L'évènement

La fureur du monde vue par Nancy Huston

Arbre de l’oubli

Nancy Huston

Actes Sud/Leméac

306 pages

Trois étoiles et demie

Beaucoup de colère émane de ce nouveau roman de Nancy Huston. La romancière canadienne qui vit à Paris depuis des décennies a saisi l’air du temps de ce vent d’exaspération et de remises en question des vieux dogmes qui souffle partout, particulièrement celui qui émane des femmes et des Afro-Américains, qu’elle a concentré dans l’histoire de Shayna, jeune métisse américaine qui cherche à comprendre ses origines jusqu’à se perdre elle-même.

On retrouve avec fascination la virtuosité de Nancy Huston, capable de dessiner des destins individuels tout en les situant au cœur d’enjeux beaucoup plus larges. Dans Arbre de l’oubli, elle suit ainsi le parcours de Shayna, mais aussi celui de ses parents avant son arrivée au monde, Lili Rose Darrington et Joel Rabenstein, dans des chapitres intercalés qui se répondent et se complètent et qui finissent par converger. Des chemins qui montrent à quel point chaque individu, même s’il fait ses choix, est aussi la somme de la société et de l’Histoire.

Procréation, religion, classes sociales, éducation, inceste, prostitution, création, santé mentale, tourisme sexuel, Shoah… Nancy Huston ratisse ici très large avec plusieurs de ses sujets de prédilection. Et même si elle perd parfois de vue ses personnages, son talent et son expérience lui ont permis de construire malgré tout un récit prenant et fluide, et qui comporte même quelques parts de mystère à éclaircir au fur et à mesure qu’on avance dans le livre.

Si le personnage de Lili Rose est le plus complexe et celui de Joel le moins consistant, c’est à travers Shayna et sa quête d’identité – thème central du roman – que se cristallisent le ras-le-bol des Afro-Américains ainsi que les contradictions de notre époque, le clivage générationnel, mais aussi celui entre les « marrons » et les « beiges ».

C’est d’ailleurs au cours d’un premier voyage en Afrique que la jeune femme plongera au cœur de cette tourmente intérieure, et qu’elle sera encore davantage hantée par le poids des outrages du passé – et ceux du présent aussi. Rompant avec la prose élégante du roman, de courts textes écrits tout en majuscules traduisent cet intense et ininterrompu bouillonnement intime, dans lequel les voix et les images s’entrechoquent.

Ces passages empreints de douleur et de rage teintent tout le roman, qui est aussi vaste et ample que brutal et sans concession, et où il ne reste que peu de place pour l’amour, la tendresse et la rédemption. L’heure n’est pas au pardon, à peine au dialogue, dans ce monde à feu et à sang où échapper à son passé semble impossible.

« Il ne s’agit plus de dire, mon maître. Il ne s’agit plus que de hurler. » Ce n’est pas pour rien que cette citation de Romain Gary ouvre Arbre de l’oubli. C’est manifestement ce qui a guidé l’écrivaine, dont on retrouve la puissance des mots, le regard aiguisé et l’intelligence ironique avec délectation – un peu comme si on retrouvait une amie de longue date, en fait. Mais une amie qui ne fait pas de quartier, et qui réussit à traduire l’époque pour le meilleur et pour le pire : Nancy Huston n’a rien perdu de sa capacité de comprendre le monde et les autres, et c’est certainement une de ses plus grandes qualités.

Critique

De mère en fille

La beauté du ciel

Sarah Biasini

Stock

251 pages

Trois étoiles et demie

La mère de Sarah Biasini est morte alors qu’elle n’avait que 5 ans. Comme bien des orphelins qui ont perdu un parent à un très jeune âge, elle a peu de souvenirs. Sauf que le monde entier, lui, en a. Quand on est la fille de Romy Schneider et qu’on lui ressemble, il faut s’attendre à être interpellé à tout moment par des gens curieux qui souhaitent absolument faire partager un souvenir ou une anecdote. Qui n’a pas a-do-ré Sissi… ou la Rosalie du film de Sautet ?

Mais Sarah, elle aussi actrice, a tendance à se crisper quand on lui parle de l’actrice mythique. D’ailleurs, elle ne la nomme qu’une seule fois en 251 pages, et seulement par son prénom. Car pour elle, Romy Schneider, c’est avant tout « maman ».

Le jour où la gendarmerie de Mantes-la-Jolie l’appelle pour l’informer qu’on a profané la tombe de sa célèbre mère coïncide avec le moment où Sarah devient enceinte. Les deux évènements déclenchent en elle un besoin irrépressible d’écrire à cet enfant à naître pour raconter un peu d’où elle vient.

Entre cette mère qu’elle n’a pas connue et cette enfant qu’elle ne connaît pas encore, Sarah Biasini tente, avec une sincérité émouvante, d’expliquer qui elle est. Elle évoque son enfance hors norme, sa grand-mère paternelle qui l’a élevée comme sa fille, et ce douloureux héritage ponctué de drames (Sarah a également perdu son demi-frère, David, mort à l’âge de 14 ans alors qu’elle n’avait que 4 ans).

Comment trouver son identité propre quand on est l’enfant d’un monstre sacré auquel on n’a jamais pu se confronter ? De « la fille de », Sarah se métamorphose au fil des pages en « la mère de », un acte libérateur même si sa maternité est pétrie d’angoisses. Avec ce livre, Sarah Biasini signe ici un premier texte très senti, porté par une écriture simple, efficace et franche. Bonne nouvelle : une écrivaine est née.

— Nathalie Collard, La Presse

Critique

Thriller au pays du Führer

L’ange de Munich

Fabiano Massimi

Albin Michel

547 pages

Trois étoiles et demie

C’est l’histoire d’une jeune femme trouvée morte dans son appartement (verrouillé), un pistolet à ses côtés. Suicide ? Affaire classée ?

Ce qui pourrait passer pour un simple fait divers est à l’origine d’un fascinant roman, mi-historique, mi-fictif, lequel plonge le lecteur dans un pan méconnu (et dérangeant s’il en faut) de l’histoire. Une histoire déjà assez monstrueuse, merci, à laquelle s’ajoute ici une couche tordue de plus (sources à l’appui, d’où l’intérêt décuplé, si vous voulez notre avis).

C’est que la femme en question n’est pas n’importe qui, et ce « suicide » ne se passe pas n’importe quand. Il s’agit en effet de Geli Reubal, nièce et protégée (adorée) d’Hitler. Et l’affaire se déroule à Munich en 1931, tout juste avant la fulgurante ascension de qui l’on sait.

Vous l’aurez deviné : l’auteur, Fabiano Massimi, un bibliothécaire italien qui signe ici son premier roman, ne croit pas à la thèse du suicide. Et il y a de quoi (sa bibliographie en fait foi). Deux enquêteurs ont d’ailleurs creusé l’affaire à l’époque, personnages colorés qu’il fait revivre ici (et à qui il invente une vie), aux côtés des Hess, Goering, Himmler et Heydrich, sinistrement plus célèbres.

Si l’ouvrage s’appuie sur des faits (en plus d’être sa nièce, Geli était sa maîtresse, et Hitler avait un penchant pour des pratiques plutôt perverses), on peine à démêler le vrai du faux du récit. Où s’arrête la fiction ? Où commence la vérité ? En réalité, la vérité du qui et du pourquoi a toujours été camouflée. Fabiano Massimi propose donc sa version, comprend-on dans sa (trop courte) note finale, un post-scriptum justificatif qu’on aurait souhaité plus explicatif, pour conclure une si vertigineuse et accrocheuse lecture.

— Silvia Galipeau, La Presse

Critique

Le pouvoir du collectif

Choisir l’environnement

Sylvain Perron et Jean-François Gingras

Éditions Somme toute

152 pages

Trois étoiles et demie

« Les actions individuelles ont atteint leur limite. » Ce seul constat, en quatrième de couverture de Choisir l’environnement, pourrait être décourageant. Mais ce n’est pas le ton de ce court essai. L’heure est grave, mais l’approche des auteurs Sylvain Perron, président du Réseau de milieux naturels protégés, et Jean-François Gingras, cofondateur et administrateur du mouvement citoyen Orphelins politiques, est positive. Si on n’entend plus parler du trou dans la couche d’ozone aujourd’hui, c’est que les mesures adoptées par les États ont fonctionné, rappellent-ils.

Jugeant que la responsabilité des gouvernements ne peut se résumer à encourager les gens à recycler et à acheter des véhicules électriques, les auteurs proposent des mesures que l’État québécois pourrait mettre en place pour réussir sa transition écologique. L’ouvrage aurait pu être aride, mais il s’avère très accessible et s’adresse tout autant à ceux et celles qui souhaitent comprendre l’impact et le coût environnemental de nos comportements.

Parmi les idées proposées, il y a la création d’une taxe kilométrique – un prélèvement fiscal établi en fonction du kilométrage parcouru par un véhicule –, la mise sur pied d’un centre d’expertise provincial pour chapeauter les projets de transports collectifs, un meilleur appui à l’agriculture biologique, notamment dans l’approvisionnement des institutions publiques, et un soutien financier aux municipalités qui se privent de taxes foncières en préservant des milieux naturels.

Des idées qui ne sont certes pas toutes nouvelles, celle de l’octroi d’un tarif préférentiel d’électricité aux serriculteurs a même déjà été adoptée par Hydro-Québec, mais qui ont le mérite de mettre le collectif au centre de l’action.

— Valérie Simard, La Presse

Taillé pour le grand écran

Les oubliés

John Grisham

JC Lattès

412 pages

Trois étoiles

Le prolifique John Grisham revient avec une nouvelle saga judiciaire, Les oubliés. Ces personnes auxquelles le titre fait référence, ce sont des hommes incarcérés à perpétuité ou qui survivent dans les couloirs de la mort dans l’indifférence la plus totale.

Ceux à qui pense tout particulièrement le romancier, ce sont les innocents, surtout des Noirs, victimes d’un système judiciaire dont l’impartialité s’arrête parfois à la couleur de leur peau. Quincy Miller, par exemple, condamné pour un meurtre qu’il jure ne pas avoir commis.

Les oubliés, c’est un peu David contre Goliath, canevas récurrent chez l’auteur de The Pelican Brief. Cullen Post, pasteur et avocat, se démène pour libérer des innocents. Ses collègues de l’organisation les Anges Gardiens découvrent que Miller a été condamné grâce à un tissu de mensonges et de preuves falsifiées orchestré par un shérif corrompu. Et ils saisissent vite que, même si l’affaire date de plus de deux ans, les vrais commanditaires du meurtre demeurent prêts à tout pour que la vérité n’éclate pas.

Grisham met plus du tiers du roman à placer ses pions. C’est un peu long. Une fois que sa machination commence à se dévoiler, le récit met en lumière les mécaniques poussiéreuses et pourtant bien huilées d’un système révoltant. Une machine teintée par l’électoralisme et l’appât du gain, dont les défaillances résonnent encore plus fort en cette époque marquée par les débats sur le racisme systémique et les violences policières aux États-Unis.

Les oubliés est un bon exposé sur les coulisses de la justice, mais pas un grand thriller. Son style direct, sans profondeur, semble télégraphié pour appeler une adaptation au cinéma, comme c’est arrivé à bien d’autres romans du même auteur. Un bon réalisateur mettra peut-être dans un film la tension qui manque ici.

— Alexandre Vigneault, La Presse

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