Chronique 

Questions délicates sur les tests de dépistage

Certaines questions me chicotent depuis le début de la semaine, comme elles préoccupent bien des observateurs.

Jusqu’à mardi, j’étais convaincu que le Québec en faisait bien davantage que les autres provinces. Que nous étions plus prévoyants, d’abord avec nos fermetures de bars et de lieux publics, et maintenant avec l’arrêt de toutes les activités non essentielles.

Dans ce contexte, j’étais convaincu que le rebond soudain du nombre de cas positifs à la COVID-19, qui nous a fait passer loin devant les autres provinces, s’expliquait par cet avant-gardisme, justement. Qu’en réalité, le plus grand nombre de cas positifs ici (42 % du total canadien) témoignait non pas d’une situation plus grave, mais d’efforts plus importants des autorités, notamment concernant les tests de dépistage.

Or, après avoir regardé les chiffres, j’en suis moins certain. Voyons voir. 

Premier constat : le Québec a mis plus de temps qu’ailleurs à augmenter significativement le nombre de tests de dépistage. Il s’agit pourtant d’un élément central dans le combat contre la COVID-19, comme on l’a vu en Corée du Sud.

Mercredi après-midi, le gouvernement du Québec avait réussi à tester 27 973 personnes, soit l’équivalent de 3,3 tests par 1000 habitants(1). Or, cette proportion est deux fois plus faible qu’en Alberta (8,1 tests par 1000 habitants) ou en Colombie-Britannique (5,2 tests par 1000 habitants). Le Québec devance seulement l’Ontario (1,7 test par 1000 habitants), mais encore, ce n’était pas le cas la veille, mardi.

N’est-ce pas étrange ?

Le médecin microbiologiste Karl Weiss, de l’Hôpital général juif de Montréal, avait fait le constat des retards du Québec. « Ça fait au moins six à huit semaines qu’on avait dit au Ministère de délester les tests vers d’autres laboratoires que le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) », a-t-il dit à ma collègue Katia Gagnon.

« Heureusement, ils ont fini par le faire [neuf labos régionaux], on a réussi à les convaincre. Il y a eu un goulot d’étranglement parce que le passage du témoin ne s’est pas fait avec d’autres laboratoires. »

Maintenant, une autre statistique me rend perplexe : le taux de tests révélant des cas positifs de COVID-19 au Québec est beaucoup plus grand qu’ailleurs. À ce jour, 4,8 % des tests se sont avérés positifs ici, contre seulement 2,7 % en Ontario, 2,3 % en Colombie-Britannique et 1,2 % en Alberta.

Est-ce à dire que nous sommes plus malades ? Pas nécessairement. En fouillant, j’ai compris que le gouvernement du Québec, parce qu’il avait moins de capacités à faire des tests, a choisi de cibler strictement les populations à risque, nommément les personnes de retour de voyage. Bien des lecteurs nous ont d’ailleurs fait part des longs délais pour obtenir leurs résultats de tests après les prélèvements.

En ciblant les cas les plus risqués, le taux de test positif a été bien supérieur à ce qu’il aurait été si les autorités avaient visé plus large. Dit autrement, dans le contexte du manque de capacité, la stratégie du Québec a été bien avisée.(2)

La même chose ne semble pas avoir été faite dans l’ouest du pays. Et en Ontario, le taux de tests positifs deux fois plus faible qu’au Québec indique possiblement une stratégie moins efficace, et donc bien des cas invisibles, surtout quand on sait que les voyageurs internationaux y sont bien plus nombreux, avec l’aéroport Pearson. On pourrait donc s’attendre à une explosion de cas en Ontario dans les prochains jours.

Le Québec n’est pas le seul à avoir vécu cette situation. Un article du journal Le Monde révèle que la France a été limitée, elle aussi, dans ses capacités de dépistage.

Horacio Arruda s’explique

Face à ce constat, le directeur de santé publique du Québec, Horacio Arruda, a accepté de m’expliquer ouvertement la situation, dans un rare entretien au téléphone.

D’emblée, il admet qu’au départ de la pandémie, le Québec avait une moins grande capacité de tests. « Plutôt que de tester tout le monde, on a donc ciblé les voyageurs. Et de fait, 60 % des cas positifs sont liés aux voyageurs », explique-t-il.

Ensuite, dit-il, les retards se sont expliqués par le processus de testage. Au début, les premiers prélèvements devaient être transférés en avion au laboratoire de Winnipeg. Puis, l’abondance de tests a forcé les transferts des méthodes de tests au LSPQ, dans l’île de Montréal. Enfin, tout récemment, on a ouvert neuf laboratoires de tests en région.

Chaque fois, ces changements ont entraîné des délais et des « backlog » (arriérés). « Techniquement, on testait beaucoup plus, mais l’information sur les résultats n’était pas transmise au central. Mais les choses ont changé et on vient de passer devant l’Ontario. Hier, on a fait 5000 tests », dit-il.

Question délicate : le Québec a-t-il imposé rapidement des mesures de confinement plus sévères qu’ailleurs pour protéger la population en raison du manque de capacité de testage ?

« Non. Même sans les tests, il aurait fallu faire de la prévention et des mesures de confinement de toute façon », dit-il.

Autre question : pourquoi l’Alberta a-t-elle rapidement pu faire davantage de tests ? « Je ne veux pas me comparer aux autres provinces. Ça dépend de leur stratégie. En Alberta, ils ont moins de voyageurs à l’international. Et qui ont-ils testés au juste ? La comparaison, on la fera après », dit M. Arruda.

Sur son site internet, l’Alberta précise que pour son dépistage, elle agit « par excès de prudence même lorsque la probabilité d’exposition est faible ».

Voilà. La bonne nouvelle, c’est que la capacité de testage au Québec devient maintenant beaucoup plus importante. Et que combiné au confinement général des trois prochaines semaines, le Québec a toutes les chances d’inverser assez rapidement la courbe de nouveaux cas positifs, d’endiguer le phénomène et d’avoir une structure de testage efficace quand l’économie sortira de l’hibernation.

(1) Il s’agit du nombre de tests pour lesquels des résultats ont été communiqués.

(2) Précisons tout de même que le Québec inclut maintenant dans les cas positifs les nombreux cas jugés probables, ce qui hausse la statistique.

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