Tour de France

Rouler dans  une bulle

Le 107e Tour de France débute ce samedi dans une atmosphère de paranoïa sanitaire. L’évènement sera soumis à des contraintes strictes, alors que certains estiment qu’il ne devrait pas avoir lieu.

NICE, — France — Rien n’arrête le Tour de France, même pas le coronavirus. Alors que l’épidémie reprend de plus belle dans l’Hexagone, avec 7000 nouveaux cas en 24 heures, la Grande Boucle démarre ce samedi comme prévu, avec une première étape de 156 km qui commence et se conclut à Nice.

Vendredi midi, sous un ciel variable, la cinquième ville de France se préparait à accueillir la caravane d’un Tour qui s’annonce peu banal.

Tandis que des ouvriers achevaient de monter le podium et les paddocks avec un système de sécurité renforcé, quelques amateurs de vélo se promenaient sans enthousiasme dans la « fan zone » du centre-ville, dûment masqués, comme de raison.

« Il y a plus de peur cette année », lance Gisèle, robe léopard, rencontrée près de la boutique de souvenirs du Tour de France. « Mais ça ne m’empêchera pas d’être là demain [ce samedi] pour les voir au départ. Il faudra simplement respecter les gestes barrières… »

On s’est longtemps demandé si la plus grande course cycliste du monde aurait lieu. Mais contrairement aux Jeux olympiques ou à l’Euro 2020, sagement reportés à l’an prochain, ses décideurs sont finalement allés de l’avant, malgré les craintes liées à la crise sanitaire.

L’évènement a toutefois été déplacé de juillet à septembre, une bien faible entorse à la tradition, compte tenu du contexte.

Rappelons qu’en plus d’un siècle d’existence, la Grande Boucle n’a été annulée qu’à deux reprises, et ce, pour cause de guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945). On peut donc dire qu’il aurait fallu un cataclysme pour que l’épreuve n’ait pas lieu.

Presque à huis clos

Tous les regards sont aujourd’hui tournés vers l’organisateur du Tour, Amaury Sport Organisation (A.S.O.), et les mesures adoptées pour éviter que la COVID-19 ne s’invite dans le peloton.

De ce côté, on peut parler de règles sanitaires très strictes, voire radicales.

Jusqu’à l’arrivée finale à Paris, le 20 septembre, le Tour vivra dans une bulle aussi étanche que celle de la LNH en séries éliminatoires. « Ce sera quasiment un huis clos », a résumé mardi le préfet de Nice pour le lancement officiel de l’évènement.

Pendant trois semaines, les coureurs seront coupés de leurs proches, des commanditaires, des journalistes et même des autres participants, sauf sur la route. Les médias ne pourront leur parler qu’à distance, par vidéoconférence.

Pour éviter le maximum de contacts avec le public, les départs seront donnés à l’abri des spectateurs. Certains cols seront par ailleurs filtrés et on ne pourra plus y accéder qu’à pied ou à vélo. Les étapes de montagnes, réputées pour leur ambiance, s’annoncent décidément moins vivantes qu’à l’habitude.

Il va sans dire que les vainqueurs d’étapes n’auront pas droit non plus à la bise traditionnelle sur le podium, où, soit dit en passant, les hôtesses ne seront plus seulement des femmes, gros changement de culture pour le Tour.

Les 22 équipes, enfin, seront régulièrement testées pour le coronavirus. Si deux cyclistes d’une même formation obtiennent un test positif à la COVID-19 en moins de sept jours, c’est toute l’équipe qui sera définitivement exclue de la course. Aïe.

Des pour et des contre

Cette situation attriste l’historien du cyclisme Julien Camy, qui redoute une « démobilisation » du public à cause des multiples huis clos et règles sanitaires.

« La crise du coronavirus est venue gâcher la fête », souligne le coauteur du livre Côte d’Azur, terre de cyclisme. « Toutes ces mesures tempèrent l’engouement populaire », résume-t-il.

Selon Bob Madejak, sexagénaire abordé au hasard sur son vélo, au centre-ville de Nice, il y aurait pourtant lieu de se réjouir.

Aux yeux de cet ancien pro du cyclisme, le simple fait que le Tour n’est pas annulé constitue en soi une victoire sur le coronavirus.

« Ça montre qu’on est plus forts que la maladie », dit-il, sourire aux lèvres.

« Les contraintes sanitaires ? Un mal pour un bien. Il se dit même content que l’accès au public soit limité en montagne. « Pour une fois, on va avoir une vraie bagarre. Il n’y aura pas de spectateurs pour barrer le chemin. Les coureurs pourront vraiment attaquer ! »

— Bob Madejak

Non, on ne connaissait pas ce sympathique Polonais. Mais une petite recherche Google nous apprend que Boguslaw Madejak, alias Bob, fut le « cerveau » de l’affaire Cofidis, qui a ébranlé le Tour en 2004.

Dix personnes, dont sept cyclistes, avaient été reconnues coupables de trafic et de dopage à l’EPO. Madejak, qui était soigneur pour l’équipe Cofidis, avait écopé d’un an de prison. Il vit aujourd’hui en région niçoise et semble très heureux, si l’on en juge par ses nombreuses boutades.

Nice, pays de cyclisme

Ce sera la première fois, depuis 1981, que Nice accueille le grand départ du Tour de France.

Mais c’est loin d’être la première fois que la Grande Boucle passe par cette ville de la Côte d’Azur, qui revendique pas moins de 40 étapes du Tour depuis 1906.

« Nice est un bon endroit pour le cyclisme. La région aussi. C’est un territoire particulier avec les montagnes, la mer, des cols célèbres. Il y a de très beaux paysages. »

— Julien Camy, historien du cyclisme

Camy souligne que de nombreux cyclistes professionnels, comme Peter Sagan et Chris Froome, ont élu domicile dans la région, quoique la plupart résident à Monaco. Un choix qui s’explique principalement par la douceur du climat et les avantages fiscaux offerts par la Principauté.

Un champion mythique est aussi originaire de la région : René Vietto.

Ce « perdant magnifique », sur lequel Camy vient de produire un film (Le roi mélancolique), est mort sans jamais avoir gagné le Tour de France.

Ses cendres ont été dispersées au sommet du col de Braus, dans le Haut Pays niçois.

Il est tellement vénéré qu’un de ses fans aurait, jusqu’à tout récemment, conservé l’un de ses orteils dans le formol. Mais c’est une autre histoire.

Le tour ? Pas d’accord…

À Nice, les Verts dénoncent ouvertement le maintien du tour de France 2020. Selon la conseillère municipale écologiste Juliette Chesnel-Leroux, il est tout à fait « incohérent » que la course ait lieu alors que la ville et la région – Alpes-Maritimes – viennent d’être placées en « zone rouge » de forte circulation du virus. « La ville a annulé le marathon, le décathlon, des spectacles. Pourquoi pas le Tour de France ? », demande la politicienne. Le maire de Nice, Christian Estrosi, a justifié cette décision par le fait que le Tour impliquait moins de participants qu’en implique le marathon. Mais de l’avis de Mme Chesnel-Leroux, cette excuse ne tient pas la route. « Il y a quand même 3500 personnes dans l’organisation du Tour. Et elles se déplaceront dans toute la France. Ce n’est pas rien. » La politicienne aurait souhaité que la sécurité des Français l’emporte sur les enjeux économiques, énormes, que représente le Tour. Le maintien de l’épreuve, avec son flot inévitable de spectateurs, représente selon elle « un vrai risque sanitaire » pour la suite des choses.

— Jean-Christophe Laurence, La Presse

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