Ahuntsic

Revenir dans le quartier de son enfance

Lorsqu’elle fait sa promenade très tôt le matin, Marie-France Bazzo vient parfois au parc Nicolas-Viel, pour calmer ses insomnies au milieu des arbres centenaires qui bordent la rivière des Prairies. Là, tout n’est qu’ordre et beauté… Et c’est là, sous un vénérable peuplier, qu’elle prend la pose pour La Presse… même si elle « déteste » se faire photographier.

Néanmoins, la productrice et animatrice a Montréal tatoué sur le cœur ! « En 2020, au plus fort de la pandémie, alors que la métropole en arrachait, on a vu naître, à Québec et en région, une détestation de Montréal. C’était viscéral, cette méchanceté ! Or, détester Montréal, c’est détester nous tous, les Québécois. Si la métropole ne fonctionne plus, tout le Québec va être mal pris. Car tout ce qui nourrit la province doit passer par Montréal. C’est purement géographique. »

Luxe, calme et verdure

En 1996, Marie-France Bazzo a pris la décision de retourner dans le quartier de son enfance (elle a grandi à Ahuntsic, juste à la frontière de Villeray), après avoir vécu des années dans le Mile End et sur le Plateau. « J’étais tannée de la densité et du bruit, j’avais envie de tranquillité, de verdure et de nature. Je peux entendre le chant des cardinaux dans ma cour. Tout cela sans s’éloigner du centre-ville, près de la ligne orange du métro. »

À ses yeux, ce quartier du centre nord a un côté « campagne en ville », tout en offrant une qualité de vie très urbaine. D’ailleurs, en quittant la fraîcheur matinale du parc Nicolas-Viel, on arrive en moins de 10 minutes de marche sur la Main du quartier : la rue Fleury. « Depuis quelques années, la rue Fleury Ouest a beaucoup changé, constate Mme Bazzo. Je n’ai plus besoin d’aller au centre-ville pour trouver un resto de qualité, un café branché ou une terrasse invitante. On trouve tout ici. Le site Centris utilise même “à proximité de Fleury Ouest” comme argument de vente. »

À l’angle de Saint-Urbain, nous passons devant le restaurant homonyme. « Il y a 12 ans, son propriétaire, Marc-André Royal, a fait le pari d’ouvrir un resto haut de gamme rue Fleury. Et il a gagné son pari, estime Mme Bazzo. Sa venue a enclenché l’ouverture de plusieurs commerces d’alimentation de qualité, comme La Bête à pain, Ça va barder, Les Cavistes, Le Brûloir, entre autres. »

Marie-France nous emmène voir son récent coup de cœur : la boutique mode et déco Espace Flo, où l’on vend uniquement des produits conçus et fabriqués au Québec. Sa propriétaire, Karine Demers, a aussi fait le choix, il y a deux ans, de revenir vivre et travailler dans le quartier de son enfance : « Il y a un vrai sentiment d’appartenance à Ahuntsic, dit Mme Demers. Durant le confinement, j’ai senti une vague d’amour des citoyens du quartier. Tout le monde a encouragé les commerces locaux. »

Une nouvelle génération

On retourne dehors pour arpenter les rues résidentielles de la paroisse Saint-André, près du parc et de l’école. Mme Bazzo nous raconte que les maisons du coin ont été construites sur un grand terrain vierge, entre 1949 et 1952, toutes selon un modèle identique : des duplex mitoyens, avec trois chambres à coucher à l’étage, une grande cour. « Jeunesse ouvrière catholique, qui était propriétaire des lots à l’époque, vendait ces maisons environ 8000 $, avec un rabattement de 2000 $ pour aider les jeunes familles ! »

Il y a 25 ans, Marie-France Bazzo a acheté l’une de ces maisons avec son conjoint. « À l’époque, c’était encore un bon quartier pour acheter une première propriété sans trop s’endetter, dit-elle. Or, depuis, une nouvelle génération s’est installée. Des couples de professionnels achètent les maisons pour les rénover et y habiter avec leur jeune famille. On aperçoit de plus en plus de maisons d’architectes, chose qu’on ne voyait pas avant. »

Et le marché immobilier a monté en flèche. « On ne trouve plus de maisons à moins de 1 million de dollars, remarque Mme Bazzo. Il y a de vieux retraités dont la maison vaut plus de 1 million, mais qui n’ont pas d’argent pour réparer le toit… Si le quartier a toujours été aisé, de classe moyenne supérieure, il s’est littéralement embourgeoisé depuis une décennie. »

Fracture sociale

Cet embourgeoisement d’Ahuntsic améliore la qualité de vie de certains résidants, mais il a aussi des effets pervers. « Mais ce n’est plus l’embourgeoisement d’un quartier par rapport à un autre, c’est celui de la ville au complet, analyse Mme Bazzo. On voit à Montréal une fracture sociale entre deux univers : les très pauvres et les très riches. Et cette division sociale s’agrandit année après année. »

Diplômée en sociologie, la communicatrice observe que le fossé entre les classes s’est creusé davantage depuis le début de la pandémie. « On le voit à Ahuntsic comme ailleurs dans l’île : tout un groupe de citoyens n’a plus les moyens d’habiter Montréal. C’est très inquiétant. »

« J’aime follement ma ville, ajoute-t-elle. Il y a une manière de vivre, une effervescence unique au monde ! Or, je constate que Montréal est victime de phénomènes mondiaux, à l’instar d’autres grandes métropoles : la crise du logement, la division des classes, la fracture sociale avec les nouveaux arrivants, le clivage économique. Et ça risque de nous rebondir en pleine face ! »

À découvrir

La Pangée

Cette œuvre murale de la jeune artiste québécoise Danaé Brissonnet, avenue André-Grasset, laisse libre cours à l’imagination sur les thèmes de la famille, de la mère protectrice, de l’appartenance.

Réalisée en 2018, La Pangée est née de rencontres entre l’artiste et les enfants des habitations voisines, qui y ont contribué avec leurs dessins.

— Laila Maalouf, La Presse

Le marché d’été d’Ahuntsic

Ce sera le retour du Marché d’été d’Ahuntsic tous les samedis, du 26 juin au 2 octobre. Le projet a vu le jour l’été dernier grâce à une initiative citoyenne. Le marché, 100 % local, permet de découvrir les produits d’une trentaine de producteurs ruraux et urbains. Le rendez-vous est dans la rue Basile-Routhier, au beau milieu du parc Jeanne-Sauvé.

—Émilie Côté, La Presse

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