CRi

Au service de l’émotion

C’est un peu par hasard que sa reprise de Fous n’importe où, enregistrée avec Charlotte Cardin, tourne beaucoup à la radio. Reste que CRi (né Christophe Dubé) souhaite démocratiser la musique électronique. Comment ? Avec de l’émotion dans ses chansons, comme le font ses idoles Moby et Daniel Bélanger. Entrevue en vue de la sortie de son premier album, Juvenile, vendredi.

Des instrumentations électros épurées épousant des mélodies qui remuent notre intérieur dès la première écoute. Avec des collaborateurs dont les voix sont exploitées et arrangées à leur plein potentiel. Mais surtout, de l’émotion, tant dans les chansons dansantes que dans les pièces plus introspectives. Voilà Juvenile en quelques mots.

Ceci explique cela. Tôt pendant notre entretien, CRi raconte que les deux albums les plus marquants de sa jeune vie sont Play de Moby et Rêver mieux de Daniel Bélanger.

Deux opus qui n’ont pas pris une ride. Réécouter Porcelain de Moby est un bonheur réconfortant perpétuel, alors que Daniel Bélanger avait prédit l’avenir dès 2001 en chantant : Six milliards ça fait beaucoup/De seuls ensemble.

Il faut avoir une grande sensibilité musicale (et bon goût) pour tripper sur Moby et Daniel Bélanger à l’âge de 10 ans.

C’était le cas de Christophe Dubé, alias CRi. « Et je n’ai jamais décroché depuis ce temps-là », lance-t-il.

Le premier album de CRi, Juvenile, sort vendredi. Il suit des EP (dont un nommé au gala des Juno) et des collaborations remarquées, notamment avec Jean-Michel Blais et Charlotte Cardin.

Ce premier album sort avec le prestigieux label de musique électronique d’estime Anjunadeep, et il s’avère surtout la fin d’une grande étape que Christophe Dubé voulait franchir. Celle de sortir un premier « long-jeu » officiel.

Selon lui, le concept d’album est plus important que jamais à l’ère de l’écoute en continu (streaming) et des extraits lancés à la pièce. « Pour l’auditeur, c’est LA façon d’entrer à fond dans l’univers d’un artiste et de sa démarche », fait-il valoir.

C’est une chose d’accumuler des chansons, c’en est une autre de former avec elles un tout cohérent et significatif. À l’image de Play de Moby, CRi voulait un album « cinématographique, enivrant et mélancolique », résume-t-il.

Les deux chansons enregistrées avec son ami Jesse Mac Cormack – pimentées de sons électros nineties – ont dicté le ton au reste. Aller vers le dance et la pop ? Pourquoi pas.

« C’est pourquoi le titre de l’album est Juvenile, précise Christophe Dubé. Je voulais faire l’éloge d’un état d’esprit naïf, léger et fonceur. Comme un ado qui fait des choses sans trop savoir pourquoi. Pour avancer et parce qu’il a besoin d’exister. »

Agir avant de penser

Christophe Dubé a fait partie d’un groupe rap à l’adolescence, mais il a mis la musique de côté pour étudier en sciences politiques à l’Université Laval. Il avait de bonnes notes, même des bourses, mais il était malheureux. « Je voulais faire plaisir à mon père qui est prof d’université », dit-il avec le recul.

Sa mère l’a poussé à décrocher et à livrer de la pizza pendant plus d’un an pour économiser de l’argent en vue de déménager dans le 514 afin de faire une majeure en musiques numériques à l’Université de Montréal. « Honnêtement, je n’ai pas appris grand-chose, mais j’ai rencontré Ouri qui a été ma copine et ma plus importante collaboratrice dans mon cheminement artistique. »

Entre-temps, le projet CRi est né, et un premier EP, Eclipse, a vu le jour en 2013. « Sans trop savoir ce que je faisais, dit-il. C’était un peu naïf comme démarche. Je me répète, mais je voulais exister. »

CRi aime sans contredit se mettre devant le fait accompli. « Je suis un peu gossant pour mes proches avec tous mes projets », confie-t-il.

Une rencontre avec Charlotte Cardin

À ses débuts, CRi a fait des rencontres marquantes, dont Odile Myrtil et Phil Sparkz du collectif Booty Bakery, qui était associé à la scène piu piu.

Pour joindre les deux bouts, il a longtemps écrit et enregistré de la musique pour l’industrie publicitaire. Notamment pour la boîte Cult Nation, où il a rencontré Charlotte Cardin.

Leur reprise de Fous n’importe où de Daniel Bélanger devait servir essentiellement à une publicité de Tourisme Québec, mais le résultat était trop réussi pour ne pas en faire un extrait. Un an après sa sortie, c’est devenu un tube radiophonique.

« À la base, ce n’était pas une chanson de CRi, donc je me suis prêté à fond dans le jeu de la pop. Je dirais que cette toune-là m’a permis de m’assumer dans ma démarche et dans ma volonté de démocratiser la musique électronique comme on l’a fait avec le hip-hop. »

Autre voix féminine que CRi met superbement en valeur, celle d’Emma Bernarche, chanteuse du groupe Men I Trust. Elle figure sur deux chansons de Juvenile.

Sophie Bel et Robert Robert ont aussi prêté leur voix à Juvenile. Un album dont CRi a bâti l’ordre des chansons tel un spectacle. Ou telle une vague à l’intensité tantôt émotive, tantôt dansante.

En avril dernier, en plein confinement, CRi a par ailleurs sorti un clip très prenant pour l’extrait Never Really Get There. Sa sœur, la réalisatrice Alexa-Jeanne Dubé, a filmé des gens en train de danser à travers les fenêtres de leur maison.

Une collaboration de rêve

Même Daniel Bélanger a accepté de collaborer avec CRi sur la chanson Signal. Une grande fierté pour CRi (et ses parents). « La première fois que j’ai rencontré Daniel, je shakais, mais c’est comme si je le connaissais depuis 10 ans. Peut-être parce que c’est mon père musical. »

Dans la foulée de cette collaboration, qui n’est sans doute pas leur dernière, CRi estime n’avoir pas encore totalement percé le mystère Bélanger. Après de multiples cafés, « nous sommes rendus à l’étape de la bière », dit-il avec un sourire (fier) en coin. ÉlECTRO

Juvenile

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Anjunadeep

Sortie le 16 octobred’étoiles

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