La liberté avec les faits

Éric Duhaime entame la campagne électorale avec trois avantages : il est différent, il n’a rien à perdre et il n’a pas beaucoup de scrupules non plus.

Il est seul à droite, il a déjà dépassé les attentes en étant invité au débat des chefs et il ne s’encombre pas des faits, ce qui lui donne une liberté de parole absolue.

Qu’on l’aime ou non, le Parti conservateur du Québec (PCQ) comble un vide. Après avoir avalé l’Action démocratique du Québec (ADQ) en 2011, la Coalition avenir Québec (CAQ) s’est rapprochée du centre. La droite est depuis orpheline. Avec M. Duhaime, elle sort de la marge et reprend vie. C’est normal dans une démocratie.

La campagne n’est pas commencée, et le passé montre que l’exercice est imprévisible. Souvenez-vous de l’ADQ en 2007, du Nouveau Parti démocratique (NPD) en 2011 ou de la remontée in extremis de la CAQ en fin de campagne en 2014. Le PCQ convoite particulièrement les deux circonscriptions de la Beauce et celle de Chauveau, à Québec, où se présente son chef. Mais il n’a pas besoin d’une telle percée pour crier victoire. En obtenant 15 % du vote populaire comme le prédisent les sondages, il récolterait assez d’argent pour continuer à bâtir le parti. Ce serait un gain.

Et c’est bien parti. M. Duhaime a lancé sa campagne à l’avance devant une impressionnante foule. Il s’est aussi montré aux côtés de deux athlètes populaires, le combattant d’arts martiaux mixtes Georges St-Pierre et l’ex-joueur de football du Rouge et Or Arnaud Gascon-Nadon. Quelque chose semble se passer.

Pour la suite, M. Duhaime mise sur un autre « atout » : il va là où ses adversaires s’interdisent d’aller, en contournant les faits d’une manière inédite. Même si tous les politiciens tordent parfois la vérité, le chef conservateur bat des records.

Cela le rend difficile à couvrir, comme le montre son interview accordée au Journal de Québec mercredi. Quelle est sa grande promesse en environnement ? Exploiter le gaz et le pétrole québécois comme le projet GNL, a-t-il répondu. Il augmenterait ainsi les gaz à effet de serre (GES) de ce secteur chez nous, en espérant, sans pouvoir le prouver, que cela réduirait la production d’hydrocarbures plus polluants ailleurs. Les collègues en ont fait leur manchette : « Duhaime augmenterait les GES ».

« FAUX », a-t-il dénoncé sur Twitter. Il se plaint qu’on déforme ses propos pour le « faire mal paraître ». Après avoir obtenu une couverture médiatique, il fait ainsi parler de lui une deuxième fois en fabriquant une controverse à partir de la nouvelle initiale.

Les collègues avaient pourtant raison. S’ils avaient eu plus d’espace, ils auraient même pu rappeler que les projets d’hydrocarbures québécois n’ont pas :

• complété leur financement privé ;

• reçu les approbations environnementales ;

• conclu de contrat avec un acheteur ;

• construit les infrastructures permettant leur transport et leur exportation.

Rien ne permet donc d’assurer que ce gaz sera exploité, et encore moins exporté avant que l’Allemagne ou d’autres pays ne s’approvisionnent ailleurs ou ne réduisent leur consommation.

Mais voilà, en expliquant cela, l’espace commence à me manquer, moi aussi. Enrager les gens aurait été plus rapide…

***

M. Duhaime prétend que les 125 députés à l’Assemblée nationale pensaient la même chose au sujet des mesures sanitaires, alors qu’un débat les opposait. Il promet de faire primer la Charte des droits sur la santé publique, en laissant entendre erronément que ce n’est pas déjà le cas. Et ainsi de suite.

M. Duhaime n’a jamais connu le pouvoir et les breffages techniques avec les hauts fonctionnaires, où on réalise la différence entre un slogan qui rime et un plan qui fonctionne. La crise sanitaire constitue un excellent exemple des arbitrages déchirants auxquels ne seront jamais confrontés ceux qui s’indignent dans les gradins sans essayer de comprendre ce qui se passe sur la glace.

Sa dernière astuce est de mettre en garde contre le plan caquiste d’imposer à nouveau le masque à l’école. Comme si François Legault y prenait plaisir. Comme s’il avait quelque chose à gagner à écœurer les enfants.

À l’instar de Donald Trump aux États-Unis, il place les médias devant un dilemme : faut-il couvrir chaque frasque et lui offrir une pub gratuite, une prime à la provocation ? Toute sa carrière repose là-dessus. Il voit la ligne tracée au sol, il pose un pied de l’autre côté puis observe les réactions. S’il choque, il a accompli son but.

C’est d’autant plus délicat que M. Duhaime est à la fois un provocateur et une victime professionnelle. Dès qu’on le critique, il crie à l’injustice. Comme Hulk, plus on l’attaque, plus il se fâche et plus il devient fort. Car son mouvement politique carbure à la colère et au ressentiment contre les élites, définies de la façon la plus large et floue possible.

Je le répète, la droite politique était orpheline et elle méritait d’être représentée. Sauf que celui qui joue ce rôle n’est pas tout à fait un conservateur. On se demande ce qu’il veut conserver comme institutions ou valeurs au Québec – même la défense du français lui paraît secondaire.

M. Duhaime est plutôt un populiste et un libertarien. Sa véritable idéologie, c’est l’individualisme. La liberté pour chacun de se débrouiller à sa façon dans la grande compétition sociale.

Et pour défendre cette cause, la fin justifie les moyens.

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