Une foi persistante chez les Autochtones

L’été dernier, des incendies ont été allumés dans quelques églises de l’Ouest, après les révélations sur les tombes anonymes trouvées près des anciens pensionnats pour Autochtones. Mais les excuses du pape François, début avril, ont ému les communautés. Portrait du christianisme autochtone au pays.

Sauge et tambours

Quand il est arrivé à l’Université York pour ses études de musique, Roger Twance a été nommé président de l’Association des étudiants autochtones. Il a d’abord organisé le premier pow-wow de l’histoire de l’établissement de Toronto. « J’ai vu la grande entrée des participants avec les costumes, la sauge et les tambours et j’ai été ramené dans le Rouyn catholique de mon enfance », explique l’homme de 45 ans, qui est portier à la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes dans le Quartier latin. « La coiffe de plumes, c’était comme la mitre. Il y avait des bâtons, des habits qui ressemblaient à la chasuble. »

Un quart de siècle plus tard, M. Twance organise des messes pour Autochtones à Montréal qui réunissent les deux traditions. « On brûle de la sauge au lieu de l’encens, il y a des tambours et des chants autochtones à l’entrée et durant les moments de prière. L’an dernier, Mgr Faubert [un évêque auxiliaire] était le célébrant et on a prié pour Joyce Echaquan, Raphael André [mort une nuit d’hiver pendant le couvre-feu, au début 2021] et les enfants morts dans les pensionnats autochtones. » Les parents de M. Twance, qui envisage de devenir diacre, étaient des Ojibwés de l’Ontario. Il a lui-même été élevé par ses grands-parents, les parents adoptifs blancs de sa mère.

Les ancêtres

L’importance des aînés dans les communautés autochtones freine la désaffection des jeunes adultes à l’égard de l’Église catholique, selon plusieurs catholiques autochtones interviewés par La Presse. « Dans les cultures autochtones, les grands-parents sont très impliqués dans l’éducation des enfants, et les aînés d’aujourd’hui ont eu des liens très forts avec les prêtres missionnaires », explique Cristino Bouvette, un prêtre cri et métis de Calgary. « Quand les étudiants universitaires rentrent pour Pâques, souvent ils accompagnent leurs grands-parents à la messe. »

M. Twance pense même que cela explique en partie la dévotion à sainte Anne, la grand-mère de Jésus, dont la fête en juillet est l’occasion de dizaines de pèlerinages autochtones au Canada. Le pape François a dit début avril qu’il aimerait visiter les Autochtones canadiens à ce moment.

Le poids des aînés retarde même l’intégration de traditions autochtones à la liturgie catholique. Marie-Josée Wapistan est une leader de spiritualité autochtone de Natashquan. Elle organise notamment des cérémonies de la pleine lune dans des tentes de sudation, ainsi que des danses du soleil. Elle explique que les aînés de Natashquan s’opposent à l’intégration de ces traditions au pèlerinage vers la « montagne Bleue » pour la Sainte-Anne. « On avait un prêtre très strict ici et les aînés ont été marqués, dit Mme Wapistan. Nous, on respecte les aînés. On va à la messe avec eux comme ils le veulent. Le dimanche, on va à l’église ici et ensuite on écoute la messe de Sainte-Anne-de-Beaupré. »

Afrique et Côte-Nord

Ali Nnaemeka est l’un des deux prêtres oblats originaires d’Afrique qui œuvrent auprès des Innus de la Côte-Nord. Arrivé ici voilà près d’une dizaine d’années, il est fasciné par le parallèle entre le christianisme chez les Autochtones et celui des pays africains. « Nous sommes des peuples victimes du colonialisme, mais au Nigeria et en Afrique en général, les gens choisissent soit le christianisme, soit la spiritualité traditionnelle, dit le père Nnaemeka. Ici, le christianisme est vraiment intégré, ou du moins il cohabite avec l’Église. C’est bien, parce qu’on essaie de plus en plus d’ancrer la liturgie dans les pratiques locales. Alors, on peut faire non seulement des messes avec de la sauge et du tambour, des danses, mais aussi des baptêmes en plein air. »

De nombreux anthropologues ont noté qu’il y a 100 ans, les peuples autochtones qui étaient encore nomades se réunissaient souvent l’été près des cours d’eau pour se retrouver en groupe et célébrer les naissances et les mariages. Les missionnaires oblats ont souvent profité de ces occasions pour les évangéliser. Eva Solomon est un bon exemple de cette fusion. « Je suis religieuse catholique, mais aussi porteuse du calumet sacré et je pratique les cérémonies de sudation », explique l’Anishnabe ontarienne, qui est membre des sœurs de Saint-Joseph.

Notre Père en innu

Parmi les adaptations du christianisme à la culture autochtone, la théologienne Anne Doran note que le Notre Père est légèrement différent en innu. Au lieu de « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », on dit : « Pardonne-nous quand nous t’avons fâché comme tu pardonnes à ceux qui nous ont fâchés ».

« Dans la culture innue, chaque personne a en elle un élément spirituel personnel, dit la théologienne de l’Institut de pastorale des dominicains. Alors la relation avec Dieu est directe, personnelle, constante. » Mme Solomon ajoute que le concept anishnabe des « sept grands-pères », qui illustrent les vertus désirables, peut être comparé aux dix commandements judéo-chrétiens.

De son côté, Roger Twance a toujours été frappé par la similitude entre la création du monde dans la Bible et les traditions autochtones. « Nous sommes ici depuis 10 000 ans et nous avons exactement la même conception, dit M. Twance. Anishinabe, ça veut d’ailleurs dire “créé à partir de rien”, comme quand Dieu a créé Adam et Ève. »

De 70 % à 100 %

Proportion des bébés qui sont baptisés dans les communautés innues de la Côte-Nord

Sources : Ali Nnaemeka, Gérard Tsatsela et Gérard Boudreau

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