Nadia, Butterfly 

Un portrait authentique

Même si le récit est campé dans le monde de la natation de haut niveau, Nadia, Butterfly n’a rien du drame sportif habituel. C’est ce qui rend si particulier ce film qui, rappelons-le, fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2020.

Pascal Plante propose plutôt une étude psychologique fascinante sur une athlète olympique qui, après avoir pris la décision de se retirer, appréhende ce que la vie lui réservera dans un monde où le cadre dans lequel elle a pratiquement toujours évolué n’existera plus.

Le regard que pose le cinéaste sur le milieu de l’élite sportive est d’autant plus vrai qu’il est nourri d’observations qu’il a lui-même pu faire à titre de nageur.

Le réalisateur des Faux tatouages impose sa vision dès le départ en filmant une compétition de façon intime. Au cours du relais 4 X 100 mètres quatre nages, auquel Nadia Beaudry (Katerine Savard) participe à titre de spécialiste du style papillon, sa caméra ne quitte jamais la protagoniste, même quand cette dernière reste au bord de la piscine et attend son tour avant de plonger. D’emblée, cette approche indique une volonté d’explorer le monde intérieur d’une athlète plutôt que de s’attarder à ses exploits, même si le contexte est très réaliste.

Tourné en partie à Tokyo, le film se déroule dans un monde où les Jeux olympiques de 2020 se seraient tenus comme prévu. Ce relais pour l’équipe nationale constitue le dernier tour de piste de Nadia, une jeune femme qui, après des années d’entraînement pour atteindre le plus haut niveau de sa discipline, devra désormais se définir autrement qu’à titre de nageuse et par le statut que lui valent ses performances. Le récit parvient à bien cerner cet état d’âme, appuyé par une mise en scène subtile et une approche filmique très assumée.

Un questionnement existentiel

Pascal Plante nous entraîne aussi dans les coulisses du village olympique, peuplé de jeunes gens dans la force de l’âge, avides de connaître aussi les plaisirs de la vie une fois leurs compétitions faites. Nadia, qui s’est entraînée pendant plusieurs années en compagnie de Marie-Pierre, devenue aussi sa meilleure amie (Ariane Mainville, aussi nageuse de haut niveau), baisse alors la garde comme tout le monde, ce qui ne l’empêche pas d’être mue par un questionnement existentiel qui l’éloigne du groupe. Même si elle se permet de lâcher un peu son fou après des années de privations et de discipline, la culpabilité reste un sentiment dont on elle ne peut se débarrasser aussi facilement.

La tension monte au cours d’une discussion où elle évoque avec ses compagnes l’aspect profondément individualiste de son sport, même dans une compétition d’équipe. Son coach (Pierre-Yves Cardinal) a aussi du mal à saisir le mal-être apparemment soudain d’une jeune femme qu’il a connue alors qu’elle était encore une enfant.

Dans le rôle de Nadia, Katerine Savard est d’un naturel désarmant et révèle une présence singulière devant la caméra. Elle se glisse avec une belle aisance dans la peau de cette athlète en quête d’identité.

Cela dit, il n’y aura pas ici de « triomphe face à l’adversité » à la Rocky, ni de construction dramatique menant à une compétition finale au bout de laquelle on savourera la victoire tant attendue. Pascal Plante propose un portrait beaucoup plus juste, d’une authenticité rare.

Ironiquement, ce qui fait la richesse de Nadia, Butterfly risque d’éloigner une partie d’un public qui attendrait autre chose. L’effort en vaut pourtant la peine.

Drame

Nadia, Butterfly

Pascal Plante

Avec Katerine Savard, Ariane Mainville, Pierre-Yves Cardinal

1 h 47

* * *1/2

Jazz on a Summer’s Day 

Ivresse musicale impossible

SYNOPSIS

Filmé au Festival de jazz de Newport, dans le Rhode Island, en 1958, et réalisé par le grand photographe Bert Stern, Jazz on a Summer’s Day réunit dans un cadre intime des légendes musicales, dont Louis Armstrong, Thelonious Monk, Anita O’Day et Chuck Berry.

Jazz on a Summer’s Day serait le premier film de concert jamais réalisé. Par le photographe de mode Bert Stern de surcroît (en collaboration avec Aram Avakian, qui a également monté le film).

Cela explique la qualité des images et leur caractère contemplatif. Les superbes looks des spectateurs que la caméra scrute longuement.

Nous sommes en 1958, au Festival de jazz de Newport, dans le Rhode Island. De grandes légendes de la musique doivent se produire dans un cadre intimiste, dont Louis Armstrong, Thelonious Monk et Anita O’Day.

Jazz on a Summer’s Day prend l’affiche 60 ans plus tard, car le film a été restauré en haute définition numérique (4k) par l’organisme de préservation de films IndieCollect.

En temps normal, on vous dirait qu’il s’agit d’un film d’initiés, qui seront ravis de voir le grand Chico Hamilton à l’œuvre au tambour, ou encore un jeune Chuck Berry oser faire du rock dans un festival de jazz avec Sweet Little Sixteen.

C’est vrai. Mais en temps de pandémie, Jazz on a Summer’s Day s’avère une expérience qui va bien au-delà du film de concert.

Qui ne rêve pas en ce moment de rassemblements et de spectacles vivants ?

Stern filme de belles personnes en train de danser et de se coller. C’est à la fois frustrant et réconfortant de se retrouver parmi elles grâce à la magie du cinéma.

Jazz on a Summer’s Day est une jouissive évasion et ivresse musicale, qui nous plonge aussi dans un état nostalgique. Nous sommes dans l’insouciance et l’effervescence de la fin des années 50 aux États-Unis. Les gens fument sans y repenser pendant que leurs enfants sautent dans la mer sans surveillance. La musique est un facteur de cohésion sociale et raciale. Le meilleur (et non le pire) semble à venir.

Tout cela est bien beau pendant les 85 minutes du film. Ce l’est moins quand il faut sortir de la salle de cinéma en mettant son couvre-visage.

Mais ne soyons pas trop négatifs. La réception d’un film était influencée par son contexte social bien avant la pandémie. Allez donc découvrir ou revoir Jazz on a Summer’s Day, juste pour entendre la voix d’or de Louis Armstrong.

Documentaire musical

Jazz on a Summer’s Day

Bert Stern

Avec Louis Armstrong, Thelonious Monk, Gerry Mulligan, Anita O’Day, Chuck Berry, Dinah Washington, Mahalia Jackson

85 minutes

* * * *

Radioactive

Précipité et fourre-tout

Synopsis

Adaptation d’un roman graphique signé Lauren Redniss, ce long métrage biographique met en scène la scientifique franco-polonaise Marie Curie. Au seuil de la mort, elle revoit les grands moments de sa carrière et de sa vie personnelle tout en anticipant les conséquences, bonnes ou mauvaises, des découvertes faites avec son mari Pierre.

Il ne fait aucun doute que ce biopic possède une facture esthétique et visuelle d’une indéniable beauté. Cela en fait-il un bon film pour autant ? Non.

Pour dire les choses crûment, Radioactive est instructif, mais sans génie. Précipité et un peu fourre-tout. Il faut faire gaffe aux coins arrondis et aux approximations. Ainsi, on nous dit que Curie a extrait une once, alors que c’est un gramme (nuance !) de radium de quatre tonnes de pechblende.

C’est souvent le piège de ces films biographiques qui saucissonnent 30, 40, voire 50 ans de vie (41 ici) en moins de deux heures. Dans un tel cas, mieux vaut être doué pour étonner. Ce n’est pas le cas ici.

Le scénario est donc tissé de mille et une choses : la pugnacité de la scientifique, son combat de femme pour faire sa place parmi les hommes de science, la naissance de ses deux filles, ses deux prix Nobel, la mort prématurée de son mari avec qui elle a découvert le radium et le polonium, sa nomination comme professeure à la Sorbonne. Tout ça est bien et divertissant, mais ça va telllllllement vite. Un thème est développé quelques minutes et hop !, au suivant.

Comme autant d’électrons libres, plusieurs précieuses minutes ont été abandonnées à des scènes inutiles de projections dans le futur avec l’utilisation du radium pour combattre le cancer, le bombardement d’Hiroshima, la tragédie de Tchernobyl. Censées nous faire réfléchir, ces scènes, au contraire, édulcorent encore davantage l’histoire.

La plus belle séquence survient à la toute fin lorsque Marie et sa fille aînée Irène portent secours aux soldats sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Ici, justement, les artisans ont pris leur temps. Et l’effet laisse une trace.

DRAME BIOGRAPHIQUE

Radioactive

Marjane Satrapi

Avec Rosamund Pike, Sam Riley, Yvette Feuer

1 h 50

* * *

Sisters – Dream and Variations

Entre art, famille et onirisme

SYNOPSIS

Canadiennes de troisième génération, l’artiste multidisciplinaire Jasa Baka et sa sœur chanteuse et musicienne Tyr Jami ont des origines islandaises. Vivant de leur art de façon modeste et rudimentaire, elles sont animées d’une forte quête identitaire. Avec leur mère Debora, elles s’envolent pour l’Islande à la recherche de leurs racines.

Explorer les thèmes de l’art, de la famille et de la quête identitaire en passant par deux lieux, Montréal et l’Islande, sans pour autant perdre le fil de l’histoire tient du tour de force, que Catherine Legault réussit haut la main.

Et comme si ce n’était pas assez, la cinéaste intègre des segments de collages et d’animations ludiques dans ce film qui est le premier long métrage de cette jeune femme déjà reconnue pour ses talents de monteuse.

Ici, la réalité du quotidien se teinte d’onirisme. On passe du quotidien des rues de Montréal à la beauté spectaculaire des fjords islandais avec un détour par un monde magique peuplé de fées, de performances musicales et de vieux reportages consacrés à l’immigration islandaise au Canada.

Certes, on peut s’attendre à ce que tous n’accrochent pas à ce film-collage aux accents parfois hallucinés et enfantins. Pour notre part, nous avons trouvé l’ensemble à la fois très poétique et émouvant. Il y a quelque chose qui se rapproche de l’univers de l’écrivaine Heather O’Neill dans cette œuvre.

Sisters : Dream and Variations est un condensé d’art et de recherche de ses origines comme on en voit rarement. Il faut y voir un rapport à la trame de nos propres vies, où chacun fait de son mieux avec l’héritage qu’il a reçu.

La finale du film de Mme Legault, où l’on apprend que la vie de Jasa a pris un tournant inattendu au terme du voyage familial en Islande, constitue la preuve tangible que ce périple initiatique n’avait rien de chimérique ou de vain.

DOCUMENTAIRE

Sisters – Dream and Variations

Catherine Legault

Avec Jasa Baka, Tyr Jami, Debora Alanna

1 h 26

* * * 1/2

The Nest

Glissement progressif d’une relation de couple

SYNOPSIS

Dans les années 80, un ancien courtier, devenu un entrepreneur ambitieux, convainc sa femme américaine et leurs deux enfants de quitter le confort d’une banlieue cossue de New York pour aller s’installer en Angleterre, son pays d’origine, à la faveur d’une nouvelle occasion professionnelle.

Les drames conjugaux inspireront toujours de bonnes histoires, en ce qu’ils permettent à ceux qui les écrivent d’explorer des zones d’ombre enfouies au plus creux de l’âme humaine. Comment deux êtres s’étant aimés passionnément peuvent-ils en venir à atteindre parfois un niveau insoupçonnable de cruauté mentale l’un envers l’autre ?

Neuf ans après Martha Marcy May Marlene, qui lui avait valu le prix de la mise en scène au festival de Sundance, Sean Durkin refait enfin surface. The Nest, son deuxième long métrage, décrit une relation de couple, pourtant harmonieuse au départ, qui commence à glisser le jour où une demi-vérité s’immisce subrepticement dans le dialogue entre les deux conjoints. Il est vrai que Rory (Jude Law), d’origine britannique, en demande beaucoup à sa conjointe Allison (Carrie Coon), ainsi qu’à leurs deux enfants, qui ont toujours vécu en Amérique.

Le point de bascule survient très rapidement quand, une fois la famille réinstallée en Angleterre, Allison apprend, lors d’une soirée mondaine organisée en l’honneur de son mari, que la raison pour laquelle ce dernier a entraîné les siens dans son pays d’origine n’est pas vraiment celle qu’il lui avait donnée. Le plan de ce courtier très ambitieux ne se déploie pas tout à fait comme prévu non plus.

À partir de ce moment, le doute s’installe. Le cinéaste illustre avec beaucoup de doigté comment une relation peut progressivement s’étioler. De surcroît, les différences culturelles et le nouveau milieu de vie deviennent aussi prétexte à division, d’autant que les enfants ont du mal à s’adapter.

Porté par de magnifiques performances de Carrie Coon et Jude Law, ce film, dont la trame musicale a été composée par Richard Reed Parry, d’Arcade Fire, se distingue grâce à sa progression dramatique et à ses qualités artistiques.

Présenté en primeur au festival de Sundance plus tôt cette année, The Nest (Leur nid en version française) a récemment obtenu trois prix au festival de Deauville, dont celui attribué au meilleur film.

Drame

The Nest

(V. F. : Leur nid)

Sean Durkin

Avec Jude Law, Carrie Coon, Anne Reid

1 h 47

* * *1/2

Un drame qui tombe à plat

SYNOPSIS

Après le suicide de sa sœur, Anna (Natalie Krill) part aux trousses du proxénète qui l’a poussée dans ce gouffre. La justice ne peut rien faire. Elle n’a pas assez de preuves. Alors Anna décide de prendre les choses en main.

We Had It Coming, de Paul Barbeau, est présenté comme un thriller noir à la scandinave. L’accent est en effet mis sur les atmosphères : il filme abondamment la ville, ses infrastructures routières, cherche à faire vivre les décors. Il filme beaucoup la nuit et ce qui se trame dans la noirceur.

Il s’attache surtout à montrer un monde où la violence faite aux femmes est partout. Dans les menaces proférées par un homme contre sa femme et qu’on entend à travers les murs d’un hôtel bas de gamme, dans l’exploitation sexuelle des femmes, dans les coups portés, dans les viols. Il montre peu, mais dit tout.

Sa réalisation ose aussi un choix intéressant : sa caméra s’intéresse avec pudeur aux femmes, à leurs yeux et à ce qu’elles traversent, mais elle ne montre aucun visage d’homme. Manière habile de dire que le problème, ce n’est pas un homme en particulier, mais la culture qui le rend possible et le système qui lui permet de continuer à exister.

Sur ce plan, le film de Paul Barbeau est éloquent. Il est seulement dommage que le scénario, bien qu’appuyé par quelques scènes fortes, ne le soit pas autant. Même le personnage d’Anna est mince : on ne sait rien de sa relation avec sa sœur ni même de ce qui la lie à Olivia (son amoureuse ?), qui l’accompagne au début de sa quête.

La quête de justice – et un peu de vengeance – d’Anna est nette. Le sujet est dur. Or, We Had It Coming, avec sa quasi-absence de tension, parvient trop rarement à transmettre l’indignation, la douleur et la colère que le film voudrait porter.

Drame

We Had It Coming

Paul Barbeau

Avec Natalie Krill, Alexia Fast, Erin Agostino

1 h 25

** 1/2

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