MASQUE QUÉBÉCOIS

Testé, approuvé, louangé… mais bloqué

Au moment où l’équipement de protection médicale est rationné dans des hôpitaux débordés en raison de la COVID-19, la CNESST bloque l’utilisation d’un masque québécois... dont l’achat avait pourtant été recommandé aux hôpitaux par Québec.

Les masques N99 de Dorma Filtration sont plus efficaces que les fameux N95 achetés aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Ils sont plus confortables. Ils coûtent moins cher, car ils sont stérilisables et réutilisables. Et ils sont entièrement conçus et fabriqués au Québec.

Le masque a passé tous les tests et reçu l’approbation de Santé Canada. L’enthousiasme était tel que le ministère de l’Économie a donné une subvention pour démarrer la production. Une firme du Saguenay, Sefar BDH, a fourni le filtre, et une usine de fabrication de pièces d’automobiles de Sherbrooke, MI Intégration, a mis sur pied une chaîne de montage avec 40 employés.

Les commandes ont démarré en lion...

Mais voilà qu’un fonctionnaire de la CNESST, qui veille à la santé et sécurité du travail, a trouvé un problème. Un règlement stipule que tout appareil de protection respiratoire (APR) doit être approuvé par l’Institut national de la santé des États-Unis, le NIH. Le NIH délivre en effet des certifications (NIOSH). Pas de NIOSH, pas d’autorisation au Québec.

Sauf que pendant la pandémie, les laboratoires du NIH étaient fermés aux produits étrangers, et ils viennent à peine de rouvrir. Il faudra « au moins trois mois » avant d’obtenir cette certification américaine.

C’est justement pour cette raison, et pour faire face à la pénurie, qu’Ottawa avait émis un décret le 18 mars, au tout début de la pandémie. Ainsi, on pourrait certifier le matériel ici et, si possible, le produire au Canada, plutôt que de dépendre d’arrivages étrangers au double ou au triple du prix... quand on les obtient.

Santé Canada estime que sa certification remplit et même surpasse les exigences américaines, et que le masque de Dorma peut être utilisé en toute sécurité. Un masque N95 filtre 95 % des particules volatiles, celui de Dorma, 99 %.

Mais apparemment, la CNESST estime que le règlement... c’est le règlement.

« Le gouvernement nous a laissés tomber », dit le DRené Caissie, concepteur du masque. Le chirurgien maxillo-facial a laissé sa pratique de côté pour se consacrer entièrement à ce projet. J’ai écrit plusieurs fois à son sujet. Il a commencé par inventer un masque artisanal, puis a participé à d’autres projets avant de concevoir ce masque en résine moulée, au bout duquel on installe un filtre en papier.

« On a monté une équipe d’experts québécois, dit le DCaissie ; on a mis ensemble des entreprises d’ici, on a fait tester le produit au Conseil national de la recherche du Canada, on l’a fait approuver, il répond aux normes les plus exigeantes, le gouvernement nous a même subventionnés, on a investi des millions et on est extrêmement fiers du résultat. Mais là, on se sent abandonnés, on est très déçus. »

Ce qu’on ne comprend pas, surtout, c’est que la CNESST se comporte comme s’il n’y avait pas d’urgence ou que les certifications canadiennes n’étaient pas valides.

Pendant ce temps, chez MI Intégration à Sherbrooke, 40 personnes employées pour produire d’urgence ce masque 24 heures sur 24 attendent depuis plus de deux mois.

« On a mis de côté tout notre volet ingénierie d’innovation pour les pièces automobiles, dit le président, Vincent Houle. Santé Canada nous mettait de la pression, tout le monde voulait que ça arrive rapidement, on a loué de l’équipement, entreposé du matériel pour libérer une surface de 10 000 pi2, on a fait des heures supplémentaires, embauché 40 personnes, et après avoir livré 80 000 masques à Sacré-Cœur et Pierre-Boucher, il a fallu tout arrêter... »

On a eu beau demander plus d’explications à la CNESST, l’affaire est demeurée lettre morte. C’est l’article 45, qui parle de la certification NIOSH... Rien à faire.

Le ministre Jean Boulet, de qui relève la CNESST, n’était pas au courant. Il s’est dit jeudi soir « très préoccupé de la situation qui vient d’être portée à son attention ». « Nous devons accélérer l’analyse pour répondre à la demande, a-t-il ajouté par écrit. Vu l’urgence du contexte pandémique actuel, nous nous assurerons que la décision de la CNESST quant à l’utilisation de ces APR soit rendue dans les meilleurs délais possibles. »

Aux responsables de Dorma, la CNESST a simplement invoqué l’absence de certification américaine. Au ministre, on a dit qu’il y a « d’autres analyses à faire ».

Tout ça au moment où le débat sur la transmission par aérosols prend de l’ampleur et où les syndicats sonnent l’alarme sur... le manque d’équipement de protection respiratoire.

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