Nouveau tracé du REM de l’Est

La fausse bonne idée

La force d’un réseau de transports en commun repose sur plusieurs critères : la qualité de son service, son accessibilité, son déploiement et, comme son nom l’indique, sur le fait d’être… un réseau !

Plus les connexions se font avec rapidité et efficience entre les systèmes sur rails (tramway, train…), le réseau routier (autobus, voies réservées…) et les modes de transport actif (vélo, marche, trottinette…), plus ce réseau devient attractif pour les citoyens. Plus on a de chance de voir un transfert modal, c’est-à-dire d’inciter des automobilistes à utiliser un autre mode de transport.

Or, les changements que vient d’annoncer la Caisse de dépôt pour son REM de l’Est, dans le secteur de Mercier, vont exactement dans le sens contraire. Alors que la branche Nord sera connectée à la ligne verte du métro via la station L’Assomption, on propose maintenant de déconnecter la branche Est afin de déplacer une portion du tracé vers une emprise ferroviaire existante qui longe les avenues Souligny et Dubuisson.

On laisse ainsi tomber la connexion avec notre système souterrain pour les quartiers à l’est du Stade olympique, où certaines stations de métro sont encore sous-utilisées.

Résultat : on élimine des options de transport pour les usagers et on isole le REM plutôt que de développer une vision d’ensemble pour mieux servir les citoyens, qui n’ont pas uniquement le besoin de se rendre au centre-ville. Cette « déconnexion » du métro risque d’ailleurs d’avoir un effet collatéral : celui de diminuer le financement de la Société de transport de Montréal (STM) par effet de cannibalisation de la clientèle.

Au service d’un modèle d’affaires

Remarquez que ce n’est pas le rôle de la Caisse d’élaborer une vision cohérente avec les infrastructures existantes, mais bien celui de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM)… qui aurait probablement dû, à la base, piloter ce dossier. Ou du moins, être davantage impliquée dans le développement du projet. La Caisse, elle, pense avant tout à son modèle d’affaires, basé sur la profitabilité. Transférer des usagers sur des réseaux complémentaires nuit à sa rentabilité, surtout lorsqu’on reçoit une contribution par kilomètre parcouru par ses clients…

Ce changement de tracé dans l’Est est d’autant plus discutable pour les résidants de Mercier, qui verront s’aggraver une fracture urbaine qui fait déjà mal au secteur depuis plusieurs années.

Quiconque ayant circulé dans le quartier a constaté que l’emprise ferroviaire du Canadien National (CN) rend hasardeux les déplacements nord-sud, en plus de créer deux solitudes de chaque côté des rails. Les voitures doivent se synchroniser de façon fastidieuse pour traverser à certaines intersections, rendant la vie plutôt difficile aux piétons et aux cyclistes.

Et comme si ce n’était pas suffisant, cette cicatrice urbaine sera amplifiée par les voies aériennes du REM, qui atteindront de « 10 à 12 mètres de haut » à proximité d’immeubles résidentiels de faible hauteur. Sans compter les nuisances sonores que généreront les trains de la Caisse. Si les résidants du coin sont déjà habitués aux bruits provoqués par les trains de marchandises, le REM n’est pas comparable avec une fréquence des passages qui sera beaucoup plus élevée.

Et là, je vous épargne les enjeux de sécurité sous la structure et la propreté des lieux. Les graffiteurs seront inévitablement séduits par les futurs piliers de béton du REM, qui s’enchaîneront à perte de vue.

Pas surprenant d’ailleurs de constater que les citoyens du secteur ont réservé un accueil très mitigé à cette annonce de la Caisse. Plusieurs d’entre eux espèrent toujours voir un REM souterrain dans leur quartier dans l’espoir de préserver leur qualité de vie.

Bref, plus le projet progresse, plus on se demande s’il est souhaitable pour la métropole. En plus de mettre en péril des milieux de vie et le paysage urbain, le modèle d’affaires établi coûtera très cher aux Québécois, tout en venant cannibaliser les réseaux de transport actuels. Cela en vaut-il vraiment la chandelle collectivement ?

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