Opinion Jeter, transformer, conserver et ajouter

Énergie et GES 
Préparer le Québec à la sobriété énergétique

Nous avons demandé à cinq spécialistes ce qu’ils souhaitaient jeter, transformer, conserver et ajouter dans leur secteur d’activité pour la nouvelle année. Aujourd’hui, Pierre-Olivier Pineau aborde le secteur énergétique.

Jeter la manière de payer pour nos routes

Lorsque vous embarquez dans une voiture, vous ne vous demandez jamais : « Combien va coûter ce trajet ? » Normal, parce que presque tout le système routier est « gratuit », ou semble l’être. La manière dont on paie pour les routes est en fait assez nébuleuse, et complètement déconnectée de l’usage. Pas étonnant, donc, qu’on voie de plus en plus de véhicules sur les routes, et particulièrement des plus gros. Ils prennent plus d’espace et, dans le cas des camions de marchandises, abîment beaucoup plus les infrastructures routières. Aucun coût supplémentaire ne leur est cependant demandé pour des dommages. Tout cela est problématique à cause de la congestion et du coût des infrastructures, mais aussi pour contrer les émissions de gaz à effet de serre (GES), en croissance dans le secteur du transport.

Si on payait l’usage de la route de manière plus directe, on ralentirait nos ardeurs à toujours utiliser davantage la voie asphaltée.

Que ce soit pour ces raisons, ou tout simplement parce qu’en électrifiant le transport, le gouvernement va se priver de la taxe sur les carburants (contribuant à financer le système routier), il faut revoir fondamentalement la tarification des routes. Le principe de pollueur-payeur doit enfin primer : les véhicules causant plus de dommages doivent payer davantage. Selon le moment de la journée, la taille et le poids, il devrait enfin y avoir un lien clair entre l’usage de la route et ce qu’on paie.

Transformer l’énergie dans les bâtiments

Nous consommons 30 % de notre énergie dans les bâtiments : 19 % dans le secteur résidentiel et 11 % dans les bâtiments commerciaux et institutionnels. La grande majorité de cette énergie va pour le chauffage – ce qui peut sembler normal dans un pays froid comme le nôtre. 

Cependant, comme nous avons toujours eu accès à de l’énergie à relativement bon marché, nos normes de consommation énergétique dans les bâtiments n’ont jamais été une grande préoccupation.

Pour amorcer la transition énergétique, par contre, on ne pourra pas se satisfaire des coutumes du passé, qui nous ont menés aux problèmes environnementaux de grande envergure que nous pouvons constater aujourd’hui.

Dans le bâtiment, il va donc aussi falloir transformer nos usages de l’énergie. En rendant plus sévères les normes d’enveloppe thermique, en visant même des maisons « passives » (n’ayant quasiment plus besoin d’énergie consacrée au chauffage) et en lançant des chantiers de rénovation majeure des bâtiments existants, pour réduire leur consommation énergétique.

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait que c’est financièrement rentable… même s’il faut attendre un peu plus longtemps que dans d’autres investissements pour toucher les profits. Par ailleurs, la technologie et l’intelligence artificielle vont nous aider à mieux gérer notre consommation. Il faut cependant donner une impulsion première pour transformer nos vieilles habitudes : viser grand, et aligner les incitatifs pour que tout le monde y gagne.

Conserver le SPEDE

Il est méconnu, ce Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES (SPEDE). On y réfère plus souvent sous son surnom de « marché du carbone », même si c’est un marché plutôt inexistant, dans la mesure où les droits d’émission sont donnés et vendus par le gouvernement aux émetteurs de GES, et que ceux-ci ne se les échangent guère.

Le SPEDE est à conserver, et à faire mieux connaître, parce que c’est l’outil le plus prometteur pour nous forcer à réduire nos émissions de GES et atteindre nos cibles de réduction d’émission de GES de 2020 et 2030. Un peu comme les permis de chasse qui aident à gérer les prises des chasseurs et certaines populations animales, les droits d’émission de GES encadrent les émissions. En exigeant que les émetteurs aient un « droit » d’émission (comme un permis de chasse pour les chasseurs), on peut limiter les GES en réduisant le nombre de droits d’émission au fil des ans. C’est exactement ce que font les gouvernements du Québec et de la Californie depuis 2013. Les plafonds d’émissions (c’est-à-dire le nombre de droits d’émission accordés chaque année) sont en décroissance – tout comme les émissions. Il sera primordial d’anticiper le déclin du nombre de droits d’émission disponibles, pour ne pas être pris dans des pénuries. Pour cela, il est important de bien faire connaître et d'expliquer le SPEDE.

Ajouter un plan d’ensemble cohérent

Le Québec, c’est bien connu, a des cibles ambitieuses de réduction de GES, et même de transition énergétique. On vise ainsi 40 % de réduction de la consommation de produits pétroliers pour 2030. On a aussi un outil pour nous contraindre à faire ces changements : le SPEDE, dont on vient de parler. Ce qu’il manque, cependant, c’est un plan concret et assez détaillé pour donner une idée claire de comment on peut atteindre les cibles.

Le gouvernement doit donc donner au Québec un plan intégré sur les trajectoires possibles qui nous mèneront à nos objectifs de 2030. Ce plan doit être ancré dans un aménagement du territoire qui est compatible avec nos ambitions à long terme (réduction de 80 % ou plus des GES) tout en préservant les écosystèmes et les terres agricoles. Ce plan se fait attendre depuis longtemps – c’est pourtant un guide essentiel qui va unifier les différentes initiatives déjà en marche, et toutes celles qu’il reste à mettre en œuvre.

Pierre-Olivier Pineau est coauteur d’État de l’énergie au Québec 2019, un document synthèse sur le système énergétique québécois

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