Planète bleue, idées vertes

Pays-Bas
Les pubs de viande passent au hachoir

Pour combattre la crise climatique, la ville néerlandaise de Haarlem veut devenir la première au monde à interdire les publicités pour la viande. À partir de l’an prochain, elles seront graduellement bannies des espaces publicitaires loués par la municipalité tels les autobus, les abribus ou les écrans géants.

« Le conseil municipal a décidé de faire tout ce qui est en son pouvoir local pour stopper les changements climatiques », explique Ziggy Klazes, la conseillère municipale qui a rédigé la motion.

En entrevue avec La Presse, la politicienne (qui est végétarienne depuis l’âge de 11 ans) précise que c’est uniquement la viande issue des élevages industriels qui est visée, en raison de son empreinte carbone importante. Les chaînes de restauration rapide ne pourront plus faire la promotion de leurs burgers.

« Nous ne sommes pas contre la viande en tant que telle. Le message, c’est qu’on préfère la viande élevée par des agriculteurs de petite échelle [slow farmers] », dit-elle.

Portée par le parti écologiste GroenLinks et adoptée en 2021 par conseil municipal de cette ville de 160 000 habitants, la motion est passée complètement inaperçue jusqu’à ce que les agences publicitaires partenaires de la ville soient prévenues des changements. Au début de septembre, la nouvelle reprise par The Guardian a fait le tour du monde.

La levée de boucliers de la part de l’industrie n’a pas tardé. « La résistance est énorme », admet Mme Klazes.

Elle garde cependant le cap. « Je veux lancer un dialogue », dit-elle. « Et ça marche. La preuve, c’est qu’on en parle jusqu’au Québec ! »

Le pouvoir de la pub

Haarlem n’est pas la première ville des Pays-Bas à tenter cette approche. Depuis quelques années, Amsterdam interdit les publicités en lien avec les combustibles fossiles dans son système de métro et son centre-ville.

En 2021, une vingtaine de groupes environnementalistes comme Greenpeace ont aussi lancé une campagne pour faire pression sur la Commission européenne afin qu’elle empêche la publicité des entreprises dont les produits contribuent au réchauffement climatique, à l’image des restrictions imposées à l’industrie du tabac.

Ces approches sont-elles efficaces ? Stéphane Mailhiot, président de la firme de communications Havas Montréal, répond qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la publicité sur le comportement des citoyens.

« Si on parle de bannir la pub pour les véhicules automobiles, la cigarette, l’alcool ou la viande, c’est parce que ça fonctionne, la pub », dit-il.

La preuve ?

« L’industrie du tabac s’est débattue pour pouvoir conserver son droit d’affichage et son droit de publicité. Chaque fois qu’on essaie de limiter la capacité d’une entreprise à faire de la communication, elle se bat pour ne pas le perdre. »

— Stéphane Mailhiot, président de la firme de communications Havas Montréal

L’impact de telles restrictions risque cependant de se faire sentir à long terme. « Quand toute une industrie ne peut plus parler, alors forcément, ça infléchit d’une façon ou d’une autre la consommation des nouvelles générations », pense-t-il.

En revanche, il souligne qu’avec son interdiction très nichée, la ville de Haarlem ne laisse probablement pas beaucoup « d’argent sur la table ». « Je n’ai rien contre l’idée de bannir les pubs de viande dans un marché donné, mais si à la place je continue à avoir des pubs de VUS ou de voyagistes, on a peut-être un problème [...] Ça marque les esprits, mais ça ne change pas grand-chose. »

Légiférer

Selon Environnement et Changement climatique Canada, les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur agricole représentaient, en 2019, 10 % des émissions totales au pays. Les 200 000 fermes du Canada ont donc généré, à elles seules, 73 mégatonnes (Mt) d’équivalents de dioxyde de carbone (CO2) en 2019. De ce nombre, une quantité de 24 Mt provenait de la « fermentation entérique », soit les gaz rejetés par les animaux lors de leur processus digestif.

Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’Université de Montréal et spécialiste des questions énergétiques, ne s’oppose pas d’emblée à l’approche de la ville de Haarlem, mais il la trouve un peu moralisatrice. Il doute surtout de son efficacité réelle.

« Je pense qu’on a besoin de ces initiatives-là, à gauche et à droite, pour faire avancer la réflexion, mais pour le passage à l’échelle, on n’a pas le choix d’aller vers des encadrements légaux. Si on ne veut pas avoir des poulets qui sont dans des petites cages, à un moment donné, on a beau dire aux gens : “Il faut arrêter d’acheter des poulets élevés dans des petites cages”, la véritable solution c’est de dire : “C’est interdit” », illustre-t-il.

Si la société souhaite réduire l’empreinte carbone de l’élevage animal, réglementer les émissions permises pour chaque calorie produite serait une approche plus déterminante, pense-t-il. « Pourquoi ne pas dire aux producteurs de bœuf : “Si [tu dépasses ce seuil], soit c’est interdit, soit tu as une taxe supplémentaire.” Il y a moyen de gérer ça et, à la fin, le citoyen n’a pas besoin de sortir un livre de 300 pages pour décider ce qu’il achète. »

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