Réplique

Pour un gazon moins vert que chez le voisin

L’auteure répond aux multiples articles sur le sacro-saint gazon publiés récemment par La Presse*

D’aucuns critiquent sans doute cet « acharnement journalistique » sur un sujet « banal ». Les plus cyniques d’entre nous concluent sûrement quant à eux qu’il s’agit là d’une façon de remplir le creux estival du cycle de nouvelles.

En tant qu’élue municipale, j’applaudis pour ma part le foisonnement des textes qui font évoluer les mentalités à propos d’un enjeu dont l’importance ne devrait pas être minimisée.

À l’instar de la Ville de Québec, ma ville a récemment adopté un règlement pour limiter l’arrosage des pelouses.

Cela ne s’est pas fait sans heurt.

Beaucoup ont déploré cette nouvelle règle, témoignant de leur attachement à un gazon d’un vert « immaculé ».

Signe que le message commence à passer quant à la faculté de l’herbe à entrer en dormance au besoin, certains citoyens ont tout de même salué l’initiative.

Au-delà de l’économie d’eau, l’utilisation de substances chimiques nocives pour la santé et l’environnement constitue un enjeu tout aussi capital dans ce dossier.

Selon Statistique Canada, 75 % des Canadiens possèdent un espace gazonné. De ce nombre, ce sont respectivement 20 % et 25 % des gens qui ont recours à des pesticides et des engrais pour l’entretien de ces surfaces.

D’ailleurs, La Presse nous rappelait récemment qu’au-delà de 150 municipalités québécoises se sont dotées de règles pour encadrer ou proscrire l’usage des pesticides. Du même souffle, Ariane Krol nous démontrait néanmoins à quel point ces règlements se révèlent difficiles à appliquer1.

C’est un problème majeur. Et l’obsession du gazon parfait en est la principale responsable.

Bref, les villes peuvent certes agir, mais il apparaît clair que la véritable solution passera par un changement de culture.

Qui plus est, la nécessité de délaisser le gazon dépasse les enjeux déjà cités, car celui-ci nuit substantiellement à la biodiversité. La monoculture du Kentucky Blue Grass a envahi le continent nord-américain. Avec leur immense capital d’aires gazonnées, les villes de banlieues constituent donc le théâtre par excellence de la petite révolution verte qui se trame.

Les villes de banlieues incarnent le berceau de la culture de l’auto, mais pas que. La culture du beau gazon comme reflet du succès et de la capacité à contrôler la nature y est également ancrée très profondément. Fait troublant : des études démontrent que le statut social est inversement corrélé à la biodiversité. Plus un quartier est riche, moins il abrite de biodiversité ; plus les gazons y sont verts.

Il n’en tient qu’à nous, banlieusards, de renverser la vapeur.

Plusieurs méthodes non mutuellement exclusives permettent de parvenir à ces fins : arroser moins, espacer les tontes, cesser l’usage de pesticides et d’engrais, planter davantage d’arbres, ajouter des platebandes, opter pour le xeriscaping ou aménager un potager de façade.

Ultimement, la meilleure option s’avère de laisser la nature transformer nos monocultures gazonnées en réserves de biodiversité.

Comme l’a avancé la ville de Salaberry-de-Valleyfield, on peut même lui donner un coup de pouce en ensemençant avec diverses espèces indigènes (trèfle, lotier, achillée millefeuille…).

Les sceptiques qui croient que le gazon constitue un sujet banal auront été confondus.

Manifestement, ce sujet touche à des concepts aussi profonds et complexes que le culte de la perfection, l’étalage du statut social ou encore la volonté humaine de dompter la nature.

Cette discussion permet également d’aborder la beauté avec un grand B et d’illustrer le fait qu’elle repose indéniablement dans l’œil de celui qui regarde.

Quiconque a côtoyé des enfants peut d’ailleurs attester que ces derniers refusent d’appeler « mauvaises herbes » les fleurs qu’ils glanent avec bonheur. Renouons donc avec nos yeux d’enfants pour admirer, sur nos terrains, l’œuvre de la nature.

1. LISEZ l’article de La Presse « Un règlement pionnier rarement appliqué »

* LISEZ l’article de La Presse « Faire des pelouses un “filet de biodiversité” »

* LISEZ l’article de La Presse « Faire le deuil du gazon »

* LISEZ l’article de La Presse « Laisser croître le gazon est une bonne idée, disent des écologistes »

* LISEZ l’article de La Presse « Du gazon à la fois moins et plus vert »

* LISEZ l’article de La Presse « Gazon sacré »

* LISEZ l’article de La Presse « La Ville de Québec limite l’arrosage des pelouses »

LISEZ l’article du Scientific American « How the suburbs could help save biodiversity » (en anglais)

LISEZ l’article de CNN « Designing an end to a toxic American obsession: The Lawn » (en anglais)

LISEZ l’article de Phys.org « Research shows decline in biodiversity of suburban ecosystems » (en anglais)

LISEZ l’article de Legally Sociable « Suburban lawns and religious alternatives » (en anglais)

LISEZ l’article de Legally Sociable « The number of dandelions in the yard as an indicator of social class » (en anglais)

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