Roman de François Blais

Parler du suicide au lieu de censurer

De nombreux médias ont rapporté la nouvelle selon laquelle le ministère de la Santé du Québec demande aux enseignants et aux bibliothécaires de ne pas recommander ou même de ne pas parler aux élèves du roman de François Blais, Le garçon aux pieds à l’envers : Les chroniques de Saint-Sévère. Cette recommandation repose sur la conviction que la lecture de ce roman peut susciter des comportements suicidaires chez les élèves.

Cependant, il est important de noter que de nombreuses œuvres classiques de la littérature mondiale comportent un suicide, par exemple Madame Bovary, Roméo et Juliette et Anna Karénine, pour n’en citer que quelques-uns. L’exposition au suicide chez les étudiants qui consultent des œuvres littéraires n’est pas un phénomène nouveau.

En fait, plusieurs études scientifiques ont examiné les suicides par imitation après exposition à un suicide fictif. Un récent article de synthèse a conclu que « les résultats suggèrent que les données actuelles ne soutiennent pas la théorie de la contagion du suicide par les médias fictifs »1. Un autre article de synthèse a constaté un taux légèrement plus élevé de suicides par imitation après un suicide fictif2.

Ces deux articles notent que les études existantes présentent de nombreuses faiblesses méthodologiques et qu’elles se concentrent presque toutes sur les suicides fictifs au cinéma ou à la télévision, plutôt que dans la littérature. En ce qui concerne la littérature, un article séminal a conclu « il n’existe pratiquement aucune analyse systématique des effets d’imitation du suicide dans la littérature sur le suicide »3.

En tant que tel, il semble que les preuves soient insuffisantes pour faire des déclarations concluantes sur l’exposition au suicide dans la littérature et le suicide par imitation.

En effet, il se peut que les orientations du ministère de la Santé soient fondées sur une croyance bien intentionnée, mais erronée, selon laquelle le simple fait de parler du suicide encourage le comportement suicidaire chez les autres.

En fait, plusieurs études ont réfuté cette croyance désuète, des recherches récentes indiquant qu’une discussion ouverte peut effectivement réduire le nombre de suicides4. C’est particulièrement le cas si cette discussion est axée sur des messages d’espoir, de résilience face à l’adversité, de rétablissement de la maladie mentale, de maîtrise des crises et d’informations sur les ressources de prévention.

Cela soulève une question plus large qui doit être discutée. La société et ses institutions doivent parler davantage du suicide et, surtout, de sa prévention.

Aucune question de santé publique n’est résolue par le silence, mais de nombreux intervenants préfèrent encore ignorer la question du suicide.

Peut-être que le livre de M. Blais ouvre une fenêtre d’opportunité pour le ministère de la Santé et les centres de services scolaires de réévaluer leur approche globale de la question du suicide, et en particulier de penser à la prévention du suicide et aux programmes de promotion de la santé mentale. Une chose que nous savons, c’est que les jeunes discuteront probablement intensément du livre de M. Blais parmi leurs pairs sur les réseaux sociaux et en personne. Nous avons vu ce phénomène après 13 Reasons Why.

Ainsi, il est d’une importance vitale que des enseignants et des experts expérimentés et responsables discutent du suicide et de prévention du suicide dans les établissements d’enseignement de manière solidaire et bienveillante, en axant la discussion sur un contenu porteur d’espoir et axé sur le rétablissement, qui a été lié à une réduction des suicides.

Au lieu d’être une menace pour la santé publique, le livre de M. Blais peut ouvrir des discussions très nécessaires sur un sujet longtemps considéré comme tabou par les enseignants, les éducateurs et la société dans son ensemble.

1. Lisez l’article (en anglais)

2. Lisez l’article (en anglais)

3. Lisez l’article (en anglais)

4. Lisez l’article (en anglais)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.