Ulster American

Tombent les masques

Toutes les gammes du rire sont exploitées dans la comédie noire Ulster American à l’affiche de La Licorne. Mais le propos de l’auteur David Ireland, l’identité culturelle et le mansplaining (« mexplication »), porté superbement par le trio de comédiens formé de Lauren Hartley, David Boutin et Frédéric Blanchette, est sérieux.

Quand le dramaturge David Ireland, né en Irlande du Nord, traite d’un sujet, tout y passe. Son vitriol ne laisse ni histoire ni personnage tout en blanc ou tout en noir. Le gris est la couleur préférée de cet auteur qui a déjà déclaré au quotidien The Guardian vouloir être un « auteur socialement irresponsable ».

Jugez plutôt. Dans Ulster American, le metteur en scène londonien Leigh (Frédéric Blanchette, louvoyant à souhait) invite l’acteur américain oscarisé Jay (David Boutin, électrique) à venir jouer en Angleterre la pièce d’une autrice prometteuse, British Ruth (un premier rôle principal au théâtre pour Lauren Hartley), originaire d’Irlande du Nord.

Le texte de la pièce traite d’identité au premier regard. Imbu de lui-même, Jay a beau se dire d’ascendance « irlandaise catholique », il se révèle être un ignorant fonctionnel qui ne comprend rien à la situation complexe du Royaume-Uni. Le Londonien Leigh affiche lui aussi de forts préjugés envers ces protestants irlandais « pas vraiment british » qui vivent en Ulster.

Ces deux mononcles machos se montrent condescendants envers Ruth, qui, à l’opposé de la compréhension simpliste des hommes, est, en fait, une jeune autrice plutôt conservatrice et favorable au Brexit ! Leur rencontre se transformera en guerre des tranchées où les effluves de misogynie du metteur en scène et de l’acteur exploseront à la vue du public.

Luxuriant, le récit aborde également les questions de la création artistique, du carriérisme, de la critique, de la célébrité et de tous les clichés que ces enjeux comportent.

En outre, l’intelligente mise en scène de Maxime Denommée, aidée par l’excellente traduction de François Archambault, souligne avec de nombreux détails – regards en coin, gestuelle, mouvements nerveux, etc. – un langage fourmillant de contresens, qui fait penser aux clivages présents dans les débats de l’actualité, quand on parle d’identité et, surtout, de discrimination systémique.

Le sens des mots

Au contraire de la formule populaire clamant qu’« on ne peut plus rien dire », la pièce démontre qu’absolument tout et son contraire s’expriment allègrement de nos jours, mais que le sens des mots a perdu son importance, noyé dans un bruyant capharnaüm qui fait le jeu des extrémistes de tout acabit.

Dans ce contexte, les comédiens nagent à cœur joie dans les malentendus, les paradoxes et les contradictions. Les échanges à deux ou à trois deviennent tonitruants et la confusion finit par triompher. Les mots agissent alors comme révélateurs de la nature profonde de chacun des personnages.

Dans cet intense jeu de chat et de souris langagier, en présence des vétérans David Boutin et Frédéric Blanchette, Lauren Hartley tient admirablement sa place. Une véritable révélation dans un premier rôle principal au théâtre laissant croire que son sourire à la fin du spectacle se voulait à la fois celui de son personnage et le sien en ce jour de son anniversaire de naissance.

Bien joué.

Ulster American

De David Ireland.

Traduction de François Archambault.

Mise en scène de Maxime Denommée.

Avec David Boutin, Frédéric Blanchette et Lauren Hartley.

À la Grande Licorne, jusqu’au 13 novembre

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