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Édition du 4 août 2018,
section GOURMAND, écran 2
Québec — Dans un lieu surtout fréquenté par des ministres, des touristes et d’occasionnels manifestants, deux visiteurs détonnent en ce mercredi matin. Des cuisiniers, coiffés d’une toque et entièrement vêtus de blanc, sont agenouillés au pied du siège de l’Assemblée nationale, les mains dans la terre.
Nous sommes à quelques mètres de l’hôtel du Parlement. Juste à côté, des touristes s’attardent devant les statues de bronze qui commémorent d’anciens premiers ministres.
Ce matin, le souci de Samuel Aubry-Gagnon n’a rien à voir avec la politique. Le chef en résidence du restaurant Le Parlementaire attend dans quelques heures un groupe de 40 dignitaires venus de partout dans la Francophonie. Son menu dépendra de sa récolte du matin.
« Dans le menu d’été, il y a des ouvertures, explique-t-il. On l’a préparé, mais on a laissé beaucoup de place aux légumes, pour que ce ne soit pas toujours les mêmes. Au fur et à mesure que de nouveaux légumes sont prêts, on peut les incorporer aux plats. »
Depuis cinq ans, une surprise gourmande attend les visiteurs de l’hôtel du Parlement. Des tomates, des choux, des laitues, des cerises de terre, des fruits et légumes de toutes sortes poussent dans un immense potager aménagé sur les flancs de la colline parlementaire.
Une arche de saule accueille les passants. Des arbres qui donnent des cerises un tantinet surettes côtoient un jardin de cultures autochtones où poussent du maïs, des haricots et de la courge. Sous un voile semi-opaque, on retrouve des oignons, du chou-fleur, du brocoli. Dans une boîte de bois aménagée plus loin, on reconnaît les feuilles pointues de l’artichaut.
Ce potager n’est pas seulement décoratif. C’est une petite exploitation agricole. Des employés des Urbainculteurs, organisme qui fait la promotion de l’agriculture urbaine, s’en occupent tous les jours. Ils bichonnent les plantes et remplacent celles qui ont été endommagées, récoltées pour la cuisine ou tout bonnement mangées par des visiteurs.
« Ce sont des conditions de jardinage optimales, observe Marie-Hélène Jacques, directrice des opérations des Urbainculteurs. On a une belle exposition au soleil, il fait chaud, ce n’est pas particulièrement venteux. Donc, c’est un lieu où il n’y a pas vraiment de limitation. »
Aménagé près d’un lieu de tractations politiques, le jardin est lui-même le fruit d’une controverse. En 2012, la municipalité de Drummondville a ordonné à un couple de retirer le potager qu’il avait aménagé à l’avant de son terrain. L’incident a provoqué un débat sur l’agriculture urbaine et convaincu l’administration municipale de modifier ses règlements.
Le débat a été suivi de près par le secrétaire général de l’Assemblée nationale, Michel Bonsaint. Natif de l’île d’Orléans, jardinier à ses heures, il a eu l’idée d’aménager un potager sur les terrains de l’institution. Le président de l’Assemblée nationale, Jacques Chagnon, a appuyé le projet avec enthousiasme.
« L’objectif n’était pas de provoquer, mais c’était de démontrer que même la première institution du Québec était prête à se mettre à l’agriculture urbaine. On peut y voir une certaine forme de message politique, mais le but n’était pas de provoquer les villes. »
— Michel Bonsaint, secrétaire général de l’Assemblée nationale
Cinq ans plus tard, le potager a fait des petits : on retrouve des installations semblables au Grand Théâtre et au Centre des congrès de Québec, situés tout près. Le public est maintenant invité à y cueillir des fraises ou des tomates-cerises, et à les savourer sur place.
Bien entendu, les chefs du Parlementaire y trouvent aussi leur compte. En fait, la composition du jardin est de plus en plus alignée sur leurs besoins. Une fois l’an, les dirigeants de la cuisine se réunissent avec les jardiniers pour faire le bilan de la récolte et prévoir l’année suivante.
Mais ce matin-là, l’heure n’est pas aux bilans. Midi approche. Les cuisiniers quittent le potager d’un pas pressé, portant des bacs qui débordent de verdure. Sitôt revenus en cuisine, ils se mettent au travail.
Les feuilles de bette à carde sont nettoyées, parées, émincées et sautées. Les betteraves sont frottées vigoureusement, révélant leur somptueuse couleur rouge et orange.
Samuel Aubry-Gagnon met la touche finale à un suprême de volaille de Drummondville, nappé d’une sauce béarnaise aux herbes salées du potager. La pièce de viande est posée sur un risotto d’avoine dans lequel il a intégré la bette à carde. Le plat est agrémenté des betteraves cueillies ce matin-là.
La semaine précédente, le même plat était garni de feuilles de chou-rave du jardin.
Le chef est formel : les légumes du jardin du Parlement sont infiniment plus savoureux que ceux qu’il se fait livrer.
« C’est comme goûter des vins de qualité et goûter des vins de moins bonne qualité, dit-il. Quand tu connais ça un peu et que tu es habitué, tu vois tout de suite la différence. »
La collègue de M. Aubry-Gagnon porte un nom tout indiqué pour travailler aux cuisines du Parlementaire : Renée Lévesque. Elle affectionne particulièrement les haricots verts et violets qui seront bientôt prêts pour la récolte.
« Les haricots, tu manges ça cru, explique-t-elle. On fait des salades avec des haricots crus, même pas blanchis, parce que c’est tellement goûteux. »
Le restaurant Le Parlementaire est ouvert au public du lundi au vendredi, de 11 h 30 à 14 h.
Béarnaise aux herbes salées du Parlementaire
Pour 4 à 6 portions
Ingrédients
1 échalote finement ciselée
1 c. à soupe d’estragon haché
4 c. à soupe de vin blanc québécois
4 c. à soupe de vinaigre de cidre québécois
4 jaunes d’œufs
1 tasse de beurre coupé en petits cubes
1 pointe de couteau de piment de Cayenne
Herbes salées au goût
Préparation
1. Ciseler finement l’échalote. Hacher finement l’estragon.
2. Mettre le vinaigre, le vin, l’échalote et l’estragon à cuire dans une petite casserole et laisser réduire de moitié, à feu moyen, puis transférer dans un cul-de-poule.
3. Ajouter les jaunes d’œufs et fouetter énergiquement pour bien les mousser.
4. Cuire le mélange de jaunes d’œufs jusqu’à consistance crémeuse, au bain-marie.
5. Une fois le mélange cuit, ajouter les petits cubes de beurre, un peu à la fois. Ajouter ensuite les herbes salées, un peu à la fois. Goûter.
6. Vous pouvez toujours ajouter un peu de jus de citron à la sauce.
Risotto d’avoine aux légumes du jardin
Pour 4 à 6 portions
Ingrédients
4 c. à soupe d’huile de cameline
2 échalotes
150 ml de vin blanc québécois
1 tasse de grains d’avoine entiers
4 tasses de fond de volaille
Bette à carde multicolore (1 tasse de tige, 3 tasses de feuilles)
1 tasse de betterave chiogga
Crème sure
Sel et poivre noir du moulin
Préparation
1. Ciseler finement l’échalote.
2. Rincer à grande eau 3 fois les grains d’avoine.
3. Séparer les feuilles des tiges de bette à carde.
4. Émincer grossièrement les feuilles.
5. Couper en brunoise (petits cubes) les tiges de bette à carde, puis les blanchir. Une fois les tiges blanchies, les refroidir immédiatement.
6. Cuire les betteraves entières avec leur peau, puis les refroidir. Une fois qu’elles sont cuites et refroidies, enlever la peau et couper en brunoise.
7. Faire suer l’échalote dans l’huile de cameline.
8. Ajouter les grains d’avoine pour les nacrer.
9. Déglacer avec le vin blanc et laisser réduire presque à sec.
10. Ajouter la moitié du fond de volaille, préalablement chauffé.
11. Laisser le risotto frémir à feu moyen en brassant régulièrement.
12. Ajouter la deuxième moitié du fond de volaille et laisser frémir.
13. Une fois le liquide presque complètement absorbé, ajouter les feuilles de bette à carde, la brunoise de bette à carde, la brunoise de betterave, la crème sure, puis assaisonner avec le sel et le poivre du moulin.
14. Goûter et rectifier l’assaisonnement si nécessaire.
15. Couvrir le risotto et laisser reposer, hors du feu, pendant 4 ou 5 minutes.