Enquête sur le CHSLD Herron

À contrecœur

Françoise Boivin se joint à la section Débats de La Presse où elle signera une chronique politique un samedi sur deux. Avocate spécialisée en relations de travail, elle a été députée fédérale de la circonscription de Gatineau pendant six ans, dont quatre sous la bannière du NPD. Bonne lecture !

Huit heures du matin, mardi 16 février 2021. J’attends la décision de la coroner Géhane Kamel. Elle doit se prononcer incessamment sur une demande du report de son enquête publique concernant le CHSLD privé Herron et ses 47 défunts lors de la première vague de COVID-19 au Québec au printemps 2020. La demande de report présentée par l’avocate des propriétaires et gestionnaires du CHSLD Herron, Andrei Stanica et Samantha Choweiri, affirme, entre autres, que dans l’attente d’une décision du DPCP quant au dépôt ou non d’accusations criminelles à l’encontre de ces derniers, l’enquête pourrait brimer leurs droits constitutionnels. Les enquêteurs du SPVM ont terminé leur travail. Leur dossier est toujours entre les mains du DPCP.

Dans l’attente de cette décision, je me remémore les évènements du printemps dernier. Le CHSLD Herron demeurera dans notre imaginaire collectif comme un des tristes exemples de ce qu’était la première vague de la COVID-19 au Québec. En espérant que la mémoire ne soit pas une faculté qui oublie… trop vite. Des aînés laissés à eux-mêmes (encore plus qu’à la normale), peu d’employés par bénéficiaires, un manque d’équipements de protection, des messages et des directives pas toujours clairs des autorités en santé publique et de nos dirigeants.

Pendant la première vague de la pandémie, le Québec a enregistré environ 3700 décès en CHSLD, le pire bilan au Canada. Plus de 8 CHSLD sur 10 de Montréal et de Laval ont été touchés.

La vaste majorité des Québécois, en liberté plus que conditionnelle depuis presque une année (je soulignerai ma détention préventive d’une année dans moins de trois semaines), à l’aube d’une vaccination collective (je l’espère), veut quand même des réponses en ce qui concerne ces drames humains qui, nous l’apprendrons un jour, auraient pu être grandement évités.

Il ne doit pas y avoir une seule requête en report qui nous fasse dévier de cette obligation morale. On se doit, comme société qui valorise la vie humaine, d’obtenir des réponses précises vis-à-vis de ce qui s’est passé dans nos CHSLD publics et privés et nos résidences pour personnes âgées pour éviter que ça ne se reproduise et surtout par respect pour les défunts et leurs familles. C’est aussi ça le droit de vivre et mourir dans la dignité. Ce qui s’est passé lors de la première vague est tout sauf respectueux de la vie humaine.

Neuf heures ! La décision du coroner tombe. Et moi aussi (en bas de ma chaise). Elle reporte.

« De prime à bord, je dois dire que je fais une lecture différente de notre loi et des prétentions de MTouma et je suis en désaccord avec son interprétation. Cependant, je préfère m’abstenir de tout commentaire concernant la requête déposée devant moi et plutôt regarder les conséquences pratiques de celle-ci. »

Elle explique aussi son mandat, son rôle et l’importance des familles des défunts :

« Les familles ont droit, en temps utile, à des réponses qui soient le fruit d’un travail rigoureux et complet. »

Son enquête publique porte sur 53 décès (47 au CHSLD Herron et 6 autres dans autant de milieux d’hébergement).

Au risque de retarder l’entièreté du dossier en rejetant la demande de report (CHSLD Herron) avec ce qui aurait pu survenir (révision, appels, etc… chacun de ces concepts en droit représentant des possibilités d’années de report), la coroner choisit le moindre de deux maux par respect pour les défunts et leurs familles.

Elle risquait de ne pouvoir reprendre ses travaux avant de nombreuses années. La preuve, un autre dossier retardé pendant quatre ans !

Oui, les familles sont déçues (les Québécois aussi) mais : « Vous comprendrez donc que je veux, et que je me dois de minimiser les retards pour les familles et la population. De ce fait, il est primordial que je puisse demeurer maître de notre agenda pour l’ensemble des CHSLD et RPA visés par la présente enquête. » Elle suspend les 11 jours d’audiences qui devaient débuter le 16 février concernant le volet Herron pour les reporter au début du mois de septembre prochain.

Espérons tous que le bureau du DPCP aura pris une décision d’ici là, sinon on assistera à une requête en report prise deux. Espérons aussi que la raison d’être de son report du dossier Herron se concrétise, soit la continuation de l’audience des autres volets factuels selon le calendrier convenu (CHSLD Des Moulins à compter du 29 mars prochain au palais de justice de Joliette suivi des volets factuels portant sur la RPA Manoir Liverpool à Québec, le CHSLD René Lévesque à Longueuil, le CHSLD Laflèche à Shawinigan, ainsi que les CHSLD Yvon-Brunet et Sainte Dorothée, à Laval). Je l’espère de tout cœur pour nous tous et surtout pour les familles endeuillées !

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