Incontinence urinaire

Fuir le problème

On pourrait croire qu’elle est l’apanage des personnes âgées, mais l’incontinence urinaire est très fréquente chez les jeunes femmes qui vivent une grossesse, puis un accouchement. Pourtant, le régime de santé québécois ne vient que très peu en aide à celles qui en ont besoin. Portrait d’un problème tabou.

Un dossier d’Evelyne Audet

Incontinence urinaire

« Ma grande, va falloir que t’ailles te chercher des Tena »

Selon la revue scientifique française Le Quotidien du médecin, plus de 30 % des femmes de 35 à 50 ans souffrent de fuites urinaires. Le système de santé français est d’ailleurs un précurseur de la rééducation périnéale. Il est le seul au monde à prescrire automatiquement 10 séances de rééducation périnéale à toutes les femmes qui accouchent, ainsi qu’à rembourser 100 % des coûts qui y sont reliés.

Au Québec, aucun service n’est offert gratuitement, et la sensibilisation ne semble pas une priorité pour tous les médecins.

Les fuites urinaires sont causées par une pathologie appelée l’incontinence d’effort. Celle-ci est fréquente et se définit comme une fuite mécanique qui se produit lors d’efforts comme l’activité physique, la marche ou le port de lourdes charges, mais aussi lors de secousses comme la toux, l’éternuement ou l’éclat de rire. L’incontinence d’effort a pour causes principales la grossesse, qui exerce une pression sur les muscles du plancher pelvien, ainsi que l’accouchement par voie vaginale, un traumatisme qui affaiblit ces mêmes muscles, en plus du sphincter urinaire.

Fanny-Maude Théberge avait 21 ans lors de sa première grossesse. C’est durant cette période qu’elle a vécu ses premiers épisodes d’incontinence urinaire, qui se traduisaient surtout par de petites fuites, principalement lors de l’effort ou quand elle riait. Croyant qu’il s’agissait de symptômes normaux de la grossesse, elle n’a pas fait part du problème à son médecin. C’est après l’accouchement que les choses se sont gâtées.

« Après mon accouchement, je suis restée à l’hôpital quelque temps. À un moment donné, j’ai voulu aller à la salle de bain, alors je me suis levée de mon lit, et j’ai uriné complètement par terre. Les infirmières qui étaient sur place m’ont aussitôt dit : “Bon, ben, ma grande, va falloir que t’ailles te chercher des Tena !” Je ne savais pas du tout ce que c’était, j’ai ensuite compris qu’il s’agissait de couches. Jamais on ne m’a parlé de rééducation, de physiothérapie, ou de toute autre approche. C’est vraiment très décevant. » 

C’est finalement par elle-même, beaucoup plus tard, qu’elle a découvert l’existence de traitements de physiothérapie, qui ont contribué à une nette amélioration de son état, sans toutefois le rétablir complètement.

Pour Véronique Boyer, omnipraticienne spécialisée en obstétrique, évaluer à 30 % le nombre de femmes aux prises avec un problème de fuites urinaires est timide. Selon elle, plus le nombre de grossesses augmente, plus ce chiffre augmente. On parle alors plutôt de près de 50 % des femmes qui sont touchées après leur deuxième ou troisième accouchement.

La Dre Boyer fait partie des médecins qui ont à cœur le problème et qui l’abordent systématiquement avec leurs patientes. « Personnellement, j’en parle avec les femmes même si elles n’en parlent pas d’emblée parce que mes années de pratique m’ont permis de constater que certaines sont gênées d’aborder le sujet, alors j’ai décidé de prendre les devants par rapport à ça, indique-t-elle. Malheureusement, dans le système de santé actuel, on a des horaires très chargés et les consultations pour des suivis obstétriques sont souvent très rapides. Je pense donc que certains médecins ne vont pas nécessairement aller plus loin et essayer de voir si quelque chose ne va pas quand la patiente semble bien aller. »

Lignes directrices

La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada énonce les lignes directrices qui guident les praticiens. Les plus récentes ont été publiées en février dernier. Parmi les recommandations, on peut lire : « La mise en œuvre d’exercices de rééducation du plancher pelvien (Kegel) devrait être recommandée pour les femmes qui présentent une incontinence à l’effort […] L’exécution en bonne et due forme des exercices Kegel devrait être confirmée par examen vaginal digital ou par rétroaction biologique […] Un suivi devrait être mis en œuvre pour les femmes qui ont recours à la rééducation du plancher pelvien, puisque les taux de guérison sont faibles et que d’autres traitements peuvent s’avérer indiqués. » Mais pour appliquer ces recommandations, encore faut-il que le médecin soit au courant du problème de la femme.

Les fuites urinaires sont un problème de taille pour les nouvelles mamans. Le sentiment de honte que certaines éprouvent les isole. Plusieurs femmes limitent les sorties en public et les activités extérieures, ce qui pénalise aussi leur enfant. Finalement, certaines s’abstiennent de prendre leur enfant, dont le poids représente une charge qui déclencher ce qu’elles redoutent le plus. 

Réadaptation ou chirurgie

Heureusement, il s’agit d’un problème réversible et les résultats de la réadaptation sont souvent relativement rapides. Or, au Québec, les patientes qui désirent entreprendre des séances de physiothérapie doivent se diriger vers les cliniques privées, car les physiothérapeutes présents dans les hôpitaux ne traitent pas cet état, qui nécessite une spécialisation. Si certaines assurances privées couvrent une partie des frais encourus en clinique privée, le régime public, lui, ne prévoit aucune aide. 

L’urologue Carlos Marois aimerait voir le gouvernement en faire un peu plus, mais montre surtout du doigt le manque de sensibilisation. « J’encourage vraiment la sensibilisation, car je crois que beaucoup de femmes endurent encore trop cela pour rien, affirme le DMarois. De plus en plus, le problème se prévient. C’est-à-dire qu’une femme qui est consciente de ses facteurs de risque (diminution de la sensibilité lors des rapports sexuels, constatation de fuites en début de grossesse, expérience des grossesses précédentes, etc.) peut faire évaluer son plancher pelvien par un physiothérapeute spécialisé en rééducation périnéale. Ensuite, cela se travaille de différentes façons. » 

Toutefois, selon lui, la rééducation en physiothérapie a ses limites pour certaines patientes, puisqu’en plus des frais à débourser, elle requiert une grande motivation, ainsi que beaucoup de discipline. Pour les femmes dont les traitements de réadaptation ne viennent pas à bout du problème, il suggère la chirurgie, plus accessible et plus efficace qu’avant.

Questionné à savoir s’il y a une volonté d’augmenter la sensibilisation auprès des femmes enceintes, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec nous a répondu, par écrit, que les femmes québécoises « reçoivent l’information sur la réadaptation périnéale par les professionnels de la santé qui effectuent les suivis pré et post accouchement. Elles sont également invitées à visiter le Portail d’information périnatale, qui comporte une rubrique sur l’incontinence urinaire et les exercices de plancher pelvien, puis à consulter le guide Mieux-vivre avec notre enfant qui leur est remis au début du suivi de grossesse ».

CHIFFRES

Au Canada, environ 3,3 millions de personnes sont touchées par une forme d’incontinence urinaire.

L’incontinence urinaire à l’effort représente plus de 50 % de tous les cas d’incontinence urinaire.

Parmi les femmes de plus de 40 ans qui ont des symptômes d’incontinence urinaire, seulement 26 % en ont parlé à un médecin.

Les personnes atteintes d’incontinence éprouvent diverses émotions dues à leur état : 84,3 % disent éprouver un sentiment de gêne, 73,4 % un sentiment de découragement, et 83,1 % un sentiment de frustration

Source : Fondation canadienne d’aide aux personnes incontinentes

Incontinence urinaire

Pour en venir à bout

Ce ne sont pas toutes les femmes qui vivront des épisodes d’incontinence urinaire durant leur grossesse ou après leur accouchement, mais pour celles qui en souffriront, les solutions sont nombreuses. La physiothérapeute Pascale Desaulniers et l’urologue Carlos Marois font part de leurs conseils.

Rééducation périnéale

La rééducation périnéale, offerte par des physiothérapeutes, est la toute première chose à faire pour renforcer le plancher pelvien et ainsi mettre fin aux fuites urinaires, ou, du moins, les réduire considérablement. « On commence toujours par une évaluation afin de savoir si la personne est apte à faire des exercices de plancher pelvien, car ce n’est pas tout le monde qui est capable, souligne Pascale Desaulniers. Si c’est le cas, on apprend ensuite à les faire correctement pour que le patient puisse les faire à la maison. » Pour les femmes qui ont plus de difficultés, plusieurs méthodes d’assistance existent. La palpation manuelle s’avère souvent efficace, sinon, la machine « biofeedback » (une sonde vaginale qui capte la pression et projette une image sur un écran) peut porter ses fruits. En dernier lieu, le simulateur neuromusculaire (un appareil qui envoie un courant qui fait contracter le muscle automatiquement) peut être utilisé.

Le pessaire

Il est courant qu’après un accouchement, les femmes vivent un prolapsus, soit une descente des organes (la vessie, l’utérus ou le rectum). « Quand c’est le cas, on commence toujours par la rééducation périnéale du muscle. Si on a tout essayé, qu’on a atteint un plateau et qu’il reste des symptômes, on peut proposer le pessaire avant d’aller vers la chirurgie, indique la physiothérapeute. Ça dépend des symptômes et de la gravité. Certaines femmes vont le porter juste le temps d’aller courir, par exemple. On peut aussi le laisser là plusieurs jours. Il faut ensuite le retirer, le nettoyer et le remettre. » La première installation de la prothèse doit être faite par un professionnel de la santé (gynécologue, urologue, physiothérapeute, etc.) Lors du retrait pour nettoyage, on peut ensuite la réinstaller soi-même. Le coût de la prothèse est d’environ 120 $ (non couvert par la RAMQ).

Le laser

Une intervention appelée vaginoplastie consiste en un resserrement des muscles du périnée ainsi qu’un rétrécissement de l’entrée du vagin avec un laser. L’opération se fait sous anesthésie générale dans un hôpital ou une clinique. Elle prend une ou deux heures en fonction de l’ampleur de la correction à effectuer. L’intervention est considérée comme esthétique, donc elle se pratique en clinique privée.

Le Botox

L’injection d’une toxine botulique (Botox) dans l’épaisseur de la paroi de la vessie est aussi une intervention reconnue pour contrer les fuites urinaires. Le Botox agit sur les terminaisons nerveuses de la paroi, donc réduit les contractions incontrôlées de la vessie et diminue le besoin urgent d’uriner. Les fuites s’en trouvent grandement diminuées, voire supprimées. Le prix du Botox est élevé, mais selon le Dr Carlos Marois, « il est cependant couvert par certaines assurances et parfois par la RAMQ, sous demande d’exemption d’un médecin ». L’intervention est temporaire et doit être répétée tous les six à neuf mois. Elle est également considérée comme relevant de la chirurgie esthétique, et se pratique donc en clinique privée.

Le plasma riche en plaquettes

L’injection de plasma riche en plaquettes est une solution intéressante pour les problèmes de sécheresse vaginale, mais aussi d’incontinence urinaire. Lorsque le plasma est injecté, il produit un effet réparateur sur les cellules impliquées dans le processus de lubrification vaginale, en plus d’augmenter la densité dans la muqueuse vaginale. Entre un et trois traitements d’une durée de 20 minutes sont nécessaires. Il s’agit également d’une intervention esthétique qui se pratique en clinique privée.

Les bandelettes

La pose de bandelettes (urétropexie) est une opération mineure en chirurgie d’un jour qui consiste à installer par la voie vaginale une bandelette synthétique afin de créer un support sous-urétral. Cette chirurgie, couverte par le gouvernement, offre une suppression des fuites urinaires d’environ 90 %. Le DMarois précise toutefois qu’il faut prévoir des délais d’attente considérables.

Les produits de protection

De nombreux produits de protection efficaces et de qualité existent maintenant sur le marché. Des serviettes, protège-dessous et culottes protectrices sont offerts afin d’offrir tous les degrés d’absorption nécessaires. « Le danger avec les sous-vêtements de protection, c’est que les gens se fient là-dessus. C’est certain que des fois, on n’a pas le choix. Mais le but de la rééducation, c’est justement que les gens reprennent le contrôle sur les fuites », précise Pascale Desaulniers.

Incontinence urinaire

La méthode de Gasquet

La docteure française Bernadette de Gasquet est une sommité mondiale dans le domaine périnatal. Après avoir fait sa thèse sur l’incontinence urinaire à la suite de l’accouchement, elle milite depuis maintenant 30 ans pour faire changer les techniques modernes d’accouchement en proposant une méthode beaucoup plus ancrée sur la nature et la physiologie.

Parmi les changements qu’elle désire implanter, il y a la position lors de l’accouchement. Selon elle, accoucher étendue sur le dos est une position qui facilite la tâche de l’équipe médicale, mais qui contrevient au processus biomécanique du passage du bébé. Elle propose plutôt un accouchement dans diverses positions et, surtout, sans forcer. Éviter de trop pousser préserverait le plancher pelvien, donc minimiserait les risques d’incontinence urinaire post-partum.

Au cours des dernières années, Bernadette de Gasquet a visité la Belle Province à plusieurs reprises pour tenter d’inculquer sa méthode au corps médical québécois. « Je ne dirais pas que le Québec est en retard, il est comme tous les autres pays. C’est plutôt la France qui est un pays très précurseur sur le sujet, estime-t-elle. Au Québec, comme ailleurs, la poussée vient habituellement beaucoup trop vite et les femmes poussent beaucoup trop longtemps, parfois de deux à trois heures, alors qu’elles devraient seulement pousser durant les 30 dernières minutes. »

Michelle Héroux est médecin de famille et obstétricienne, maintenant partiellement retraitée. Elle fait partie des médecins québécois à avoir suivi la formation et à appliquer la méthode de Gasquet dans sa pratique. Elle confirme que les médecins d’ici ont tendance à faire pousser la femme qui accouche beaucoup trop rapidement. « Avec cette méthode, la femme n’a plus à pousser, elle respire et on attend. Quand le bébé se présente à la sortie, la poussée vient toute seule, c’est un réflexe qui s’appelle le réflexe expulsif. Quand ça se produit, c’est vraiment fantastique, il n’y a rien qui peut imiter ça, souligne la Dre Héroux. Et il n’y a que des avantages. La femme est moins épuisée, c’est beaucoup mieux pour le bébé, il y a moins de décélération fœtale, et pour le périnée, c’est incroyable, la différence. »

Difficile à implanter

Former tout le corps médical québécois demeure l’obstacle principal à la transmission de la méthode De Gasquet. « On a une liberté professionnelle, alors on peut appliquer cette méthode dans notre pratique. Mais c’est difficile de l’imposer aux autres », explique Michelle Héroux.

Myriam Tremblay, qui est aussi médecin de famille accoucheuse, fait partie des pionnières de la méthode de Gasquet au Québec. « On a vraiment suscité l’intérêt des médecins de famille au Québec. Ça nous a pris deux, trois ans de formation pour bien comprendre la méthode, mais tranquillement, avec l’autorisation des anesthésistes de pouvoir bouger les patientes, les infirmières se sont habituées et ont réalisé que ça aidait beaucoup les patientes dans l’évolution du travail, le confort, la respiration, etc. On a ensuite formé environ 150 infirmières d’un coup au CHU. Ça allait vraiment bien, mais là, on change tellement de personnel et il y a tellement de temps supplémentaire qu’on a perdu la moitié des infirmières qu’on avait formées. Donc ça va être à recommencer », se désole la Dre Tremblay. 

À ce jour, plusieurs médecins québécois ont reçu au moins une fois la formation de la méthode de Gasquet. Mais les femmes qui accouchent devraient aussi être au courant de la méthode et être bien préparées à l’accouchement, ce qui ne semble pas toujours le cas selon Bernadette de Gasquet. « On ne peut pas arriver à la dernière minute à l’accouchement et vouloir imposer une méthode à laquelle personne n’a été préparé », déplore-t-elle.

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