Éducation

Des données obtenues par La Presse montrent que les élèves faisant l’école à la maison réussissent moins bien que leurs comparses les examens du Ministère, mais ils ne semblent pas largués pour autant.

Examens du Ministère

Les élèves qui font l’école à la maison ont de moins bons résultats

Les élèves québécois qui font l’école à la maison, obligés pour la première fois en juin 2022 de passer les examens de fin d’année du Ministère, ont obtenu des résultats généralement inférieurs à ceux des élèves qui fréquentent l’école, particulièrement en mathématiques. Mais l’écart relativement faible rassure des experts et des parents consultés par La Presse.

Ces données inédites, qui montrent un écart moyen aussi minime que 2,4 % en lecture pour les élèves de 6année, et allant jusqu’à 11,3 % en raisonnement mathématique pour les élèves du même groupe d’âge, proviennent d’une série de demandes d’accès à l’information faites par La Presse auprès de quatre différents centres de services scolaires de Montréal et de sa région.

Le Québec compte 7892 enfants qui sont dispensés de leur obligation de fréquenter l’école parce qu’ils reçoivent un enseignement à la maison. Le gouvernement Legault, disant vouloir « assurer les mêmes chances de réussite et de diplomation » à tous, a obligé pour la première fois tous ces enfants, qui sont d’âge de 4e et de 6e année, ainsi que de 2e secondaire, à passer les épreuves obligatoires du Ministère en juin dernier.

Ce changement réglementaire est âprement contesté par l’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED), qui poursuit le gouvernement avec l’avocate Anne-France Goldwater pour le faire invalider.

L’AQED et ses 1800 familles membres (représentant 4000 enfants scolarisés à domicile) affirment qu’environ la moitié des enfants qui font l’école à la maison ont été retirés du réseau scolaire parce qu’ils ont des troubles d’apprentissage que l’école n’arrive pas à prendre en charge adéquatement.

Les forcer à subir des examens de fin d’année est « encore plus anxiogène » pour eux parce que cela oblige certains enfants à « renouer avec le lieu qui les a traumatisés » et les « confronte à des circonstances distinctes de leur expérience éducative habituelle », plaide l’organisme dans son action judiciaire. De nombreux parents se sont également plaints que les centres de services scolaires (CSS) ne leur ont pas donné accès aux ressources éducatives nécessaires pour préparer leurs enfants à passer les tests.

Écarts différents d’un CSS à l’autre

Or, les données colligées par La Presse suggèrent que la catastrophe appréhendée n’a pas eu lieu. Si les notes sont en moyenne inférieures pour les élèves scolarisés à domicile, dans certains cas d’exception, ceux-ci ont fait légèrement meilleure figure que les élèves du cursus habituel. C’est notamment le cas pour les examens de lecture et d’écriture de 6e année au CSS de la Pointe-de-l’Île, ainsi qu’en résolution de problème mathématique au CSS Marguerite-Bourgeoys.

À la commission scolaire anglophone English-Montréal, seul l’examen de mathématique de 6e année était obligatoire en vertu du règlement. Les 29 élèves faisant l’école à domicile ont obtenu une meilleure note moyenne dans le test de raisonnement mathématique (74 %) que leurs confrères de l’école (70,5 %). Les résultats étaient quasi identiques au test de résolution de problème mathématique (70 % contre 71,8 % à l’école).

« Wow ! Pour des enfants qui n’ont jamais fait d’examens à l’école, de voir qu’ils arrivent à des résultats semblables [à ceux du cursus ordinaire], c’est une belle surprise », s’exclame Arianne Guay, une mère dont les deux garçons scolarisés à domicile ont dû se soumettre aux examens obligatoires, en 6année et en 2secondaire, en juin dernier.

Ses deux enfants ont eu un « beau niveau » de soutien du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys dans leur préparation avant les examens, assure Mme Guay. « On a eu des rencontres avec les gens du CSS pour chaque examen. Les enfants ont pu regarder les examens antérieurs et bien se préparer aux questions, explique-t-elle. Mais on a aussi mis le paquet à la maison. On a retenu les services d’un orthopédagogue, et on s’est mis beaucoup de pression. Je ne voulais pas que mes gars échouent lamentablement », explique la mère.

Au CSS de Laval, un phénomène inverse s’est produit : à l’examen de raisonnement mathématique de 6e année, la moyenne des élèves qui font l’école à la maison est en dessous de la note de passage, à 58,9 %, contre 82,1 % pour les élèves de l’école ordinaire. Il faut cependant prendre cette donnée avec prudence, puisque seulement 9 élèves dispensés de fréquenter l’école y ont fait l’examen (contre 3828 élèves à l’école ordinaire), ce qui fait en sorte qu’un échec peut fortement jouer sur la moyenne.

Sans commenter directement les résultats compilés par La Presse, le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’est dit « sensible à la situation » et a promis d’offrir « davantage d’accompagnement » aux parents si nécessaire.

Les formats d’examen

Selon Christine Brabant, professeure et chercheuse spécialisée en éducation à domicile au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal, les résultats concordent avec ce qu’affirme la littérature scientifique. « En général, on voit une tendance à ce que les résultats soient équivalents ou supérieurs pour les enfants qui apprennent en famille, sauf en mathématiques, où généralement, cet avantage n’est pas là », indique la chercheuse.

L’écart plus marqué en mathématiques s’expliquerait, selon elle, par la façon dont les examens sont conçus.

« [Les examens] d’écriture sont moins formatés. Mais pour ce qui est de la lecture ou des mathématiques, il y a une certaine formule. C’est à force d’en faire qu’on finit par connaître leur fonctionnement. »

— Christine Brabant, professeure et chercheuse spécialisée en éducation à domicile à l’Université de Montréal

« Ça soulève aussi toute la question de l’entraînement [aux examens] », souligne pour sa part l’orthopédagogue Yvon Magnette, spécialisé en éducation à domicile.

« De 5 à 8 % d’écart, c’est très bien, surtout quand on considère que les élèves de l’école régulière sont soumis régulièrement au même modus operandi pour l’évaluation, alors que les familles qui font l’école à la maison favorisent les apprentissages réalistes, concrets. Fabriquer un nichoir pour oiseaux, par exemple, est pour eux une occasion d’apprendre certaines notions de mathématiques », relate-t-il.

Il faut cependant faire attention à ne pas faire dire à ces résultats ce qu’ils ne révèlent pas, préviennent les deux experts. Le ministère de l’Éducation précise sur son site web que les examens obligatoires annuels sont conçus dans une « perspective de régulation de système » plutôt que dans le but de comparer les élèves entre eux. « Ils servent à vérifier si les enseignants donnent bien la matière sous forme de compétence », nuance Mme Brabant.

Par ailleurs, d’un point de vue statistique, le faible échantillon d’élèves faisant l’école à la maison (entre 10 et 20 par niveau à la maison dans chaque CSS, contre de 2500 à 4000 dans les écoles) pourrait être la cause d’importants écarts de moyenne.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Aucun résultat colligé au Ministère

Même si le gouvernement Legault a obligé les enfants scolarisés à la maison à passer les examens du Ministère pour leur assurer « les mêmes chances de réussite et de diplomation », le ministère de l’Éducation, lui, n’a colligé aucun résultat pour ces enfants après les examens de juin 2022.

Ces épreuves sont « administrées et corrigées par les écoles, les centres de services scolaires et les commissions scolaires [anglophones] », a précisé le Ministère dans sa réponse écrite à notre demande d’accès à l’information, mais ces derniers n’ont aucune obligation de lui transmettre les résultats.

Le centre de services scolaire des Affluents, dans Lanaudière, nous a aussi indiqué qu’il n’était pas en mesure d’établir de note moyenne pour les 56 élèves scolarisés à domicile dans sa zone de couverture. « Nous ne pourrions pas établir cette donnée sans que nous consultions les renseignements concernant chaque élève, individuellement », nous a expliqué l’avocate Laurence Gascon, responsable de l’accès aux documents au CSS des Affluents. Or, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels limite l’accès aux informations « dont la communication ne requiert ni calcul ni comparaison de renseignements », a-t-elle justifié.

« C’est paradoxal. Depuis quelques années, on ressent la pression du Ministère pour qu’il y ait toujours plus d’encadrement de l’éducation à la maison, et d’un autre côté, on voit qu’ils ne veulent pas avoir les chiffres. »

— Yvon Magnette, orthopédagogue spécialisé dans l’éducation à domicile

Cette absence de données ne surprend pas Christine Brabant, professeure et chercheuse spécialisée en éducation à domicile au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal. « Le ministère [de l’Éducation] récolte peu de données. Avant, ils avaient une direction de la recherche, mais ils n’ont presque plus de chercheurs », souligne-t-elle.

Quelques « 0 % » volontaires

La Presse a aussi appris que plusieurs familles faisant l’école à la maison ont incité leurs enfants à se rendre aux examens obligatoires du Ministère en juin dernier, mais à ne pas les remplir, pour avoir volontairement une note de « 0 % ».

Nos données montrent que c’est le cas d’au moins 37 enfants dans la région montréalaise, sur un total d’environ 500 enfants dispensés de fréquentation qui ont fait les examens. Leurs notes n’ont pas été prises en compte dans les moyennes globales aux examens obligatoires du Ministère.

L’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED), qui représente 1800 familles faisant l’école à domicile, assure ne pas avoir encouragé ses membres à agir de la sorte, mais indique qu’elle a préalablement obtenu l’assurance et informé ses membres qu’une note de « 0 % » n’aurait aucune conséquence sur le droit des parents de poursuivre l’éducation à domicile.

« Il n’y a aucune obligation de résultat », soutient la présidente de l’AQED, Marine Dumond-Després. « Les CSS envoient une lettre aux parents prouvant que l’enfant a été présent à l’examen. Le parent a juste à transmettre cette lettre-là, qui ne contient pas la note, au ministère [de l’Éducation], pour que la petite case disant que la famille a rempli ses obligations soit cochée », ajoute-t-elle.

« Ce qui compte, c’est que l’enfant se présente. S’il se présente et ne fait qu’écrire son nom, ça ne change rien au final. L’obligation a été accomplie. »

— Marine Dumond-Després, présidente de l’Association québécoise pour l’éducation à domicile

Questionné à ce sujet, le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a dit trouver cette situation « préoccupante » et a indiqué qu’il demanderait un « portrait complet » aux responsables du Ministère. « Nous ne ferons aucun compromis à cet effet », a affirmé la porte-parole du ministre, Florence Plourde.

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