Vaccins contre la COVID-19

Plaidoyer pour une distribution équitable

Pendant que les pays les plus riches attendent toujours de recevoir les milliards de doses contre la COVID-19 qu’ils ont réservées, les pays les plus pauvres se démènent pour en trouver. Les experts rencontrés par La Presse ont proposé quatre solutions afin d’accélérer la distribution des vaccins.

Éliminer les droits de propriété intellectuelle

Plusieurs acteurs du domaine de la santé proposent de considérer les vaccins comme un bien commun de l’humanité et donc d’éliminer les droits de propriété intellectuelle. Cette proposition permettrait aux pays de fabriquer eux-mêmes les vaccins de Moderna et de Pfizer sans crainte de poursuites judiciaires.

Pour Mira Johri, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, la proposition de renoncer aux droits de propriété intellectuelle pourrait constituer une partie importante de la solution à la crise mondiale, en permettant une augmentation de la production, notamment par et pour les pays en développement.

Depuis plusieurs semaines, l’Organisation mondiale du commerce milite pour que tous les gouvernements renoncent aux droits de propriété intellectuelle d’ici la fin de la pandémie.

« Tous les pays à revenus faibles ou intermédiaires soutiennent la proposition, mais elle est bloquée par une poignée de pays à revenus élevés, en particulier les États-Unis et l’Union européenne. »

— Rohit Malpani, consultant indépendant en santé publique et défenseur de l’amélioration de l’accès aux médicaments

Les pays riches s’opposent à la proposition de dérogation pour de nombreuses raisons, notamment parce qu’ils espèrent tirer un profit direct des vaccins COVID-19, explique Mme Johri. « Le Canada ne s’est pas engagé à adopter une position ou une autre, mais continue de soulever des questions sur la nécessité de renoncer à ces droits », a renchéri M. Malpani.

Freiner le « nationalisme vaccinal »

À ce jour, 95 % des doses de vaccins ont été utilisées dans seulement 10 pays. Alors que des dizaines de pays à revenus très faibles risquent de n’obtenir aucune dose en 2021, le Canada a réservé près de 400 millions de doses, ce qui lui permettrait de vacciner cinq fois la population entière.

Selon M. Malpani, tous les pays, y compris le Canada, devraient partager leur approvisionnement en vaccins de manière plus équitable. Ne pas partager les vaccins disponibles avec les autres pays risque de conduire à l’émergence de variants qui vont compromettre les programmes de vaccination existants, explique-t-il.

Une nouvelle étude par la Chambre du commerce international a révélé que le coût pour l’économie mondiale d’une distribution inéquitable des vaccins pourrait atteindre 9 billions de dollars américains. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a appelé l’ensemble des gouvernements à faire preuve de solidarité en déclarant que si les pays riches accaparent les vaccins, ce sera un « échec moral catastrophique ».

Le fondateur de Microsoft Bill Gates a également mis en garde contre le « nationalisme vaccinal », rappelant que c’est une approche imprudente face à la pandémie. Il a ensuite déclaré que le manque de coopération entre les pays était une chance manquée. « Aucun pays ne peut être seul dans sa lutte contre la pandémie », a-t-il déclaré.

Exploiter les ressources

L’entreprise pharmaceutique Pfizer, qui considérait qu’on pouvait extraire cinq doses de chaque flacon de son vaccin, estime désormais qu’on peut en extraire six. L’entreprise assure que le surplus de flacons pourrait servir aux pays en voie de développement.

Le 21 janvier, la société a indiqué avoir commencé à adapter ses livraisons en fonction des six doses par flacon. Pour pouvoir extraire cette sixième dose, il faut toutefois une seringue particulière qu’on ne trouve qu’en faible quantité au Canada.

M. Malpani soutient qu’il est primordial que les pharmaceutiques exploitent au maximum leurs ressources afin d’accélérer la production des vaccins. « Pour ce faire, les gouvernements devraient exiger la transparence de toutes les sociétés pharmaceutiques en ce qui concerne leur capacité de fabrication », ajoute-t-il.

Recruter de nouveaux partenaires

De nombreuses entreprises pharmaceutiques à travers le monde envisagent de produire des vaccins concurrents afin d’accélérer la production et de contribuer à l’effort collectif. Le laboratoire français Sanofi, qui avait annoncé en décembre que son vaccin avait pris du retard et ne serait prêt que fin 2021 en raison de résultats moins bons que prévu, a confirmé mercredi un accord avec BioNTech pour aider à produire plus de 125 millions de doses de vaccins d’ici la fin de l’année.

D’autres sociétés, comme Merck, qui a interrompu ses projets de vaccins, envisageront peut-être également la production, ajoute M. Malpani. « Si Merck peut contribuer, ça va aider, c’est certain, et je trouve ça très bien », se réjouit François-Xavier Lacasse, professeur à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. Il précise toutefois que la plupart des sociétés pharmaceutiques ne sont pas équipées pour produire les vaccins à ARN.

M. Malpani ajoute que ce serait tout un défi de persuader Pfizer et Moderna d’étendre leur production. « Les entreprises craindront peut-être de partager leur technologie et leur propriété intellectuelle, en vue des futurs produits qu’elles développent », indique-t-il.

Restrictions sur l’exportation de vaccins d’Europe

Ottawa s’en tirera, affirme Trudeau

Ottawa — Le Canada ne fera pas les frais d’un possible resserrement des exportations de vaccins fabriqués en Europe.

C’est ce qu’a déclaré le premier ministre Justin Trudeau pendant la période des questions en Chambre, mercredi après-midi, en réponse aux préoccupations soulevées par le chef de l’opposition officielle, Erin O’Toole.

Il a puisé cet optimisme d’une conversation téléphonique toute fraîche avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen – la veille, la cheffe de l’exécutif européen prévenait que Bruxelles allait « mettre sur pied un mécanisme de transparence sur les exportations de vaccins » contre la COVID-19.

« Il y a une heure, j’ai parlé à Ursula von der Leyen […] et j’ai été rassuré que les mesures de transparence qui vont être prises par l’Europe ne vont pas affecter les livraisons de Pfizer et de Moderna au Canada. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Dans un compte rendu transmis par son bureau en fin de journée, on peut lire que « la présidente von der Leyen a donné l’assurance que le mécanisme de transparence sur les exportations de vaccins proposé par l’Union européenne ne vise pas à perturber les exportations de vaccins vers le Canada ».

Les deux dirigeants se sont par ailleurs « engagés à ce que leurs fonctionnaires maintiennent un contact régulier sur toute question liée aux exportations », est-il également précisé dans le sommaire de cet entretien téléphonique.

L’enjeu de l’approvisionnement a encore une fois monopolisé les débats pendant la période des questions aux Communes, en cette semaine où le Canada ne reçoit aucune dose de vaccins et alors que les livraisons de celui de Pfizer-BioNTech seront au ralenti en février.

Le gouvernement Trudeau n’a pas voulu préciser si certaines dispositions de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (UE) avaient permis au gouvernement canadien de s’assurer d’avoir du lest face à Bruxelles.

Toutes les doses actuelles du Canada provenant de Pfizer-BioNTech et de Moderna sont fabriquées en Europe, ce qui aurait pu mettre en péril la totalité des livraisons de vaccins au pays.

Et AstraZeneca ?

Toujours sur le continent européen, la société pharmaceutique AstraZeneca a averti que des obstacles de production dans deux usines situées au Royaume-Uni limiteraient les livraisons initiales de son vaccin, ce qui a valu à la pharmaceutique de se faire savonner par la commissaire européenne à la Santé, Stella Kyriakides.

« Laissez-moi être claire : il n’y a pas de hiérarchie de ces usines dans le contrat, aucune différenciation entre les sites au Royaume-Uni et dans l’UE. Les usines britanniques font partie du contrat de précommandes, et c’est pourquoi elles doivent fournir [les doses attendues]. »

— Stella Kyriakides, commissaire européenne à la Santé, en conférence de presse

Bruxelles conteste les explications du PDG d’AstraZeneca, Pascal Soriot, selon qui la production des usines au Royaume-Uni est réservée aux Britanniques en vertu de l’accord conclu avec Londres trois mois avant le contrat signé avec l’UE.

Le vaccin développé avec l’Université d’Oxford n’a pas encore été approuvé par l’UE ni par le Canada.

L’Agence européenne des médicaments fera le point sur le processus le vendredi 29 janvier ; des experts de Santé Canada prendront part à cette rencontre. Selon nos informations, il est improbable que le vaccin AstraZeneca reçoive le sceau d’approbation de Santé Canada cette semaine.

— Avec l’Agence France-Presse

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