France

Le premier pas d'un chemin pavé d'embûches

Des députés tentent de faire enchâsser le droit à l'avortement dans la Constitution

En France, le droit à l’avortement a franchi un cap « historique » lorsque la majorité des députés a approuvé l’entrée du droit à l’avortement dans la Constitution, jeudi dernier. Mais le chemin reste long – voire bloqué – avant de passer du symbole à la pratique.

Adopté à 337 voix pour et 32 voix contre – sur 557 votants –, le projet de loi porté par La France insoumise, parti de gauche, semble avoir largement convaincu les députés français. Pourtant, cet enthousiasme ne suffit pas. Après le vote de la chambre basse, la loi doit franchir encore plusieurs obstacles législatifs.

« Cette proposition de loi n’a aucune chance d’aboutir », déplore Albane Gaillot, ex-députée française et défenseure du droit à l’avortement, quand on la questionne sur le vote de l’Assemblée nationale française.

Le passage du projet de loi par la chambre haute française s’annonce comme une étape difficile. Déjà, en octobre 2022, le Sénat a rejeté le projet de loi visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception de Mélanie Vogel, sénatrice écologiste. En effet, ce n’est ni la première ni la dernière tentative des députés pour faire entrer le droit à l’avortement dans la Constitution. Encore ce lundi, l’Assemblée nationale devrait voter un projet de loi similaire du groupe parlementaire Renaissance, parti du président Emmanuel Macron.

La solide loi Veil

Garanti depuis le 17 janvier 1975 par la loi Veil, le droit à l’avortement reste régulièrement contesté en France. Malgré des discours a priori rassurants, comme celui du nouveau président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, qui tweetait le 25 juin qu’« aucun mouvement politique sérieux ne remet en cause en France la loi Veil », les positions des partis de droite restent ambiguës. Le RN revendique par exemple un « droit à l’IVG, mais pas son encouragement ».

En réaction aux contestations, la France élargissait déjà la période d’accès à l’avortement à 14 semaines de grossesse en février 2022. Même si les délais restent courts comparativement à ceux d’autres pays occidentaux comme l’Angleterre ou les Pays-Bas et leurs 24 semaines, ces avancées placent la France au cœur du débat international. « Notre pays parle au monde », a déclaré la présidente de La France insoumise à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, lors d’une séance dans l’hémicycle.

« Le vote d’hier est historique et un signe fort au regard des régressions et des attaques au droit à l’avortement partout dans le monde », a souligné Albane Gaillot.

Parmi ces régressions, celle des États-Unis fait le plus parler.

« Ç’a été une onde de choc pour la majeure partie de la planète de voir que les États-Unis, qui sont censés être un modèle de démocratie libérale, pouvaient remettre en question ce droit. C’est l’impulsion qui a poussé le débat en France. »

– Isabelle Duplessis, spécialiste en droit international et professeure à l’Université de Montréal

Le 24 juin 2022, la Cour suprême des États-Unis revenait en effet sur l’arrêt Roe c. Wade, permettant ainsi aux États de légiférer eux-mêmes sur la question. Le Texas, l’Idaho et le Tennessee, notamment, se sont placés l’un après l’autre en défaveur de ce droit anciennement fondamental, faisant perdre au pays son rôle de précurseur en matière de libertés.

Selon Isabelle Duplessis, spécialiste en droit international et professeure à l’Université de Montréal, cette décision retentissante serait tout de même le résultat d’un long cheminement. « Ça fait longtemps que tout cela se trame aux États-Unis, depuis l’adoption de Roe c. Wade. Immédiatement, il y a eu des attaques », souligne-t-elle.

Et le Canada ?

Où se situe le Canada dans ce débat ? Ici, pas question de légiférer. Après que les débats ont mené, sous la direction du médecin Henry Morgentaler, à une dépénalisation de l’avortement pour garantir le droit à la sécurité de la personne dès 1988, un vide s’est créé. « Il n’y a rien au Canada, c’est un vide juridique et c’est très bien ainsi », explique Isabelle Duplessis. Seules les provinces ont le pouvoir de donner accès à l’avortement. Un devoir qui dépend du droit à la santé.

L’absence de législature, si elle rend le droit à l’avortement presque complet, pose tout de même un autre problème. « Sans être dans le nord du Canada, dans certaines provinces, comme le Québec, la superficie est un problème [pour avoir accès à un avortement]. On dit que c’est légal, que tout est permis… Oui, d’accord, mais il faut être capable d’appliquer l’accès à l’avortement », conclut la spécialiste.

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