10 semaines

Les agriculteurs connaissent probablement la saison d’ensemencement la plus coûteuse de l’histoire. En conséquence, certains cultivateurs préfèrent rester inactifs et ne plantent aucune semence. Ottawa aurait pu aider, mais il est maintenant trop tard. Pendant ce temps, la planète pourrait voir plus de 220 millions de personnes supplémentaires vivre l’insécurité alimentaire.

Ce qui se déroule en ce moment dans le monde caractérise le scénario parfait d’une crise mondiale de la sécurité alimentaire. Avec les changements climatiques, couplés à une pandémie, une guerre et maintenant une thésaurisation nationaliste, la sécurité alimentaire est en péril.

Tout d’abord, les changements climatiques réels touchent l’agriculture depuis déjà très longtemps. La nature imprévisible des phénomènes météorologiques violents rend la vie des agriculteurs plus difficile. La pandémie, d’autre part, a affaibli les chaînes d’approvisionnement, rendant la logistique plus coûteuse lors du transport de toute nourriture, sur terre et sur l’eau. Le virus a désynchronisé l’économie mondiale et les retards ont également eu des répercussions sur les coûts. Le prix des matières premières augmentait déjà avant l’invasion de l’Ukraine, mais l’assaut de la Russie a poussé les prix vers un nouveau sommet jusqu’ici inégalé. Alors que le maïs a augmenté de près de 20 % depuis l’invasion russe, le blé a subi une hausse d’au-delà de 30 %. Le soja, l’avoine et le canola affichent tous des prix plus élevés qu’il y a quelques mois.

Le conflit touche essentiellement l’une des régions de production agroalimentaire les plus importantes au monde.

L’Ukraine produit suffisamment de nourriture pour alimenter près de 400 millions de personnes sur terre chaque année. Ce qui représente à peu près la population des États-Unis.

Faire taire une économie agricole comme celle de l’Ukraine aura des conséquences. Près de 40 pays reçoivent de l’Ukraine au moins 50 % de leur approvisionnement en céréales.

Pendant très longtemps, la sécurité alimentaire mondiale pouvait être compromise essentiellement par des problèmes de distribution alimentaire. Nous produisions suffisamment de nourriture, mais la disponibilité dans certaines régions représentait un défi.

Cette année, le monde entier se voit confronté à un problème d’accès à la nourriture. Nous n’aurons pas assez de nourriture pour tous les habitants du globe. Nous en avons pour à peine 10 semaines, compte tenu des contraintes liées au conflit ukrainien. Les premiers rapports suggéraient que le nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition sur la planète pourrait augmenter de 100 millions en raison des pénuries alimentaires résultant de la crise ukrainienne. Ce nombre passe maintenant à 220 millions, dans 43 pays, selon le programme alimentaire mondial de l’ONU.

Et maintenant, voici que le protectionnisme nationaliste prend d’assaut la planète, comme l’Indonésie l’a fait temporairement avec l’huile de palme, l’Inde avec le blé et d’autres pays qui mettent fin aux échanges. Cela ne peut que conduire à plus de famine. Ainsi, la Russie, touchée par de nombreuses sanctions, accuse désormais le monde pour l’aggravation de la crise alimentaire mondiale à laquelle la planète se voit actuellement confrontée.

Ce serait comme accuser les pompiers pour un immeuble en feu. Mais les sanctions contre la Russie ont sans aucun doute des répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale.

Pendant que la misère cogne à la porte de plusieurs régions du monde, l’Amérique du Nord se trouve dans une certaine bulle de « sécurité alimentaire ». Lors de nos visites à l’épicerie, la plupart des étagères regorgent de nourriture. Peu de gens peuvent comprendre ce que vivent les autres parties du monde.

La sécurité alimentaire reste l’affaire de tous, mais Ottawa ne semble pas comprendre l’étendue de la crise actuelle. Les agriculteurs canadiens font face à la saison d’ensemencement la plus coûteuse de l’histoire. Des rapports suggèrent maintenant que certains cultivateurs préfèrent ne pas planter du tout cette année, en raison des coûts extrêmement élevés des intrants. Un allégement fiscal ou une aide supplémentaire à l’assurance récolte aurait été utile, mais il est maintenant trop tard.

Pendant ce temps, le président Joe Biden a demandé au Congrès américain d’approuver une somme de 500 millions de dollars pour le secteur agricole, dans le but d’encourager les producteurs de blé à doubler leurs champs. Mais la même administration a temporairement autorisé pour l’été la vente de l’essence E15 qui utilise un mélange à 15 % d’éthanol.

Cette mesure vise à réduire le prix de l’essence, mais sacrifier la filière alimentaire au profit de la filière énergétique exhibe un manquement au sens moral, surtout cette année.

L’alimentation occupe une place centrale dans nos démocraties. Les sociétés affamées finiront par s’effondrer. L’ordre mondial repose sur des systèmes alimentaires démocratiques hautement fonctionnels. Le Canada doit aborder la question de la productivité agricole pour augmenter les rendements dans les années à venir, afin qu’elle puisse avoir plus d’importance pour le reste du monde. Avec ses nombreuses mesures protectionnistes, le Canada manque d’ambition et le monde a plus que jamais besoin de l’agriculture canadienne. La question de l’abordabilité des engrais mérite également notre attention pour les années à venir.

La planète réalise à quel point le président russe Vladimir Poutine peut affecter un très grand nombre de gens. Alors qu’il envahit l’Ukraine, Poutine utilise désormais la nourriture comme une arme. Le port d’Odessa reste paralysé par le conflit, empêchant l’Ukraine d’expédier sa nourriture hors du pays. Permettre à la nourriture de sortir de cette région devrait constituer une priorité pour la planète.

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