Critique/Madame Bovary

Flaubert à Boucherville

Cet été, on sort ! Avant un spectacle, après une randonnée ou dans le cadre d’une escapade, nos critiques mettent à l’essai des restaurants un peu partout dans la grande région de Montréal. Cette semaine, le spectaculaire Madame Bovary, à Boucherville.

J’avoue que je trouve le nom de ce restaurant, Madame Bovary, plutôt audacieux, sachant que le roman éponyme de Gustave Flaubert, qui date de 1857, parle essentiellement d’ennui en province. Emma Bovary est consumée par des rêves vains, perdue dans son patelin, loin de ce qu’elle imagine comme des univers vivants et salvateurs.

Appeler ainsi un établissement de Boucherville niché dans un petit centre commercial, sur un stationnement du boulevard de Mortagne, entre un magasin d’équipement de golf et une salle de quilles, est-ce donc un pied de nez aux préjugés contre la banlieue, donc à lire au 14e degré ? Ou est-ce une gentille taquinerie pour celles qui iront y passer leurs belles soirées en quête d’étincelles ?

Aménagé par Amlyne Phillips – à qui l’on doit aussi notamment le Jatoba, autre projet du groupe A5 derrière ce nouveau-né de la Rive-Sud –, ce restaurant tout neuf impressionne par son immensité. On parle ici de quelque 10 000 pi2 divisés en différents espaces aux fonctions diversifiées. Là il y a des canapés pour discuter et prendre un verre, plus loin on aperçoit huit tables de billard, ailleurs c’est un karaoké, tandis que le long du couloir, un espace vitré attend des appareils de loterie vidéo. Pour manger, on s’installe plutôt à l’avant.

Dans la communication qui a entouré l’ouverture des lieux plus tôt ce printemps, on a parlé de décoration victorienne. Moi, j’ai plutôt eu l’impression d’être à La Nouvelle-Orléans. Quoi qu’il en soit, l’heure est à la rencontre des plantes et du bois, de bibliothèques et de chandeliers baroques et de fougères généreuses.

On est loin, très loin des décors de l’univers de Flaubert, soit la bourgeoisie de la province française. Mais on est dans la fantaisie romanesque, ça oui. 

À table aussi, la trame narrative du chef Julien Messier part dans une autre direction que la France ou le pub classique. Le menu propose plutôt tartares de canard, croquettes de crabe, joues de porc braisées, tataki de thon… On fait donc face à une sorte de vitrine des meilleurs vendeurs des 10 dernières années, tous restaurants grand public confondus. Même la salade de betteraves et chèvre est au rendez-vous, entre un tartare de thon au yuzu et des pogos à la sauce au cheddar fumé.

Est-ce bon ? Plutôt, oui. Tous ces « petits plats » à partager sont copieux, composés de nombreux ingrédients contrastés et présentés de façon spectaculaire, comme c’était la mode il y a quelques années. Mais cela n’empêche pas les bouchées d’être intéressantes. Et si j’avais réussi à trouver un vin blanc sympathique sur la courte carte – et si la serveuse avait pris la peine de remarquer que mon pinot grigio, après deux essais de vin ratés, était bouchonné –, j’aurais franchement aimé mon repas.

On aime les pousses de roquette qui donnent du relief à la salade de chèvre et de betteraves jaunes et rayées, ponctuée aussi de chips de betteraves rouges. De l’avocat en purée, du radis bien frais et des graines de soja – edamame – ainsi que du tobiko – œufs de poisson volant – ajoutent aussi de la complexité au plat de tataki de thon aux tranches de poisson bien rouge.

Parfois, un ingrédient surprend, comme le pamplemousse amer du mois de juin qui accompagne le ceviche de vivaneau au citron Meyer. Mais on n’est pas ici dans un restaurant qui prétend proposer une cuisine du marché ou saisonnière. Et on ne fait pas semblant d’être en accord avec le calendrier, en proposant, par exemple, une joue de porc braisée avec purée de céleri rave, composition bien automnale avec ses champignons.

Mais ceux qui tiennent à rester en saison peuvent commander un joli plat d’asperges, où tiges blanches grillées et vertes en tempura, tendres, mais encore juste assez croquantes sous la dent, partagent la vedette avec de la salicorne, des petits oignons cipollini braisés et des copeaux de parmesan.

Pour le dessert, il n’y avait qu’une seule option : des beignets. Dommage. Ils étaient plutôt lourds, ennuyeux, bien que servis chauds et donc très frais, avec de la sauce au caramel. On se serait attendu à plus d’opulence et de diversité, vu le reste de toute cette spectaculaire proposition.

Notre verdict

Prix : Petits plats entre 5 $ et 16 $.

Carte des vins : Courte, plutôt abordable, mais à la recherche de valeurs sûres dans l’air du temps – notamment quelques vins biologiques – qui manquent de finesse.

Service : gentil, mais avec des lenteurs. Pas de sommelier.

Ambiance : Vivante.

Décor : Spectaculaire, avec beaucoup de bois, de plantes, des bibliothèques, des lustres et du verre taillé, mais aussi du carrelage à motifs. Certains diront que tout ça est plutôt victorien, d’autres évoqueront La Nouvelle-Orléans. Le site web parle d’un « beer garden ». Oh, et il y a plein de tables de billard et bientôt des appareils de loterie vidéo.

Plus : La cuisine convenue, mais bien faite, l’espace.

Moins : La carte des vins.

On y retourne ? Peut-être, si l’envie nous prend de faire du karaoké en banlieue et de jouer au billard après, avec de la sangria.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.