Grèves dans le secteur public

Ils ont l’appui des parents

Leur quotidien est affecté en raison des grèves. Malgré tout, les parents d’enfants dont l’école est fermée soutiennent massivement les syndiqués du secteur de l’éducation, selon un sondage obtenu par La Presse. En fait, les Québécois appuient en grande proportion l’ensemble des employés du secteur public dans les négociations en cours.

Sondage SOM obtenu par La Presse

Sept Québécois sur dix derrière les travailleurs

Alors qu’ils entament ce mercredi leur deuxième journée de piquetage à des températures quasi hivernales, les syndiqués peuvent se réchauffer à la pensée qu’ils ont jusqu’ici la faveur populaire : sept Québécois sur dix appuient les travailleurs, montre un sondage SOM obtenu par La Presse. Et ce, même quand les écoles de leurs enfants sont fermées.

Cet appui « sans équivoque » se manifeste dans la population en général, mais encore davantage chez ceux qui vivent directement les conséquences de la grève : les parents d’enfants qui vont à l’école.

Dans ce cas, ils appuient les profs, professionnels, techniciens en éducation spécialisée et préposés aux élèves handicapés, entre autres corps d’emploi, à 79 %.

« Même les gens qui sont actuellement touchés directement par la grève parce que leur enfant est à l’école montrent un fort appui », observe Éric Lacroix, vice-président de la maison de sondages SOM.

A contrario, à 12 %, l’appui à l’égard du gouvernement Legault est « relativement faible » en ce moment, dit M. Lacroix.

« C’est indéniable, l’appui est largement majoritaire envers les travailleurs à l’heure actuelle. »

— Éric Lacroix, vice-président de la maison de sondages SOM

Bien qu’il demeure fort, cet appui est un peu moins marqué chez les 65 ans et plus. « Dans cette tranche d’âge, on a un peu plus de gens qui appuient le gouvernement, à 22 %, mais ce n’est pas surprenant, ils ont voté majoritairement pour la CAQ. Mais c’est à peine un sur cinq qui appuie le gouvernement », dit Éric Lacroix.

L’étude de SOM a été réalisée en ligne du 17 au 20 novembre 2023 auprès de 1679 adultes québécois, dont 394 parents d’enfants d’âge scolaire.

Premier jour de grève du Front commun

Mardi matin, au premier jour de la grève du Front commun, l’appui de la population envers le personnel scolaire s’entendait notamment dans les klaxons des automobilistes qui circulaient dans la rue Hochelaga, où du personnel de soutien manifestait devant l’école spécialisée Irénée-Lussier, à Montréal.

Présidente de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP – CSN), Annie Charland a précisé que le personnel de soutien dans le réseau scolaire est le moins bien payé « de tout le réseau ».

« Quand on fait la moyenne salariale annuelle de notre personnel de soutien, on a une moyenne de 23 400 $. Ce sont les chiffres du Conseil du trésor. Nos gens sont sous le seuil de la pauvreté », dit Mme Charland, qui ajoute que 12 % des membres de son syndicat ont eu recours à une banque alimentaire.

Comme 420 000 travailleurs du secteur public représentés par la CSN, la CSQ, la FTQ et l’APTS (c’est-à-dire le Front commun), Isabelle Fortier disait manifester pour de meilleures conditions de travail, mais aussi pour « [ses] jeunes ».

« Je m’occupe de tout ce qui est soins d’hygiène pour les enfants. On n’a pas un gros salaire et on n’a pas de super conditions. Ces temps-ci, on est en moyenne six sur dix : il y a un très grand manque de personnel. »

— Isabelle Fortier, préposée aux élèves handicapés à l’école spécialisée Irénée-Lussier

Espoirs d’une entente

Devant le cégep du Vieux Montréal, on jouait aux échecs et on se réchauffait sous des lampes chauffantes. Des parents grévistes étaient accompagnés de leurs enfants : toutes les écoles publiques de la province sont fermées.

Enseignante d’éducation physique, Johanne Matte dit souhaiter être « agréablement surprise » par un conflit qui ne durera pas trop longtemps. « Sinon, tout le monde est démotivé et le pire, ce sont les étudiants. On va les reprendre, ces journées-là », rappelle-t-elle.

Des syndicats n’appartenant pas au Front commun emboîteront bientôt le pas. La Fédération autonome de l’enseignement entame jeudi une grève générale illimitée, tandis que la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui compte 80 000 infirmières et autres professionnelles en soins, débraie jeudi et vendredi.

Pas de loi spéciale en vue

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, n’envisage pas pour l’instant de déposer une loi spéciale afin de décréter les conditions de travail des employés du secteur public, alors que les négociations se retrouvent dans une impasse.

Elle réaffirme son objectif d’avoir des ententes avant les Fêtes.

« [Une loi spéciale], ça ne fait pas partie du paysage. Il faut que l’on trouve une entente. Si on veut améliorer le réseau et le quotidien des employés, il faut que ça passe par une entente. »

— Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor

Selon elle, les syndicats et le gouvernement doivent d’abord aborder les nombreux enjeux d’organisation du travail aux tables de négociation avant de s’attaquer aux questions salariales.

Les solutions qui seront mises de l’avant ne doivent pas forcer le gouvernement à ajouter des employés, alors que dans plusieurs secteurs, la pénurie de main-d’œuvre est forte. « On n’a pas, en 2023, le personnel nécessaire pour accepter des baisses de ratio dans les classes », a-t-elle dit en exemple.

Pour le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, « le salaire, ce n’est pas tout ». « Je suis rendu à 55 écoles visitées en un peu plus d’une année. Les enseignants me disent : donnez-nous de l’aide. C’est ce qu’on leur propose dans cette négociation, c’est de leur donner de l’aide : 4000 aides à la classe dans 15 000 classes, c’est un investissement de plusieurs centaines de millions par année récurrent », a-t-il dit.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a pour sa part convenu que « le réseau a besoin d’une meilleure rémunération dans certains cas, mais [il] a surtout besoin de se challenger, d’avoir une meilleure organisation du travail ».

Montréal

Les brigadiers payés peu importe la durée de la grève, dit la Ville

Même si la grève du secteur de l’éducation se poursuit au-delà de trois jours, les 550 brigadiers de Montréal continueront d’être payés plutôt que de se retrouver en congé sans solde, assure maintenant l’administration de Valérie Plante.

Mardi, La Presse rapportait que les quelque 550 brigadiers qui aident chaque jour les enfants à traverser les rues près des écoles ne seraient pas payés par la Ville de Montréal en raison des grèves dans le secteur de l’éducation. Après trois jours, leur convention prévoyait qu’ils se retrouvent en congé sans solde.

La Ville de Montréal disait se pencher sur des « solutions », mais assure maintenant qu’elle paiera ses brigadiers, quoi qu’il en soit.

« Il n’a jamais été question de laisser tomber les brigadiers », a déclaré Alain Vaillancourt, responsable de la sécurité au sein du comité exécutif de Valérie Plante.

« [Les brigadiers] nous tiennent à cœur, on veut qu’ils soient présents, on connaît leur situation de précarité d’emploi : il n’a jamais été question de les laisser tomber. »

— Alain Vaillancourt, responsable de la sécurité au sein du comité exécutif de la Ville de Montréal

« Nous allons trouver une solution pour rémunérer [les brigadiers] si la grève va au-delà de trois jours », a ajouté M. Vaillancourt.

Que feront-ils ? Les discussions se poursuivent avec les syndicats à ce sujet, indique M. Vaillancourt.

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui représente ces travailleurs qui gagnent environ 16 000 $ par année, s’inquiétait du fait qu’après trois jours d’inactivité, ces travailleurs allaient être « mis à pied ».

« J’essaie de me battre avec la Ville présentement, mais on ne veut rien savoir de les payer », avait déclaré Marie-Claude Lessard, ajoutant qu’il s’agissait d’une décision qui n’a pas son égal ailleurs au Québec.

La décision de l’administration Plante de finalement payer les brigadiers en cas de conflit qui se prolonge la réjouit. « Nous sommes extrêment contents et mes brigadiers seront rassurés », indique Mme Lessard. Une rencontre est prévue mercredi avec la Ville pour discuter des modalités, précise-t-elle.

À Québec et à Trois-Rivières

La Ville de Québec confirme que les brigadiers à son emploi continueront d’être payés, malgré la grève générale illimitée qui sera déclenchée dès le 23 novembre par le Syndicat de l’enseignement de la région de Québec (SERQ).

À Trois-Rivières, on tente d’offrir « des tâches en bibliothèque ou au sein d’organismes communautaires », indique le porte-parole Mikaël Morrissette.

Ceux de Montréal devaient à l’origine prendre des « journées tempêtes » pour les trois premiers jours de grève, puis faire une demande à l’assurance-emploi dès vendredi.

Recrutement difficile

Les enseignants de Montréal seront en grève générale illimitée dès cette date, mais les écoles sont fermées depuis mardi en raison de la grève du Front commun, qui compte parmi ses rangs du personnel scolaire autre que les enseignants.

Les brigadiers scolaires de la métropole sont payés 20,01 $ l’heure. Ils font en moyenne 20 heures de travail par semaine – des horaires coupés en trois quarts de travail par jour – pendant 40 semaines par année. La plupart de ces brigadiers ont plus de 50 ans.

Le recrutement s’est avéré difficile dans les dernières années, à tel point que des policiers du Service de police de la Ville de Montréal ont dû effectuer eux-mêmes ces tâches à un taux horaire nettement plus élevé. Selon le syndicat, il manque environ 70 brigadiers à Montréal.

— Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

Grève dans le réseau de la santé

Les employés « prêts pour un long combat »

Après une nouvelle journée de grève, des travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux se disent « prêts pour un long combat » afin d’obtenir de meilleures conditions de travail.

« On est prêts à continuer la grève le temps qu’il faudra. On est tous prêts pour un long combat », a déclaré Jean-François Dionne, qui travaille dans les cuisines du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis une vingtaine d’années. Une centaine d’employés s’étaient rassemblés devant l’établissement mardi matin, pancarte à la main, dans le but de se faire entendre par le gouvernement.

La deuxième séquence de grève du Front commun du secteur public a débuté mardi et se poursuivra jusqu’à jeudi. Le Front commun regroupe 420 000 travailleurs de quatre syndicats (CSN, CSQ, FTQ et APTS). Les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation sont touchés.

« J’ai voté pour faire la grève illimitée. Ça prendra le temps que ça prendra. Je me suis acheté de nouvelles combines. Je suis prêt », s’est exclamé en riant Pierre-Yves Paradis, qui travaille en médecine nucléaire. Il déplore que les salaires, dans son domaine, soient beaucoup moins élevés qu’ailleurs au Canada, ce qui nuit à la rétention de personnel.

La dernière offre du gouvernement Legault comprend des augmentations de salaire de 10,3 % sur cinq ans, en plus de bonifications représentant 3 % pour certaines catégories de travailleurs et un versement forfaitaire pour tous de 1000 $ la première année.

« Je pense que le gouvernement ne se rend pas compte qu’on existe et qu’on a des familles », a déclaré la technicienne de laboratoire Cassandre Houdin.

« On travaille déjà comme des chiens les fins de semaine, les fériés et les nuits. Ça ne suffit pas. »

— Cassandre Houdin, technicienne de laboratoire

De meilleures conditions de travail

« Depuis plusieurs années, le réseau est en crise et aujourd’hui, on vit un paroxysme. Tout le personnel est en surcharge de travail et tout le personnel est en épuisement », a déclaré le président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Réjean Leclerc, en mêlée de presse devant le centre de recherche du CHUM.

Le Front commun juge l’offre du gouvernement Legault « dérisoire » et « insultante ». Il demande plutôt des augmentations salariales représentant environ 20 % sur trois ans.

« Le gouvernement doit accepter de nous parler. Messieurs les ministres, madame LeBel, au lieu d’enrichir les millionnaires des Kings, commencez donc à vous préoccuper des conditions de travail pour améliorer le sort de tous vos travailleurs », a déclaré Sylvie Nelson, présidente du Syndicat québécois des employées et employés de services (SQEES-FTQ).

Des répercussions sur le réseau

Ces journées de grève auront des répercussions sur le réseau de la santé. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) estime à 450 le nombre d’interventions chirurgicales non urgentes qui devront être reportées par journée de grève.

Autour de 1500 opérations sont réalisées chaque jour et les services sont maintenus à 70 %. « Les chirurgies urgentes, semi-urgentes et oncologiques ne sont pas affectées », a déclaré le porte-parole du MSSS, Francis Martel.

Il précise d’ailleurs que les chiffres sont basés sur des hypothèses théoriques et « pourraient varier considérablement selon la situation observée réellement dans chaque établissement ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.