Acheter pour se défouler

Avez-vous eu l’impression de dépenser plus, depuis deux ans, sur des achats souvent impulsifs – et pas toujours raisonnables ! – par frustration ou par dépit devant les hauts et les bas de la situation sanitaire ? C’est le cas de bien des gens, et le phénomène a même été baptisé par les médias anglo-saxons : le revenge shopping – ou le magasinage de revanche.

Lorsque son voyage en Europe a été annulé, pendant les Fêtes, le beau-frère de Charles de Brabant s’est mis à dépenser sans compter.

« Il a acheté plein de biens de consommation ; il s’est éclaté en ligne, à gauche et à droite – parce qu’il avait l’argent pour le faire, mais aussi parce qu’il était déprimé, frustré et fâché », relate le directeur exécutif de l’École Bensadoun de gestion du commerce au détail de l’Université McGill.

Charles de Brabant estime que la pandémie a eu un double effet : d’un côté, ceux qui ont eu la chance de garder des emplois relativement bien rémunérés se sont retrouvés avec une épargne plus grande qu’à l’habitude ; de l’autre, la situation a créé des frustrations « énormes » chez les gens qui ont cherché à se défouler d’une manière ou d’une autre. Et comme on ne pouvait pas s’offrir des « expériences » – une sortie au restaurant ou un après-midi au spa –, beaucoup se sont tournés vers les biens de consommation, précise-t-il.

Mais ce qui était auparavant un comportement individuel est aujourd’hui devenu collectif, à son avis. « Je prends un exemple personnel : j’ai eu le cancer un certain nombre de fois. Après en avoir tellement bavé avec la chimio, on veut absolument se faire plaisir et c’est normal, si on peut se le permettre financièrement. »

« Je vais me gâter »

En effet, ces derniers temps, tout le monde a eu l’impression de « mériter » ceci ou cela. « La pandémie devient une bonne excuse pour dire : “Ah, je le mérite, j’ai le moral bas, donc ça va me faire du bien, je vais me faire plaisir…”, intervient la psychologue Katia Bissonnette. Avec les contraintes qu’il y a eu, Noël qui a été annulé, les gens se sont dit : “Avec l’argent, je vais me gâter’’, pour venir pallier un peu les pertes subies. Mais en temps normal, la personne ne l’aurait pas acheté, ce bien-là. »

Au début de la pandémie, ce sont surtout les magasins de rénovation et les quincailleries qui ont profité de la tendance, selon Charles de Brabant. Puis la décoration a pris le dessus. « On a un peu d’argent, on achète un nouveau sofa, on se crée un gym à la maison », illustre-t-il.

Katia Bissonnette abonde dans ce sens : « On l’a vu avec les Ski-Doo, les sports… Les gens se sont vraiment plus équipés qu’ils ne l’auraient fait en temps normal. »

« Le fait d’acheter, ça peut amener le sentiment de reprendre un peu le pouvoir sur sa vie parce que la pandémie a entraîné un sentiment d’impuissance dans la population. Ce sentiment peut être lourd à porter et, en faisant un achat, ça vient en quelque sorte apaiser la personne. Ce qu’on cherche en premier, c’est un certain réconfort dans cet achat. »

— Katia Bissonnette, psychologue

Pour Thomas Kyo Beom Koo, professeur adjoint de marketing à l’Université Laval, ces achats de revanche faits dans les moments les plus sombres de la pandémie s’apparentent en partie à ce que les chercheurs appellent du magasinage thérapeutique (retail therapy, en anglais), ces petits ou grands cadeaux qu’on s’offre, comme un rouge à lèvres ou un sac à main, dans le but d’améliorer son humeur – que l’on soit triste, déprimé, anxieux, stressé… – et de se réapproprier une forme de contrôle.

Ce qu’il observe cependant dans le revenge shopping – même si cette tendance relativement nouvelle n’a pas encore été étudiée –, c’est une tendance vers les achats plus « extravagants », avec une attitude très « YOLO » (acronyme de you only live once, soit « on ne vit qu’une fois »).

« Je crois que beaucoup de gens éprouvent ce sentiment d’essayer des choses qu’ils n’auraient pas expérimentées autrement […] ou de s’offrir des articles plus luxueux, estime-t-il. Et maintenant que les voyages vont être plus possibles, je crois que certaines personnes pourraient canaliser leur désir d’acheter des articles de luxe vers des services ou des expériences, en réponse à ces désirs réprimés. »

« Les gens ont été plus vulnérables pendant la pandémie sur le plan des émotions. Donc la réflexion se faisait peut-être moins – ou d’une façon différente – avant d’acheter », suggère la psychologue Katia Bissonnette.

Mais ce n’est pas pour autant une raison de se sentir coupable, souligne-t-elle, du moins, tant que l’achat ne devient pas compulsif ou ne mène pas à l’endettement. Car, à moins d’être très discipliné, qui n’a jamais succombé à un coup de tête ?

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