des tas d’exemples comme ça. C’est quotidien. Ça a lieu en ce moment.

Je crois que nous vivons un moment charnière. Les autorités doivent prendre les choses en main. C’est le moment ou jamais de se regarder dans le miroir. Il faut faire la paix.

Profilage racial : les caméras témoignent

Les victimes de profilage racial n’ont souvent que leur parole pour se défendre, et aux oreilles d’un juge, la parole d’un policier vaut davantage, déplore Max Stanley Bazin, porte-parole de la Ligue des Noirs. « Mais parfois, la présence de caméras rétablit les faits », dit-il. Le cas d’Alexandre Lamontagne, Montréalais d’origine haïtienne projeté par terre par des policiers dans le Vieux-Montréal en 2017 alors qu’il consultait son téléphone devant un bar, vient à l’esprit. Il avait été arrêté et accusé d’entrave au travail des policiers et de voies de fait, mais une caméra de surveillance avait montré que sa version des faits était la bonne. Un an plus tard, la poursuite a retiré ses accusations. « Les policiers ont menti. C’est grave ! », lance M. Stanley Bazin. M. Lamontagne poursuit actuellement la Ville de Montréal pour profilage racial.

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