Été culturel

Le nouvel âge d’or de la comédie musicale

Hair, Lili St-Cyr, Le Bodyguard, La mélodie du bonheur… La comédie musicale a le vent dans les voiles au Québec ! On pourra en prendre la pleine mesure cet été, puisqu’une douzaine de productions prendront l’affiche dans la province d’ici la fin de l’année. La Presse a profité de ce renouveau pour parler à des artistes passionnés de théâtre musical.

Chaque année, Jade Bruneau attend avec impatience le début de l’été. C’est la saison où le théâtre musical fleurit au Québec. « Il y a un réel engouement pour les spectacles de théâtre musical », dit la comédienne, grande adepte de cette forme théâtrale. « Et le public est très fidèle. Il y a des gens qui reviennent deux, trois ou quatre fois voir un spectacle. Pendant la tournée de Belles-Sœurs, je me souviens d’une spectatrice qui m’a dit avoir vu le show 12 fois ! »

Le metteur en scène Serge Denoncourt a lui aussi apprivoisé les « musicals ». À Juste pour rire, il a pris le relais de Denise Filiatrault et de Serge Postigo à la barre des comédies musicales estivales. Après le succès d’Annie l’an passé, il dirige Hair, à l’affiche dès le 16 juin. « C’est une autre bête scénique à apprivoiser. Ça me sort complètement de ma zone de confort à 60 ans », dit-il.

Bien qu’il ait mis en scène Les choristes, son nouveau dada demeure l’adaptation en français de comédies musicales anglo-saxonnes venues de Londres et de New York. Ne craint-il pas l’américanisation de la culture québécoise en privilégiant ces grosses pointures du West End et de Broadway ? « Non, arrêtez-moi ça ! Chez Duceppe, on monte des traductions de pièces américaines signées Miller ou O’Neill. À La Licorne, on programme des pièces anglaises, irlandaises… Hair ou West Side Story sont des classiques du répertoire. Ce n’est pas une question d’américanisation de notre culture. »

Selon Serge Denoncourt, on fait au Québec du théâtre musical à notre manière. « Et on le fait très bien, ajoute-t-il. Luc Plamondon fait de l’opéra rock ; René Richard Cyr, du théâtre musical [Les parapluies de Cherbourg, L’homme de la Mancha]. Avant, il y a eu Michel Tremblay [Les héros de mon enfance, Demain matin, Montréal m’attend]. »

Une nouvelle ère

Patrick Rozon est fier de la tradition estivale de comédies musicales, amorcée il y a 20 ans chez Juste pour rire. « Il y a un marché pour le genre au Québec. Bon an, mal an, il se vend 200 000 billets pour voir des comédies musicales, tous producteurs confondus. La comédie musicale, c’est le spectacle total, avec un côté très wagnérien », dit-il, en référence au concept d’œuvre d’art totale du compositeur allemand.

Dans un avenir rapproché, le chef de la direction de la création de Juste pour rire souhaite développer un volet « création musicale originale ».

« En 2022, j’ai reçu 14 projets de nouvelles comédies musicales sur mon bureau. Avant, j’en recevais zéro ! La génération des millénariaux veut jouer, écrire et composer pour le théâtre. Je ne serais pas surpris de voir arriver bientôt notre prochain Luc Plamondon. »

— Patrick Rozon, chef de la direction de la création de Juste pour rire

Juste pour rire ne cessera pas de produire des spectacles avec des licences de Broadway. Les grosses productions aident les créations plus risquées financièrement, sans artistes connus du public. « Mais on va bâtir un modèle d’affaires différent pour la création. On va y aller par étapes. Avec une plateforme comme Zoofest, on peut présenter une comédie musicale dans une salle de 300 ou 400 places. Et faire des coproductions avec d’autres compagnies de théâtre, des tournées à l’étranger. »

Laisser le soleil entrer

Dans une salle de la rue Parthenais, une vingtaine de jeunes gars et filles, pieds nus et cheveux longs, manifestent avec des pancartes. On peut y lire des slogans de Mai 68 : « Faites l’amour pas la guerre », « Sous les pavés, la plage »… La scène fait partie de Hair, un « musical » emblématique des boomers et du mouvement « peace and love ». Parmi ces interprètes, il y a Sarah-Maude Desgagné, une chanteuse de la cuvée 2022 de Star Académie ; Éléonore Lagacé, gagnante de l’émission Zénith ; Philippe Touzel, qu’on a vu dans La mélodie du bonheur, Grease, Footloose et qui fait aussi carrière en France.

Cette affiche ne comprend pas de grosses vedettes. De plus en plus, les producteurs engagent des interprètes avec une formation en théâtre musical. Auparavant, on auditionnait seulement des chanteurs. « Il y a une belle effervescence actuellement en théâtre musical. Les finissants des récentes cohortes n’ont jamais autant travaillé dans leur spécialité », remarque Geneviève Charest, qui enseigne le chant au programme de théâtre musical du collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse.

« Je crois qu’on nous a choisis pour les bonnes raisons. Pour apporter de la vérité dans la comédie musicale », estime Philippe Touzel. Son camarade Félix Lahaye, qui a découvert la comédie musicale à l’école secondaire, ajoute que ce genre de spectacle lui permet « de tout faire » et d’exercer toutes les facettes de son métier. Même son de cloche de Kevin Houle, interprète et compositeur qui signe aussi cet été la musique de Lili St-Cyr, un spectacle qui sera présenté à Kingsey Falls.

« On fait de la musique, on danse, on joue et on raconte une histoire dans un même spectacle. Il ne faut pas confondre la comédie musicale et les variétés. Ni la juger quétaine. »

— Kevin Houle, interprète et compositeur

Enfin, la reconnaissance ?

Le comédien Robert Marien se bat depuis 40 ans pour la reconnaissance du théâtre musical au Québec. Selon lui, il faut se donner des moyens et du temps pour développer la création d’ici. En investissant dans des ateliers, des laboratoires, de la recherche. « On a des attentes démesurées pour nos comédies musicales, dit-il. J’ai vécu l’accueil difficile de Gala et du Petit Roy. J’ai souvenir de la fin prématurée de I, de Marc Drouin. » En 1998, très mal reçue par la critique et le public, la comédie musicale de l’auteur de Pied de poule avait annulé sa tournée, malgré un investissement de 400 000 $ du gouvernement du Québec.

« Si un show ne fonctionne pas tout de suite, on devient frileux, déplore Robert Marien, alors que c’est avec les essais et erreurs que naissent les succès. Les comédies musicales américaines peuvent connaître huit ou dix moutures avant d’atterrir à Broadway. » Le comédien souhaite la création d’une catégorie à part pour traiter les demandes de subventions au théâtre musical.

Tous les créateurs et amateurs de cette forme vous le diront : la comédie musicale a toujours été entre deux chaises. Entre les variétés et le théâtre. La comédienne Marie-Pierre de Brienne a fait une demande de subvention pour un projet de théâtre musical pour sa nouvelle compagnie. « Mon dossier n’entrait pas dans la bonne catégorie, raconte-t-elle. L’employé m’a demandé si je faisais du théâtre ou de la musique. Je lui ai répondu les deux… et avec de la danse. Il m’a dit : “Mais vous ne pouvez pas faire les trois en même temps !” »

À l’affiche d’ici la fin de l’année

Hair

La comédie musicale de Gerome Ragni et James Rado est mise en scène par Serge Denoncourt et produite par Juste pour rire. Au Théâtre St-Denis dès le 16 juin ; à la Salle Albert-Rousseau, à Québec, dès le 12 décembre.

Lili St-Cyr

Une création musicale sur la vie scandaleuse de la reine du strip-tease à Montréal dans les années 1940. Musique : Kevin Houle. Mise en scène : Benoit Landry. Chorégraphies : Alex Francœur. Avec entre autres Marie-Pier Labrecque, Lunou Zucchini, Kathleen Fortin. Au Théâtre de Kingsey Falls, dès le 30 juin.

Le Bodyguard

L’adaptation scénique du populaire film avec Whitney Houston, dans une nouvelle mouture dirigée par Joël Legendre sur des chorégraphies de Steve Bolton. Au Capitole, à Québec, du 28 juin au 13 août. En reprise au Théâtre St-Denis, du 23 novembre au 3 décembre.

La mélodie du bonheur

Le retour de la célèbre famille von Trapp, avec 25 comédiens, dans une mise en scène de Gregory Charles. À partir du 4 août, à la salle Albert-Rousseau, à Québec.

La famille Addams

La nouvelle mise en scène d’un classique du genre par René Simard. À l’Espace St-Denis à partir du 17 octobre 2023, puis à la salle Albert-Rousseau, à Québec, en décembre 2024.

Pub royal

Une nouvelle comédie musicale « un peu punk » signée par Les Cowboys Fringants et créée par Les 7 doigts de la main. Mise en scène : Sébastien Soldevila. Au Grand Théâtre de Québec dès le 22 novembre. Au Théâtre Maisonneuve, à Montréal, du 6 décembre au 23 décembre.

Notre-Dame de Paris

Le succès de Richard Cocciante et Luc Plamondon célèbre ses 25 ans. À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, du 2 au 10 août.

Hedwig et le pouce en furie

Mise en scène de René Richard Cyr. Avec Benoît McGinnis dans le rôle-titre. En tournée au Québec, puis de retour à Montréal du 20 au 28 octobre au TNM.

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