Soins palliatifs en néonatalogie

Étoiles filantes

Frêles et minuscules, des enfants luttent pour leur survie dès la naissance. Devant la fragilité de ces petites vies, l’approche palliative fait désormais partie intégrante des soins offerts en néonatalogie. On soulage la douleur des poupons. On aide les parents à accuser le choc. On les invite à vivre pleinement cette relation intense, éphémère.

UNE SÉRIE DE SOPHIE ALLARD ET D'ALAIN ROBERGE

un sourire à la fois

Charlesbourg — Sur la route, de retour de l’hôpital sans leur bébé, Pierre-Luc Duchesne et Julie Guillemette n’ont pas dit un mot. Les nouveaux parents ont gardé le silence jusqu’au lendemain matin. Chacun de leur côté, ils ont pleuré. Toute la nuit. Leur petit Roméo, hospitalisé en néonatalogie, ne survivrait qu’un an. Deux, tout au plus. Leur décision a été viscérale : leur fils serait soigné à la maison, entouré d’amour. Jusqu’à sa mort.

« Notre désir de ramener Roméo à la maison a fait sursauter les médecins, mais ils nous ont donné le feu vert. On a eu un cours en accéléré. On pense que, si notre gars est bien, il voudra vivre le plus longtemps possible parmi nous. On le traite aux petits oignons », confie Pierre-Luc, 32 ans.

Né le 8 décembre 2016, Roméo est gravement atteint de mucolipidose de type 2, une maladie héréditaire orpheline observée au Lac-Saint-Jean. Le diagnostic est tombé deux semaines après l’accouchement.

La maladie est caractérisée par un retard de croissance, des anomalies osseuses, une dysmorphie faciale, des difficultés respiratoires et une augmentation anormale de la taille du cœur. En raison d’un dérèglement de certains enzymes, les déchets produits par les cellules s’accumulent au lieu d’être éliminés, ce qui occasionne une surcharge létale. Plus la maladie se déclare tôt, plus l’espérance de vie est réduite.

« C’est incurable, dégénératif. On sait déjà que ça devrait finir par un arrêt cardio-respiratoire, précise son père. Tout ce qu’on peut faire, c’est lui offrir des soins de confort et l’aimer. »

La vie, la vie

La famille habite une modeste maison ancienne, sise en bordure de l’autoroute 73 Nord, avec vue sur les montagnes. L’intérieur est propre, mais surchargé, un brin bordélique. Des jouets d’enfants sont empilés ici et là. Des lingettes, des couches et des bavoirs sont disposés à portée de main. Partout, des bouteilles de gel désinfectant. « Je suis un peu obsédée », admet Julie.

Quand ils rentrent de l’école, Madden, 7 ans, et Myles, 5 ans, déposent leur sac, retirent bottes et manteau et embrassent leur petit frère. Roméo, 3 mois, se réveille à tout coup. Il les suit du regard, bouge légèrement ses petits bras, esquisse un sourire. Le tourbillon suivra, comme tous les jours.

Madden fait voler un avion téléguidé à travers le salon. Myles met de la musique – « connais-tu la chanson du film Les trolls  ? » –, renverse un jus par terre. Puis, ils organisent une course chronométrée autour de l’îlot de la cuisine. Au passage, ils contournent la balançoire de bébé, risquent de faire tomber une chaise et bousculent leur chienne Rapide, qui court avec eux.

À travers la fenêtre, la neige de mars qui tombe et les montagnes blanches offrent une ambiance contrastante. « Les frères se chicanent, le chien jappe quand le facteur passe, le chat bondit et disparaît en coup de vent. C’est notre quotidien, et c’est comme ça que Roméo a pris du mieux », dit Julie, en préparant le boire de 17 h.

Roméo est gavé par un tube nasal, toutes les quatre heures. « Il met une heure à consommer 100 ml. Il a déjà bu un peu à la bouteille, mais il a perdu le réflexe. » Elle l’installe confortablement dans son parc, au salon.

Puis, elle vide les boîtes à lunch, lit les mots dans l’agenda, part une brassée de lavage. « J’aime ça quand ça bouge. Quand leur père travaille, les gars testent souvent mes limites. C’est difficile, mais je préfère les avoir tous autour de moi. »

Pierre-Luc est livreur pour un restaurant. Il a des horaires atypiques, travaille souvent de soir. Jusqu’à minuit. L’été, il cumule deux emplois. Il est aussi ouvrier d’irrigation. Ça aide à joindre les deux bouts. « Voulez-vous manger des croquettes ? », demande-t-il en sortant la friteuse. Tous mangeront sur la petite table d’enfant au salon, à la bonne franquette.

Rapide s’est assoupie. Pierre-Luc s’installe dans le gros fauteuil à bascule, prend Roméo dans ses bras. « On se parle sans se parler. Quand il nous regarde, on dirait qu’il sonde l’âme. »

Le répit est de courte durée. C’est l’heure du bain pour les garçons, Roméo compris. « Il adore être dans l’eau chaude, avec ses frères. Ça fera de beaux souvenirs », dit Julie. Les plus vieux jouent, bougent. Les vagues bercent le poupon. La soirée se terminera en pyjama devant un match du Canadien.

Un cadeau pour Noël

Roméo est arrivé à la maison le 23 décembre, juste à temps pour Noël. « On vivait alors des émotions fortes, contradictoires, confie Julie. En fin de grossesse, les médecins avaient suspecté une anomalie, ils parlaient de nanisme, de handicap. Je savais que notre enfant serait différent, mais jamais je n’aurais pensé que sa vie serait menacée. On vivait un gros choc et, en même temps, on célébrait sa présence. On l’a eu dans nos bras toute la soirée. »

Depuis, les parents composent avec des émotions vives, souvent opposées. « On pense à tout ce qu’il ne fera pas, c’est difficile », dit Julie. « C’est un troisième gars ? Vous aurez votre équipe de hockey ! », a lancé une voisine. Roméo ne patinera jamais, il ne marchera jamais. Il n’ira pas à l’école, ni même à la garderie.

« On rage contre la vie, contre ce sort, ajoute Pierre-Luc. Mais on n’a pas le choix et on le vit ensemble, soudés. On fait un travail d’équipe, on reste zen tous les deux. Je crois que Roméo ressent notre énergie. » Certains amis ont déserté, d’autres les prennent en pitié. « On a besoin de compassion, pas de pitié », insiste le papa.

Chaque nouvelle journée, chaque nouveau sourire est accueilli comme un bonus. Julie et Pierre-Luc savent que la vie de leur petit ne tient qu’à un fil. Ils ont bien failli le perdre en février. « Les garçons ont eu la gastro. On a essayé de créer une bulle en les envoyant chez ma sœur Chantal, mais ça n’a pas suffi », dit Julie.

Chez Roméo, le virus s’est transformé en pneumonie. « En arrivant à l’hôpital, les médecins nous ont prévenus : ‟Tenez-vous prêts, ça se peut que ça finisse là.” Ça fesse. On était sur le qui-vive, prêts à tout », raconte Pierre-Luc. Roméo a été hospitalisé huit jours, il a survécu. « C’est un guerrier, un vrai battant. Il nous donne espoir. »

Un air d’été

Roméo a traversé l’hiver, puis le printemps, sans trop de bobos. Il est suivi de près à la clinique de soins palliatifs pédiatriques du CHUL-Québec. Un nouveau médicament a été ajouté à ceux qu’il consomme déjà. « Il était devenu très chigneux. Dès qu’il se réveillait, il se plaignait. Il n’était pas bien », dit sa mère. Maintenant, il va mieux.

Les parents scrutent à la loupe les moindres signes d’inconfort de leur bébé. Julie se fait à l’idée : son bébé n’est plus bien dans ses bras. « Il est mieux dans sa poussette. Des fois, j’essaie de me gâter, mais je n’insiste pas. »

« Roméo a des belles périodes d’éveil. Il est maintenant capable de retenir sa suce. Il essaie d’agripper les jouets qu’on lui présente, se réjouit Pierre-Luc. Sa cousine du même âge s’assoit et mange des morceaux de toasts, mais il ne faut pas comparer. On se fait du mal pour rien. Roméo grandit, il devient un tit-homme. Il est toujours aussi beau, hein ? »

Avec les beaux jours, Roméo profite de balades dans le petit boisé près de la maison, des rayons de soleil sur sa peau pâle. Le médecin a même autorisé la famille à partir au Lac-Saint-Jean, cinq jours. Dans la famille de Pierre-Luc. « Ça change le mal de place. Je travaille sans arrêt. Julie est très fatiguée, je ne sais pas comment elle fait. Elle n’a pas de répit, même la nuit. »

Julie acquiesce. « Même quand la pompe à gavage ne fonctionne pas, je continue de l’entendre dans ma tête. J’ai 40 ans. Ma mère célèbre son 60e anniversaire, mais je me sens plus vieille qu’elle ! J’ai quand même une énergie que je ne soupçonnais pas. Roméo ne manque de rien, c’est ce qui compte. »

La peur du vide

Toujours occupée, Julie a peur du vide. « Je sais que tout va s’arrêter soudainement. Du jour au lendemain, Roméo ne sera plus là. On souhaiterait qu’il meure ici, mais j’ai peur. Si je vois son petit lit, est-ce que je vais toujours y penser ? »

Ils préfèrent s’en tenir au présent. « Le 8 de chaque mois, on souligne l’anniversaire de Roméo. Je lui fais un massage », confie Julie. Chaque célébration est une petite victoire sur le temps qui passe vite, beaucoup trop vite.

Naître et mourir

George Bastien se rend régulièrement au cimetière Mont-Royal. Il marche jusqu’à la grande pierre tombale destinée aux bébés décédés au CHU Sainte-Justine. Il s’assied sur le banc, à côté de l’arbre, et il se recueille à la mémoire des petits patients qu’il a connus. « Je les imagine danser », confie-t-il d’une voix douce. Il est intervenant en soins spirituels à l’unité néonatale.

Au Québec, environ 400 poupons meurent chaque année avant d’avoir soufflé la bougie de leur premier gâteau d’anniversaire. La majorité sont des bébés prématurés, ils décèdent sans jamais avoir quitté l’incubateur. D’autres sont nés à terme avec des malformations, souffrent de complications.

« La plupart des bébés prématurés vont bien, mais on ne les sauve pas tous, dit Ginette Mantha, directrice-générale de l’organisme de soutien Préma-Québec. Le décès peut être très rapide, le bébé ne survit pas aux 24 premières heures, ou survient après une semaine, un mois. On nage dans l’inconnu. On dit aux parents que c’est l’enfant qui choisira quel bord il prendra. »

« Environ la moitié des bébés en néonatalogie meurent malgré les soins intensifs. On fait le maximum, ils évoluent bien, mais ils attrapent une bactérie, ont des complications, explique Annie Janvier, pédiatre néonatalogiste au CHU Sainte-Justine. Les autres décèdent quand on décide de ne pas donner de soins intensifs ou de retirer ces soins. S’il y a un gros saignement dans la tête, que les poumons ne fonctionnent pas et que l’enfant mourra à 2 ans, est-ce que ça vaut la peine de continuer ? Notre but est d’enlever la machinerie pour qu’ils meurent dans des conditions dignes. »

Accompagner les parents

Quand la mort rôde dès la naissance, les parents sont complètement déboussolés et vivent difficilement l’attente, l’incertitude. « Mon rôle est de guider les parents vers l’essentiel, de leur rappeler de vivre le moment présent avec leur enfant vivant, sans penser au futur. Le moniteur sonne ? Le parent regarde l’écran, mais je l’incite à revenir doucement à l’enfant », dit George Bastien. Il travaille avec l’unité de soins palliatifs pédiatriques au CHU Sainte-Justine.

Les parents veulent être au chevet de leur enfant, le connaître, le rassurer. « Mais comment être le parent d’un bébé branché à une machine ? Ça ne s’apprend pas dans les livres, dit la Dre Janvier. Un nouveau-né voit peu, mais il sent et entend. Pour le calmer, on propose à la maman de mettre un peu de son lait sur sa peau, de le porter en kangourou, on conseille au papa de parler au bébé, de chanter. »

Calmer la douleur

En 1988, une étude publiée dans The Lancet révélait qu’à peine 30 % des bébés en néonatalogie recevaient une anesthésie générale lors de chirurgies lourdes. On croyait à tort qu’ils ressentaient peu ou pas la douleur parce que leur système neurophysiologique n’était pas achevé et qu’ils ne gardaient pas souvenir de cette douleur.

« On a beaucoup d’évidences aujourd’hui que les bébés ressentent la douleur, même les prématurés », indique la Dre Janvier. On évalue la douleur avec différentes échelles, par le rythme cardiaque, la tension artérielle, on observe les orteils tendus, l’expression faciale.

En pédiatrie, le soulagement de la douleur n’est toujours pas optimal, selon Nago Humbert, responsable de l’unité de soins palliatifs pédiatriques du CHU Sainte-Justine. « Dans certains centres, ils vont intuber un bébé et lui mettre un respirateur sans donner de médication contre la douleur, regrette la Dre Janvier. Et il y a encore des endroits où les ponctions lombaires chez les nouveau-nés sont faites sans anesthésie. »

Mais on fait beaucoup mieux qu’on faisait. « Aujourd’hui, 85 % des bébés vont mourir avec des opiacés ou autres molécules antidouleur. On est assez bons pour soulager la douleur en situation de fin de vie », soutient la Dre Janvier. Des stratégies non médicales sont aussi utilisées. « Dans notre unité, on donne du sucrose, c’est un liquide très sucré qui fait monter les endorphines chez le bébé, son efficacité a été démontrée. »

Déchirante décision

Souvent, le décès d’un bébé surviendra après un arrêt de traitement. Au Québec, la décision revient aux parents, appuyés par l’équipe soignante. « Au début, les parents sont prêts à tout pour sauver leur bébé, puis ils cheminent au fil des jours. Ils voient leur petit, très amoché, se battre et ils ne veulent pas ça pour lui. C’est une grosse épreuve pour les couples, parfois, leurs limites ne sont pas les mêmes, la peine est toujours très grande », dit Ginette Mantha.

« Dès l’annonce d’un diagnostic défavorable, ou d’une condition instable, je suis avisée, dit Violaine Camal, infirmière spécialisée en évaluation des soins du deuil périnatal au CHU Sainte-Justine. J’assiste les parents dans la prise de décision, je les accompagne dans la préparation à la fin de vie. Les parents vivent beaucoup de culpabilité, d’ambivalence. Souvent, on me demande d’assister au décès. »

Accueillir le décès

« Il y a 50 ans, les nouveau-nés qui mouraient étaient cachés, jamais montrés aux parents pour éviter un choc. Ils étaient considérés comme des déchets médicaux, rappelle la Dre Janvier. On a énormément changé là-dessus. On sait maintenant que le contact avec le bébé est bénéfique pour le deuil. » Très peu de parents refusent.

Le petit cœur du bébé peut battre pendant des heures après le retrait des tubes. « J’essaie par ma présence de soulager les parents, de leur rappeler qu’ils sont de bons parents, qu’ils vivent des moments précieux », dit Mme Camal. Elle propose de verbaliser les adieux, de prendre des photos, d’inviter la fratrie. « C’est la preuve que leur bébé a existé, c’est tout ce qu’il leur restera. »

Au CHU Sainte-Justine, les dépouilles des bébés de moins de 1 an (incluant les fœtus) sont entreposées à la morgue, au sous-sol, et peuvent être incinérées aux frais de l’hôpital. Les cendres sont récupérées par les parents ou inhumées dans un lot commun au cimetière du Mont-Royal. Une cérémonie du souvenir est organisée deux fois par année.

« Des parents demandent parfois de revoir leur bébé décédé, je vais alors le chercher à la morgue. La semaine dernière, c’est arrivé trois fois », dit Mme Camal. Des parents, au chevet de leur bébé pendant cinq mois, ont senti un grand vide de retour à la maison. « On a fait une cérémonie dans une chambre de deuil. Ils avaient apporté une peluche avec les mots “papa” et “maman” brodés sur chacune des épaules. Ils ne voulaient pas que le petit se sente seul. »

Deuil incompris

« La mort des bébés est taboue, on n’en parle pas, comme si ça n’existait pas », dit Ginette Mantha, de Préma-Québec. La peine de ces parents est peu considérée, glissée sous le tapis. « Ils auraient davantage de support de leur entourage s’ils avaient perdu leur fils du cancer à 7 ans. À la mort d’un bébé, l’attachement des proches n’est pas là. Les parents se font dire : “Ce n’est pas grave, tu ne l’as pas vraiment connu.” S’ils ont des jumeaux, on leur dit : “Au moins, il t’en reste un.” Les parents vivent une terrible souffrance, se sentent incompris. Certains pensent au suicide. »

Les équipes de soins palliatifs pédiatriques offrent un suivi de deuil. « Les parents hors des grands centres sont plus laissés à eux-mêmes », regrette Kathy Taillon, de Préma-Québec. L’organisme communautaire a mis en place un comité de deuil il y a deux ans. L’organisme offre un service d’écoute téléphonique, une page Facebook privée, négocie des ententes avec des maisons funéraires. « La sépulture de ces bébés devrait être gratuite partout au Québec. »

« Ce qui fait la grandeur d’une personne, ce n’est pas la durée de sa vie, mais le fait d’être aimée et d’aimer », confie M. Bastien.

La vie, si fragile

L'amour ne vient pas en différentes grandeurs, insistent les intervenants auprès de parents endeuillés. Perdre un bébé, peu après sa naissance, est d’une grande douleur pour les parents. Leur deuil est toutefois peu reconnu. Des parents, aujourd’hui sereins, ont accepté de nous raconter comment ils ont surmonté cette épreuve qui a changé leur vie, marqué leur famille.

L’espoir et Jakub

L’inquiétude s’est installée, lourde, omniprésente, dès la grossesse. L’échographie, à 18 semaines, a révélé des anomalies. Marta Seremet et Vincent Filion ont encaissé le choc. Les résultats de tests qui ont suivi restaient ambigus. « C’était l’inconnu, les médecins ne savaient pas. On n’avait pas de réponse à nos questions », raconte Vincent. Le couple a gardé espoir que leur bébé naisse en santé. En vain.

Né à terme par césarienne, Jakub a survécu 38 jours. Son cœur fonctionnait mal, ses poumons saignaient, son cerveau a rapidement cessé de se développer. « Quand il est né, il a poussé un petit cri, ç’a été la dernière fois qu’on l’a entendu. Ils l’ont intubé dès la naissance pour l’aider à respirer, raconte Vincent. Je voyais ses yeux, il semblait me regarder en panique. On m’a dit de lui tenir la main, de lui parler. Je me suis senti totalement incompétent comme père. J’étais dépassé. »

Ils ont veillé leur fils, jour après jour. « Une journée, les signes étaient positifs. La journée suivante, des soignants arrivaient en courant dans la chambre pour le réanimer. Ce qui a été le plus difficile, c’était de le voir souffrir, branché à tous ces fils, confie Marta. Malgré les explications de médecins, j’ai gardé espoir jusqu’à la dernière minute. Je souhaitais un miracle. »

Devant la condition de Jakub qui se détériorait, le couple a rencontré les médecins et l’intervenant en soins spirituels, au CHU Sainte-Justine. « Par respect pour notre garçon, on ne voulait pas d’acharnement. On a été bien accompagnés, mais ç’a été la décision la plus difficile à prendre de toute ma vie. Quand tu retires le tube, qu’il a l’air bien, il y a ce doute », dit Vincent.

« Nous l’avons gardé avec nous deux heures. Nous l’avons baigné, habillé, on a pris des photos », raconte Marta. Le couple a organisé des funérailles. « On a mis de la musique de Disney, je ne voulais pas que ce soit lourd, je voulais me tourner vers l’espoir. » Ils ont écrit un texte. « Quand un bébé meurt, c’est un tabou. Personne ne veut en parler. La société fait le portrait de bébés naissants roses et en santé. Notre discours devant nos proches nous a fait nous sentir mieux. »

Les parents ont déposé les cendres, et un ourson, au columbarium du cimetière du Mont-Royal. « Il nous suivra où nous irons. » Ils lui rendent visite à Noël, à son anniversaire aussi. Marta a fait une animation vidéo, un album photo pour sa famille en Pologne. Après avoir épaulé sa femme, Vincent a ensuite posé le genou à terre. Les deux sont aujourd’hui tristes, mais sereins. « Jakub a fait de nous de meilleures personnes, de meilleurs époux, de meilleurs futurs parents », avance Marta.

La chanson d’Édouard

Éléonore-Marguerite, 4 ans, raconte qu’elle porte un ange dans son cœur. Il s’agit de son frère jumeau Édouard. Il est mort à ses côtés au CHU de Sherbrooke alors qu’il n’avait que 8 jours. Ils sont nés prématurément, le 3 mai 2013, à Victoriaville. « Ça s’est déroulé en catastrophe, après 25 semaines d’une grossesse sans soucis, confie Bénédicte Balard. J’ai accouché par césarienne. Je les ai vus, ils avaient l’air de grenouilles, ils ont crié comme des minous. J’ai pensé : ce sont des battants. »

Les bébés ont été transférés à l’unité néonatale de Sherbrooke. Leur père, Rudy Nolette, a suivi l’ambulance en voiture. « À mon arrivée, j’ai assisté à une réanimation d’un bébé qui est décédé. J’ai su qu’on n’était pas sorti du bois. » Trois jours après la naissance, les bébés ont passé une batterie de tests. « Éléonore-Marguerite m’inquiétait, elle grimaçait, avait des soubresauts. Édouard semblait calme », dit Bénédicte.

Édouard était le plus en danger, souffrant d’une importante hémorragie cérébrale. « Si tout allait bien, il marcherait avec une canne. Au pire, il serait en fauteuil roulant, gavé. Ils nous ont offert de le laisser partir. On a préféré attendre un signe. »

Édouard et Éléonore-Marguerite ont été baptisés dans la chambre d’hôpital. La condition du garçon ne s’est pas améliorée. « Il a pris mon pouce entre ses petits doigts. J’ai senti qu’il nous donnait le feu vert pour le laisser partir », confie Bénédicte. C’était décidé.

Le garçon s’est éteint le lendemain, dans les bras de ses parents. « On a enfin pu le prendre. Puis, on l’a extubé. Ç’a été un beau moment, c’était comme s’il s’était endormi », raconte Rudy. Son cœur a battu longtemps. Il a changé de couleur, il a refroidi. « Je leur demandais d’apporter des couvertures, ça ne servait à rien, dit Bénédicte. On a eu la chance de l’accompagner. »

Le couple a organisé des funérailles à Ham-Nord. À défaut de trouver un petit cercueil, ils ont opté pour une boîte de styromousse recouverte de satin. À l’église, famille et amis étaient invités. Musicien, Rudy avait composé une chanson. Ils ont serré des mains, fait quelques accolades avant de repartir au chevet de leur fille, aujourd’hui en pleine forme.

« Ç’a été des montagnes russes pendant quelques mois. Dans les cours prénatals, on ne nous prépare jamais à ça. »

Histoire de famille

« Vous portez des triplés. » Enceinte après un an d’essais en clinique de fertilité, Maia Sureau a accueilli la nouvelle dans un mélange d’incrédulité, d’inquiétude, de bonheur. « On a acheté une maison près d’une école, il fallait des chambres pour tous. On a commencé à chercher une nounou de nuit qui pourrait nous aider à bercer les enfants. » Avocate, elle a quitté le travail à 24 semaines. La semaine suivante, elle accouchait de façon imprévue.

« Mes bébés sont nés dans une atmosphère qui ne ressemble en rien à ce que doit être un accouchement. Il n’y avait aucune joie, c’était d’une froideur totale. Commence alors un parcours hospitalier lié aux soins palliatifs », confie-t-elle.

« Tu habites à l’hôpital pendant des mois. L’une va bien, mais les deux autres en arrachent. Gabriel est décédé après une semaine. Je l’ai vécu comme un avortement, probablement pour me protéger, je savais que son pronostic était moins bon. Je n’ai pas eu le temps de m’attacher et je m’en suis sentie très coupable. Je l’ai pris, ça a duré 30 minutes, et je me sentais vide. » Le soir, elle a contemplé un superbe coucher de soleil. Ce serait le symbole de Gabriel.

« Je me suis rabattue sur les deux autres, j’avais toujours peur qu’ils meurent. J’ai tiré mon lait, ça me donnait un sentiment d’utilité. Je prenais Laura en kangourou, encore fragile. Je voyais que Sacha n’allait pas. Dans la chambre, je parlais aux deux. Je chantais beaucoup. »

Pour Sacha, la vie n’avait rien d’agréable, ont vite réalisé ses parents. « Il était joufflu en raison de l’œdème. Il avait un problème aux reins, aux intestins. Après quelques mois, il ne respirait pas seul, il n’absorbait pas le soluté. » Une infirmière lui a confirmé le pire. « Il souffre ton bébé », lui a-t-elle dit. Maia n’a plus été capable de penser à autre chose.

Les médecins étaient d’avis partagés quant au pronostic. Simon, le conjoint de Maia, n’était pas prêt. Elle l’a attendu, a respecté son rythme. Il a beaucoup pleuré. Puis, les parents, solidaires, ont écrit une lettre aux médecins pour que cessent les traitements. « Le fait d’avoir à prendre la décision m’a donné de l’énergie. J’avais une cause, je protégeais les droits et la dignité de mon fils. » Sacha s’est éteint rapidement, en deux minutes. Il avait 3 mois. « Je l’ai bercé mort longtemps. » Dehors, il neigeait.

Maia et Simon ont maintenant trois enfants : Laura, 7 ans, Julia, 5 ans, et Olivier, 2 ans. L’histoire des triplés a teinté celle de la famille. « On en parle, on va parfois se recueillir, c’est important. Mais on est davantage dans la vie des vivants. » Le temps d’un beau coucher de soleil, d’une douce averse de neige, ils ont une pensée pour Gabriel et Sacha. Puis, la vie continue.

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