Bienvenue sur Mastodon, l’anti-Twitter

Le nouveau propriétaire de Twitter, Elon Musk, l’a crûment rebaptisé « Masterbatedone », sa popularité a explosé depuis une semaine pour atteindre le million d’utilisateurs mensuels, et ses partisans croient qu’il peut être un antidote à la désinformation et à la haine en ligne. Qu’est-ce que Mastodon, ce réseau peu connu jusqu’à tout récemment présenté comme le remplaçant potentiel de Twitter ?

D’où vient Mastodon ?

Ce réseau social a été créé en 2016 en Allemagne par un développeur, Eugen Rochko, en réaction aux rumeurs à l’époque d’acquisition de Twitter par le controversé Peter Thiel. L’interface ressemble comme deux gouttes d’eau à Twitter, avec des « toots » (« pouets » en français) contenant de la vidéo, des images et pouvant atteindre 500 caractères, au lieu de tweets limités à 280. Le principe de base est le même : on voit apparaître dans son fil d’actualités les « pouets » de ceux auxquels on est abonné. Là s’arrêtent les similitudes.

Comment ça fonctionne ?

Même ses partisans l’admettent, le fonctionnement de Mastodon est complexe, voire rebutant. « C’est compliqué, ce n’est pas user friendly, c’est la décentralisation qui cause ça, résume Nellie Brière, conférencière et consultante en communications numériques et réseaux sociaux. Ça ressemble à Twitter à ses débuts, il n’y a pas d’algorithme, j’ai vraiment l’impression de revivre 2009. »

Tout d’abord, Mastodon est constitué de quelque 4100 serveurs, appelés des « instances », mis sur pied par autant de communautés avec leurs intérêts et leur localisation. On compte au moins une instance au Québec, appelée jasette.facil.services. Chacune est responsable de la modération, dans le respect des grands principes dictés par Mastodon, et gère la circulation selon la puissance de son serveur. Elle a accès aux informations de ses utilisateurs, qu’elle peut bannir. On ouvre un compte sur un de ces serveurs, qui confirme l’inscription dans un délai très variable, entre 3 secondes et 1 h 12 min dans nos trois essais. On peut s’abonner à un nombre illimité d’instances et passer d’une à l’autre en exportant ses messages et ses abonnés.

Les communications et la recherche d’abonnés sont faciles entre membres d’une même instance. Les choses se compliquent quand on veut s’abonner ou retrouver des « pouets » sur un autre serveur, mais les interactions demeurent possibles. À la base, on voit défiler trois fils d’actualités : le « fil public local », avec les messages les plus récents postés sur le serveur choisi, le « fil public global » provenant des autres serveurs et l’« accueil », où défilent les messages des utilisateurs auxquels on est abonné. Tout défile en ordre chronologique, aucun algorithme ne vient mousser les contenus les plus populaires et aucune publicité n’apparaît.

Quels sont les avantages de Mastodon ?

Pour Nellie Brière, « la grande différence, c’est que c’est open source, libre, décentralisé ». « J’invite les gens à y aller, ça ne coûte rien, et c’est un apprentissage qui est primordial pour envisager l’avenir du numérique. Ça ne va plus avec le GAFAM, et on n’est pas obligé de subir la tyrannie d’Elon Musk. »

Pour Laurence Grondin-Robillard, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chargée de cours à l’École des médias, le regroupement des utilisateurs selon leurs intérêts, par « instance », est un des points forts de Mastodon. « Être dans une communauté d’intérêts dans une application qui partage le savoir, sans filtre, sans publicités, ça, c’est génial. »

La limite de 500 caractères au lieu de 280, la possibilité d’éditer les messages, des émoticônes différentes selon les serveurs, des « avertissements de contenu sensible » et la possibilité de filtrer efficacement ses abonnés font partie des charmes moussés par Mastodon.

Mais il y a sûrement des inconvénients…

Oui, et ils sont nombreux. D’abord, certains serveurs très populaires, comme mastodon.social, sont horriblement lents, surtout avec l’explosion de popularité depuis une semaine. L’absence d’algorithme fait en sorte que les messages défilent sans aucune hiérarchie : le « pouet » d’un obscur commerçant d’une ville du Texas aura la même importance dans votre fil que la manchette du quotidien Le Monde. La maîtrise des interactions entre serveurs différents est si complexe qu’un article ici ne suffirait pas à en exposer les subtilités.

Et la multiplication des serveurs décentralisés et des modérateurs inconnus amène un risque bien réel de dérapage. « Je n’en ai pas vu jusqu’à maintenant, mais chaque instance avec ses règles de base pourrait décider de troller comme elle veut, note Laurence Grondin-Robillard. D’ailleurs, au début de Mastodon, c’était le free-for-all, tout le monde avait ses règles et ça a donné lieu à beaucoup de problèmes. »

Nellie Brière, elle, ne voit pas pourquoi une modération décentralisée serait plus problématique que celle qui ne relèverait que d’une seule entreprise privée comme Twitter.

« Ce n’est pas en laissant ça entre les mains de grands magnats qu’on va régler le problème. S’il y a sur Mastodon des serveurs mal intentionnés, les autres serveurs ne leur permettront pas de rester. »

Alors, Mastodon pourrait-il remplacer Twitter ?

Même une partisane comme Nellie Brière se montre réservée à ce sujet. « Honnêtement, je ne crois pas que ça va marcher, les gens n’ont pas assez de littératie numérique. J’aimerais y croire, j’invite les gens à y aller. »

Laurence Grondin-Robillard, elle, a un conseil principal à donner à ceux qui veulent comprendre Mastodon : « Essayez, lancez-vous ! » Comme avec Twitter à ses débuts, il faut un certain temps pour comprendre ce réseau social, ses codes et son interface, et trouver les comptes les plus intéressants, note-t-elle. « Ce n’est vraiment pas parfait. C’est une application qui demeure nichée, qui prend des connaissances un peu plus techniques. Je ne crois pas que ça remplacera Twitter. »

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