La pandémie vous a changé ? Vous n’êtes pas seul
Nous avons tous un proche qui dit avoir moins le goût de sortir depuis la pandémie. Un autre qui se sent moins patient, plus irritable ou qui dit avoir de la difficulté à prendre des décisions.
On a beaucoup parlé des gens que la pandémie a convaincus de quitter la ville pour la campagne ou de réorienter leur carrière. Mais d’autres personnes se sentent juste... changées.
Marc, qui travaille dans le domaine des arts visuels, se dit moins à l’aise qu’avant la pandémie dans sa vie sociale. « Je suis allé à la fête d’une amie. Nous étions 35 au restaurant et je n’avais pas grand-chose à dire », raconte celui qui tient à garder l’anonymat pour des raisons professionnelles.
« J’ai beaucoup de misère à faire des choses improvisées et spontanées », ajoute-t-il. « Est-ce que c’est moi qui ai de la misère à passer à autre chose ? Est-ce que des gens s’adaptent mieux que d’autres ? Je me le demande... Je ne suis pas revenu à la normale et je ne sais pas comment... il y a une énergie qui n’est pas là », constate le jeune quarantenaire.
Est-ce que la pandémie pourrait nous avoir changés ? La réponse est oui, selon une étude récente de la revue PLOS ONE.
Et ce n’est pas surprenant, souligne Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal. « L’équilibre qu’on avait et qui était déjà dur à atteindre a été déséquilibré et il faut retourner à un équilibre qui ne sera pas celui qu’on avait avant », explique-t-elle.
L’étude en question, citée récemment par le New York Times et NPR, révèle que la pandémie a possiblement changé certains traits de nos personnalités, surtout chez les jeunes adultes. Les chercheurs ont analysé des questionnaires remplis à différents moments par 7000 participants (qui prennent part depuis 2004 au projet appelé Understanding America Study), et ils ont noté chez eux un déclin quant à l’extraversion, la créativité, l’agréabilité et le fait d’avoir un esprit consciencieux.
Ainsi, les gens seraient moins sociables, plus conventionnels dans leurs choix, moins confiants et moins organisés. L’effet serait peut-être temporaire, mais il n’est pas négligeable.
« L’étude a montré que ces traits qui nous aident dans la vie de tous les jours ont quand même diminué depuis la pandémie, surtout chez les jeunes. On ne parle pas d’une grande diminution, mais on parle de traits qui sont habituellement stables dans le temps. »
— Roxane de la Sablonnière, professeure au département de psychologie de l’Université de Montréal
Au cours de sa carrière, l’experte en psychologie sociale s’est beaucoup intéressée à ce qu’on appelle dans son domaine des « changements sociaux dramatiques ». Ses recherches l’ont menée au Kurdistan, en Russie, en Mongolie...
Pour qu’un changement social soit considéré comme « dramatique », explique-t-elle, il faut une rupture avec le passé, un dérangement des structures sociales (comme on a vu avec les hôpitaux et les écoles fermées), et des changements dans nos comportements.
« Dès le début, je savais que cette pandémie-là allait être bouleversante avec de grandes répercussions si elle durait longtemps, indique-t-elle. Quand tout le monde est touché par quelque chose, qui peut nous aider ? »
À l’heure actuelle, nous sommes dans un soi-disant retour à la normale, mais la pandémie n’est toujours pas terminée, même qu’on assiste actuellement à une hausse de cas. Résultat : « beaucoup d’incertitude, des questionnements et une certaine menace à qui nous sommes », indique Roxane de la Sablonnière.
« Des gens qui disent : “Je suis plus impatient et je ne l’étais pas”, cela illustre cette incertitude-là. D’être dans ce flou-là, c’est difficile pour l’humain. On veut toujours des réponses à nos questions et savoir pourquoi on fait ceci. »
Outre beaucoup d’incertitude, la pandémie a apporté son lot de désillusions. Beaucoup de gens ont apprécié le rythme au ralenti des périodes de confinement et ils rejettent l’idée de reprendre une vie aussi pressée qu’avant. Avec raison, expose Nafissa Ismail, professeure à l’École de psychologie et titulaire de la chaire de recherche sur le stress et sur la santé mentale à l’Université d’Ottawa.
« La pandémie a changé notre façon de vivre et de travailler, même de côtoyer nos amis et nos familles, donc c’est normal que ça vienne nous changer. Nous nous sommes adaptés à ce qui nous était imposé et il y a des choses de la pandémie qu’on a aimées et qu’on veut garder. »
— Nafissa Ismail, professeure à l’École de psychologie et titulaire de la chaire de recherche sur le stress et sur la santé mentale à l’Université d’Ottawa
« On a vu que la vie est fragile », ajoute Nafissa Ismail, ce qui recadre nos priorités.
Sauf un deuil ou une naissance, par exemple, rares sont les évènements majeurs « qui changent vraiment la perspective d’une vie » comme peut l’avoir fait la pandémie, souligne-t-elle, à l’instar de Roxane de la Sablonnière.
« Et ce que nous avons vécu, c’est du stress chronique », rappelle-t-elle. Cela prend du temps à s’en remettre.
« Les gens ont beaucoup réfléchi au sens du temps dans leur vie », poursuit Simon Grondin, professeur à l’École de psychologie de l’Université Laval et auteur du livre Le temps psychologique en questions.
Si des gens ont trouvé leur compte dans certains aspects du confinement, M. Grondin rappelle qu’il ne faut pas sous-estimer « la force de l’habitude ».
M. Grondin rappelle aussi que le rapport au temps est culturel. « L’environnement social détermine une certaine manière de vivre, impose un certain rythme à la vie », expose- t-il dans son livre.
« Gagner sa vie, ce n’est pas une mince affaire, enchaîne le professeur en psychologie sur une note plus philosophique. Se questionner sur le sens de tout cela, cela peut être troublant. »
Que faire si on se sent dérouté par le métro-boulot-dodo ? « Quand on est dans une période de grande réflexion, il faut évaluer la situation étape par étape pour éviter que ça devienne une autre source de stress. Il faut aussi prendre des pauses et ne pas toujours penser à ça », dit Nafissa Ismail.
De son côté, Roxane de la Sablonnière tient à faire connaître Projet InterCom, une initiative d’intervention communautaire qu’elle a mise en place dans le but de favoriser le bien-être de la population et la résilience chez les jeunes au moyen d’interventions sous forme d’ateliers ou de conférences. Environ 2000 personnes en ont bénéficié depuis décembre 2020.
Parmi les ateliers qui proposent des pistes pour « retrouver ses repères », Roxane de la Sablonnière cite ceux sur l’autocompassion et la compassion. « C’est tout simplement l’idée d’avoir un regard plus doux envers soi-même et les autres », résume-t-elle.
Juste de se dire que c’est peut-être normal d’être plus impatient et moins à l’aise dans les situations sociales après tout ce que la pandémie nous a fait vivre, c’est un grand soulagement et de la culpabilité en moins, fait-elle valoir.