Margarine ou beurre ?

Le combat jaune

La margarine est l’un des premiers « aliments hyperréels » qui ont été considérés comme meilleurs que le produit original, selon Gyorgy Scrinis, professeur à la faculté d’agriculture et d’alimentation de l’Université de Melbourne, en Australie. Depuis quelques années, le beurre prend sa revanche, sans être lavé de tout soupçon. À quelle tartinade faut-il se vouer ?

UN DOSSIER DE MARIE ALLARD

La margarine est l’un des premiers « aliments hyperréels » qui ont été considérés meilleurs que le produit original, selon Gyorgy Scrinis, professeur à la Faculté d’agriculture et d’alimentation de l’Université de Melbourne, en Australie. Depuis quelques années, le beurre prend sa revanche, sans être blanchi de tous soupçons. À quelle tartinade faut-il se vouer ?

UN DOSSIER DE MARIE ALLARD

Beurre contre margarine

En 2016, les Canadiens ont mangé 3,13 kg* de beurre par personne. Jamais ils n’en avaient consommé autant depuis 25 ans. La margarine résiste, avec une consommation par habitant de 2,89 kg*. À portions égales, tous deux contiennent autant de calories et de gras. Qui va remporter le combat ?

Round 1

Dès les années 50, le rôle du méchant a été attribué au beurre. Sa teneur en gras saturés a été jugée néfaste pour la santé, particulièrement du cœur. « On a dit aux gens : “Mangez plutôt de la margarine, qui contient des gras polyinsaturés, bénéfiques pour votre cœur” », rappelle Bernard Lavallée, nutritionniste et auteur de N’avalez pas tout ce qu’on vous dit. Pour transformer les huiles végétales – qui sont liquides – en margarine, on a fait appel à l’hydrogénation. Sans savoir que ce processus métamorphose les gentils gras polyinsaturés en horribles gras trans.

Round 2

Favoriser les huiles végétales partiellement hydrogénées, riches en gras trans, « s’est révélé être une erreur monumentale du point de vue de la santé de la population », écrit Benoît Lamarche, chercheur en nutrition à l’Université Laval, dans L’ADN de l’alimentation québécoise. Les gras trans de la margarine se sont avérés pires que les gras saturés du beurre. Heureusement, en septembre, Santé Canada interdira le recours aux huiles partiellement hydrogénées dans les aliments, tel qu’annoncé un an plus tôt.

Round 3

Parallèlement, le beurre a repris du lustre. « Depuis quelques années, il y a un gros changement de paradigme à propos des gras dans la littérature scientifique, indique Anouck Senécal, nutritionniste et coordonnatrice de la Clinique universitaire de nutrition de l’Université de Montréal. On a longtemps eu des preuves voulant que les gras saturés étaient nécessairement néfastes pour le cœur. Là, ça semble mitigé. Certaines sources de gras saturés ne seraient pas si dommageables que ça, d’autres, oui. » Une méta-analyse récente montre que « la consommation de beurre ne semble pas influencer le risque de subir une maladie cardiovasculaire, écrit Benoît Lamarche. Ni positivement ni négativement ».

Round 4

Combative, la margarine fait valoir ses atouts verts. « Sa fabrication exige moins d’électricité, d’hectares de terres et d’eau, fait valoir le fabricant Becel sur son site internet. Becel est composée en grande partie d’huile de canola cultivé ici même, au Canada. » La production laitière, dont dépend la fabrication du beurre, est quant à elle « un important émetteur de gaz à effet de serre », souligne Élise Desaulniers, végane et auteure de Vache à lait.

Round 5

Mais la margarine, un produit ultratransformé, n’est pas lavée de tout soupçon. « On utilise maintenant de nouveaux procédés industriels pour la fabriquer, notamment l’interestérification », indique Bernard Lavallée. L’interestérification n’est pas l’association internationale des Esther, mais un processus chimique qui modifie la structure des acides gras. Cela permet de créer une margarine à la texture agréable, sans gras trans. « Malheureusement, il y a très peu d’études sur les effets des gras interestérifiés sur la santé du cœur, regrette le nutritionniste. Honnêtement, j’ai le pressentiment qu’on n’a pas appris de nos erreurs. Dans quelques années, il se peut qu’on se rende compte que les gras interestérifiés avaient un effet auquel on n’avait pas pensé. »

Round 6

Que choisir avant d’en savoir plus, beurre ou margarine ? « Si c’est avec modération, c’est une question de goût », tranche Anouck Senécal. Il faut surtout consommer de bons gras, présents dans les huiles végétales, les avocats, le saumon, les noix, les graines, etc. Partout autour de la Méditerranée, au petit-déjeuner, les gens arrosent d’ailleurs leur pain d’huile. Une pratique que Bruno Ranély, propriétaire de la boutique Olive Pressée à Montréal, voit chez sa clientèle. « Les gens sont de plus en plus conscients des bienfaits de l’huile d’olive », constate-t-il.

Round 7

Bernard Lavallée préconise quant à lui « les aliments le moins transformés possible » et la variété. Le mieux est donc d’utiliser différentes huiles en quantité raisonnable et un peu de beurre, si on le souhaite. Il cite la nutritionniste américaine Joan Dye Gussow qui, dès 1986, a dit : « En ce qui concerne le débat beurre contre margarine, je fais plus confiance aux vaches qu’aux chimistes. »

Comment conserver le beurre ?

Pas facile de passer au beurre quand on a grandi avec la si pratique margarine. Comment conserver du beurre prêt à tartiner sans qu’il développe un goût rance ? « Le beurre est une matière qui est bonne, mais très fragile », dit François Sigouin, professeur de cuisine à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). Voici ses conseils.

Température pièce

Pour avoir du beurre mou sous la main, le mieux est d’en placer une petite quantité dans un beurrier, à la température de la pièce. « Ça ne se garde pas très longtemps, deux ou trois jours maximum », indique M. Sigouin. Durant les chauds mois d’été, mieux vaut n’y placer que la quantité consommée le jour même. L’idéal est de choisir un beurre salé, le sel étant un agent de conservation.

Beurrier breton

Autre possibilité : conserver sa motte dans un beurrier breton, aussi appelé beurrier à eau. Il est composé de deux parties. Le récipient, dans lequel on verse de l’eau salée, et son couvercle, qui comprend une cavité à remplir de beurre. Quand on les assemble, « le beurre est à l’abri de l’air, parce qu’il est dans l’eau », explique M. Sigouin. Le bureau de design Jarre propose un joli beurrier breton fabriqué à Montréal, en céramique et Corian. Les boutiques d’articles de cuisine comme Stokes et Ares en vendent aussi. Attention : il faut changer l’eau de ce beurrier régulièrement, tous les jours si possible. « Sinon, l’eau finit par se détériorer et le beurre n’est pas plus en sécurité que dans un beurrier ordinaire », souligne M. Sigouin.

Frigo

Au frigo, le beurre non salé se conserve environ deux semaines, alors que sa version salée peut garder une bonne mine pendant trois ou quatre semaines. Le secret d’un beurre emballant est d’être bien emballé. Le papier d’aluminium le préserve de la lumière et des odeurs. « Si l’emballage d’origine est déchiré, on peut remballer le beurre dans un autre papier d’aluminium », suggère M. Sigouin.

Congélo

Lorsqu’on consomme peu de beurre (ou qu’on veut profiter de soldes pour faire des réserves), le congélateur vient à notre rescousse. « Je conseille de le séparer en morceaux d’un quart ou d’une demi-livre de beurre, dit M. Sigouin. On les emballe dans du papier film, plus hermétique, puis dans du papier d’aluminium, qui protège de la lumière. » Au congélateur, le beurre non salé se conserve trois mois et sa version salée, jusqu’à un an, selon le site Plaisirs laitiers des Producteurs laitiers du Canada.

Peu dangereux

Qu’on se rassure : le beurre est considéré comme un aliment « à risque faible » par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Même une fois altéré, il ne permet « généralement pas la croissance de bactéries nuisibles à la santé », précise le Ministère. Un beurre rance développe un goût et une odeur désagréables, tout en devenant plus foncé. Il suffit alors de couper les parties gâchées – le reste ne nous empoisonnera pas.

Beurre végétal

« Les véganes évitent de consommer du beurre », dit Élise Desaulniers, auteure, végane et directrice générale de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) de Montréal. Loin de se contenter de ne pas manger de viande ou de poisson, un végane refuse toute exploitation – ou souffrance – des animaux.

Or, le beurre, « c’est le produit de l’exploitation des vaches, au même titre que le lait et le fromage, estime Élise Desaulniers. Des vaches qui sont séparées de leurs veaux à la naissance, qui passent la plus grande part de leur vie attachées et qui prendront le chemin de l’abattoir après quatre ou cinq ans, quand leur productivité diminue ».

Toutes les margarines ne sont pas végétaliennes

La solution semble simple : manger de la margarine. Mais plusieurs margarines contiennent de la vitamine D3 (surprise, elle est d’origine animale, contrairement à la vitamine D2) et du lactosérum (aussi appelé petit-lait, ce qui laisse facilement deviner sa provenance).

« Les véganes vont se tourner vers le beurre végétalien Earth Balance ou vers les margarines Becel végétale et Nuvel [Oméga-3, à l’huile d’olive et légère] », précise Élise Desaulniers. Gros hic, plusieurs de ces produits contiennent de l’huile de palme et de palmiste, riche en gras saturés, dont la culture est de surcroît responsable de déforestation en Indonésie et en Malaisie.

Beurre végétal maison

Élise Desaulniers fond pour le beurre végétalien de l’entreprise californienne Miyoko’s, sans huile de palme. Il est notamment fait d’huiles de coco, de carthame et de tournesol bios, en plus de cajous. « On ne le trouve pas encore sur les tablettes au Québec, mais on peut le commander chez Vegan Supply », dit-elle.

L’autre possibilité – moins saugrenue qu’elle en a l’air – consiste à cuisiner soi-même sa margarine végé, ce qui permet de savoir ce qu’on se met en bouche. « Maison Jacynthe propose une super recette, conseille Élise Desaulniers, et France végétalienne aussi. »

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