Chronique 

Inégaux devant la pandémie

Nous ne sommes pas tous égaux devant la pandémie.

Comment rester chez soi si on n’a pas de chez-soi ?

Comment couvrir ses besoins de base en temps de crise si on peine déjà à le faire en temps normal ?

Comment se sentir en sécurité en restant à la maison si cette maison est violente ?

Si la COVID-19 et la crise qui en découle affectent toute la société, certains groupes sont plus touchés que les autres, souligne une analyse de l’Observatoire québécois des inégalités. Pensez par exemple aux gens en situation de pauvreté – on estime que 10 % de la population québécoise n’arrive pas à couvrir ses besoins de base. Pensez aux gens qui souffraient déjà d’isolement social avant la pandémie – c’est le cas de 19 % des personnes de 65 ans et plus. Pensez aux femmes, qui sont majoritairement au front dans le système de santé et des services sociaux – 80 % de la main-d’œuvre dans ce secteur au Québec. Pensez aux gens que la maladie ou d’autres épreuves ont déjà fragilisés.

Le Québec est la société la plus égalitaire en Amérique du Nord. Et Nicolas Zorn, directeur de l’Observatoire québécois des inégalités, a bon espoir que ce sera encore le cas une fois l’épreuve de la pandémie traversée. « Il y a un esprit de solidarité qui manifestement balaie le Québec présentement. On est conscients que l’on est tous dans le même bateau. Et on semble vraiment vouloir faire front commun contre cette crise sanitaire et socioéconomique. »

Il est rassurant de voir que les autorités gouvernementales font beaucoup d’efforts pour s’assurer que les personnes qui seront les plus touchées puissent être épaulées. 

« On voit qu’il y a vraiment un désir de la part du gouvernement non seulement d’agir, mais également de bien faire les choses et de ne pas en échapper. »

— Nicolas Zorn, directeur de l’Observatoire québécois des inégalités

Cela dit, lorsqu’on travaille dans l’urgence, il y a parfois des angles morts. C’est la raison pour laquelle l’Observatoire québécois des inégalités publie cette analyse ainsi que des propositions de mesures potentielles à adopter pour atténuer les contrecoups de cette crise sur les populations vulnérables. « Le but est d’aider à la prise de décision avec des connaissances scientifiques qui se veulent accessibles et crédibles. Parce que c’est le temps d’agir. »

Doctorant en science politique, Nicolas Zorn sait trop bien la différence qu’un système qui prend soin des plus vulnérables peut faire dans une vie. Il est lui-même un enfant du modèle québécois. Grâce à ce modèle, il est passé des centres jeunesse à l’université. En octobre dernier, dans le cadre de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, il a d’ailleurs tenu à aller exprimer sa reconnaissance à tous les intervenants du système qui lui ont permis de se relever.

Nicolas Zorn a déjà raconté son parcours dans un livre intitulé J’ai profité du système (Somme toute). « J’ai profité du système dans le bon sens du terme. Je n’ai pas eu une enfance facile. J’avais des problèmes de comportement quand j’étais jeune. Mes parents se sont séparés quand j’avais 5 ans. Mon père est décédé quand j’en avais 8. Je suis allé en centre jeunesse à 11 ans. J’en suis sorti à 18 ans. »

Décrocheur, il a pu raccrocher grâce à des programmes d’aide. Il est aujourd’hui en train de terminer un doctorat à l’Université de Montréal, ce qui aurait été mission impossible sans filet social. « Le fil conducteur dans tout ça, c’est que j’ai eu droit à beaucoup de deuxièmes chances dans la vie. Et ça, c’est particulier à notre société. Si j’étais né ailleurs – ce qui aurait très bien pu arriver, mon père étant américain, j’aurais pu naître en Louisiane comme lui –, je n’aurais pas eu accès à des services, tout comme lui n’a pas pu avoir accès aux services auxquels j’ai eu droit. »

Bien que le filet social coûte très cher, il demeure rentable. Humainement, bien sûr. Mais aussi, d’un strict point de vue comptable, car il permet à gens de se relever et de devenir des citoyens actifs qui paient des impôts. « Ne rien faire, ça coûte encore plus cher. »

Ce filet social est aujourd’hui plus important que jamais. L’une des mesures proposées par l’Observatoire québécois sur les inégalités est de rassembler autour d’une même table les principaux experts et organisations œuvrant auprès des plus vulnérables afin de cerner en temps réel les problèmes particuliers qu’ils vivent et d’y trouver des solutions.

La gravité de la crise actuelle fait en sorte que les organismes qui viennent en aide aux plus vulnérables sont eux-mêmes devenus très vulnérables. 

Si vous avez un OSBL qui compte 2 employés et 25 bénévoles qui ne peuvent plus se déplacer dans un contexte où les besoins sont criants, que faire ? Il faudra notamment penser à un soutien accru aux organismes communautaires et à un effort national de recrutement de bénévoles à distance et de don de matériel informatique pour réduire l’isolement des personnes vulnérables.

On trouve en ce moment, d’un côté, des gens confinés à la maison qui ont du temps et sont capables de donner un coup de main et, de l’autre, des gens qui souffrent d’isolement. « Ça ne prend pas grand-chose pour les mettre ensemble. Si on avait un premier ministre qui lançait cet appel demain matin comme il l’a fait avec succès avec le slogan “Propage l’info, pas le virus”, j’ai l’intuition que la population pourrait tout à fait répondre à son appel avec le même enthousiasme. Mais il faudra évidemment prévoir le coup et donner à l’avance les ressources nécessaires aux gens qui vont accueillir ces bénévoles. »

C’est le temps d’innover, souligne Nicolas Zorn, en espérant que les mesures que son observatoire propose pour atténuer les conséquences de la crise soient une source d’inspiration. « On est une société qui compte un bon nombre d’innovations sociales à notre actif. Je ne serais pas surpris que le Québec innove de nouveau. »

Parole d’un homme qui a « profité » du système.

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