La fin des Zapartistes

Presque morts, mais toujours en colère

« Trop longues, inégales, tout croches. » Christian Vanasse énumère les critiques qui ont été adressées au cours des deux dernières décennies aux revues de l’année des Zapartistes. Mais, au cœur d’un écosystème comique où dominent les spectacles aussi lisses qu’un gazon de banlieue, ces légers défauts auront surtout été des qualités, et autant de symboles de leur indocilité. Rencontre avec ceux qui ont ressuscité l’humour politique au Québec, à quelques jours de leur propre mort.

« En humour québécois, ça parlait beaucoup de son nombril, de sa saucisse. Il n’y avait rien qui parlait du nous, tout parlait du je », se rappelle Christian Vanasse, le seul à avoir été de tous les alignements des Zapartistes, au sujet du paysage comique obnubilé par les relations hommes-femmes dans lequel surgissait le groupe. « Et nous, on se demandait, qu’est-ce qu’on fait du projet collectif, de la lutte des classes ? »

C’était il y a 21 ans. Réunis au café l’Aparté, fondé rue Saint-Denis devant l’École nationale de théâtre par la Zapartiste de l’ombre – Nadine Vincent –, une bande de jeunes artistes logeant tous à gauche présentent un spectacle d’improvisation intitulé Improvisons des élections, le soir du scrutin fédéral du 27 novembre 2000. Jean Chrétien avait alors été reporté au pouvoir.

Parmi ses participants se trouvent François Parenteau, François Patenaude, Denis Trudel, Frédéric Savard et Christian Vanasse, qui formeront le 24 février 2001, à l’occasion d’un premier cabaret politique, le noyau dur de la mouture originale des Zapartistes. Le professeur et essayiste Francis Dupuis-Déri est aussi brièvement de l’aventure, que rejoint bientôt la comédienne Geneviève Rochette.

Et les rires qu’ils génèrent leur permettent rapidement de constater qu’ils ne sont pas les seuls à rêver dans leur coin à un autre monde. Les Zapartistes migreront de la minuscule scène du café-théâtre vers celle du défunt Spectrum, puis du Métropolis, et deviendront pour la génération de l’altermondialisme ce que les Cyniques avaient été pour les boomers.

« Il y avait une catharsis qui se passait pendant nos spectacles. Tout d’un coup, on voyait qu’on était une gang à vouloir se moquer des banques !  »

— Christian Vanasse

« Vissés à des places, lousses à d’autres »

Même s’ils n’ont jamais signé avec une grosse boîte de production, préférant patenter leurs tournées eux-mêmes en marge, la première décennie de vie du groupe consacre ses membres en stars de la gauche grâce à leurs incontournables revues de l’année. Une effervescence dont Vincent Bolduc et Jean-François Nadeau seront les témoins, avant de se joindre à la troupe en 2011. La femme de théâtre Brigitte Poupart, qui complète le quatuor scénique, y était pour sa part depuis 2005.

« J’aimais le contenu, bien sûr, se souvient Nadeau, mais j’étais aussi admiratif de la forme, très organique. Les spectacles étaient préparés, mais pas trop, vissés à des places, mais lousses à d’autres. Les autres spectacles d’humour, que tu sois à Gatineau, Drummondville ou sur le DVD, c’est pareil. Les Zap, c’était vraiment vivant. » Une des premières performances à laquelle les deux recrues participent se déroule à l’extérieur, en soutien au mouvement Occupy Montreal.

« La veille, j’apprends que je fais Chartrand et je ne l’ai jamais imité de ma vie… Nadeau et moi, on était cachés dans une bouche de métro à essayer de se faire une répétition. Les autres nous pointaient en riant, en voulant dire : regarde les nouveaux, ils répètent !  »

— Vincent Bolduc

Si leurs textes ont été pondus à ce point dans l’urgence – il est arrivé que la deuxième partie d’une représentation soit imprimée dans les coulisses, pendant l’entracte –, les conversations précédant le travail auront, elles, toujours été expansives.

« C’est ce qui m’a fait tomber en amour avec le groupe, raconte Brigitte Poupart. Ils n’ont jamais eu peur de parler des choses difficiles, d’aller au fond d’un sujet. Ça débattait jusqu’à qu’à 4 h du matin avant d’écrire les textes. » Les membres adhéraient d’ailleurs à la règle du 10 %, se permettant de ne pas être d’accord avec 10 % du contenu d’un spectacle.

Les Zapartistes auront cependant toujours refusé de se soumettre à cette injonction voulant que les commentateurs comiques de l’actualité se doivent de distribuer leurs camouflets équitablement. « On s’est tellement fait demander : “Allez-vous taper sur tout le monde égal ?” », lance Vanasse. « La réponse, ç’a tout le temps été non ! On n’est pas au centre. On est de gauche et indépendantistes. Ce que ça veut dire, c’est qu’on est contre tous ceux qui ont du pouvoir. Je ne me souviens plus de qui avait dit le centre, c’est la droite des paresseux. »

La gauche miroir

On leur aura aussi souvent reproché de prêcher aux convertis, une formule qui continue de confondre Jean-François Nadeau, pour qui un spectacle des Zapartistes servait avant tout à « donner de l’énergie aux troupes », et non à s’illusionner sur la possibilité qu’un membre du Parti conservateur se soit métamorphosé en militant anarcho-syndicaliste à la sortie de la salle.

Bien qu’ils aient peu d’héritiers directs, Les Zapartistes laissent derrière eux un univers humoristique beaucoup plus politisé qu’à leurs débuts, où il est possible pour un Guillaume Wagner ou une Virginie Fortin de remporter du succès auprès du grand public, tout en croquant du puissant. Ils tirent leur révérence non pas parce que le désir de montrer les dents s’est dissipé – Christian Vanasse prend le micro en solo depuis quelques années – mais parce que l’arrimage des horaires chargés de chacun ne se simplifiait pas avec le temps.

Nul besoin donc de puiser dans le passé ; nos quatre guérilleros à perruques promettent avec À soir, on meurt un spectacle exempt de nostalgie, complètement arrimé à ce que le présent porte de raisons de grogner. Qu’est-ce qui les met en colère, ces temps-ci ? « Toutte ! répond Vanasse en sautant de sa chaise. Il n’y a rien qui ne me met pas en criss. »

Il offre deux exemples : « Les gens pour qui l’écoanxiété, c’est un problème, alors que c’est de ne pas être écoanxieux qui en est un. Aussi : les gens qui croient que la menace actuelle, c’est les wokes. »

Nadeau y met du sien : « L’étiquette radicale à toutes les sauces. Dès que tu fais quelque chose, t’es un radical. Ça, ça me met en criss. »

Vanasse reprend le crachoir. « Veux-tu que je te dise ce qui me met le plus en criss ? C’est quand quelqu’un dit : “Je ne me reconnais plus dans la gauche actuelle”… Voyons donc ! La gauche, ce n’est pas un miroir pour te regarder ! »

À soir, on meurt. L’ultime spectacle des Zapartistes, les 28 et 29 mai au Club Soda

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