Femmes et cinéma

Une année d’éclat

Des sept longs métrages de fiction en lice pour le trophée Iris du meilleur film au Gala Québec Cinéma, six ont été écrits et réalisés par des femmes. Trois d’entre elles figurent parmi les cinq finalistes retenus dans la catégorie de la meilleure réalisation. La forte représentation féminine à l’évènement célébrant l’excellence dans le domaine du cinéma québécois revêt cette année un caractère historique.

Un simple coup d’œil sur la liste des finalistes du prochain Gala des Prix Iris, qui se tiendra virtuellement le 10 juin, a de quoi frapper l’imagination. Il pleuvait des oiseaux, de Louise Archambault, est cité 13 fois et La femme de mon frère, de Monia Chokri, est en lice dans 11 catégories. Antigone, de Sophie Deraspe, est nommé 8 fois, Kuessipan, de Myriam Verreault, 7. Fabuleuses, de Mélanie Charbonneau, et Jeune Juliette, d’Anne Émond, pourraient aussi mettre la main sur l’Iris du meilleur film québécois de l’année.

Mafia Inc, de Daniel Grou (Podz), Le vingtième siècle, de Matthew Rankin, et Sympathie pour le diable, de Guillaume de Fontenay, font aussi belle figure avec, respectivement, 10, 9 et 6 sélections. Cela dit, les films dirigés par des femmes n’avaient jamais défini une année cinéma de cette façon auparavant.

« C’est éclatant ! Vraiment, c’est éclatant !, s’exclame avec joie Paule Baillargeon, l’une des réalisatrices emblématiques du cinéma féministe au Québec. Cette dernière a dû se battre bec et ongles pour réaliser les films qu’elle souhaitait faire, sans toujours y parvenir.

« C’est beau à voir, renchérit celle à qui l’on doit notamment La cuisine rouge et Le sexe des étoiles. Tous ces films sont très personnels, différents les uns des autres, et certains m’ont éblouie. C’est sûr que je suis contente. Oui, j’ai été dans la lutte – j’aurais pu mourir pour faire un film –, d’autres réalisatrices ont aussi mené le combat, mais il était extrêmement difficile pour nous d’avoir accès à du financement. Je crois que l’organisation des Réalisatrices équitables a fait un travail de fond exceptionnel. Et puis, les femmes apportent un autre point de vue, une autre manière de faire, un regard différent sur le monde. Il fallait que ça arrive. On ne choisit pas de faire autrement, on EST autrement !  »

La qualité avant tout

Bien sûr, l’idéal sera atteint le jour où la présence des femmes dans le monde du cinéma ne sera plus un enjeu et ne revêtra plus un caractère événementiel dans les festivals et les soirées de gala. Mais nous n’en sommes pas encore là, croient les réalisatrices interrogées dans le cadre de ce reportage.

« L’art ne devrait pas avoir de genre. Toutes ces femmes en lice le méritent pleinement et n’ont volé de place à personne. »

— Monia Chokri

« Or, j’entends parfois des choses qui laissent entendre une espèce de collusion, comme si les votants – des pairs – s’étaient tous donné le mot cette année pour mettre les femmes de l’avant, poursuit Monia Chokri. Il est un peu surprenant d’entendre ça, parce que ça ne marche pas comme ça du tout. Ce que je souhaite, c’est qu’on reconnaisse la qualité des œuvres avant tout, peu importe qui les réalise. »

Les mesures instaurées par les institutions visant une meilleure parité ont visiblement eu un effet bénéfique, mais elles n’ont pas le pouvoir de changer les mentalités pour autant. Toutes les cinéastes à qui nous avons fait appel en vue de ce reportage se sont quand même butées à des idées reçues, encore bien ancrées dans les esprits.

« Quand les mesures ont été instaurées, il y a eu de la grogne, rappelle Sophie Deraspe. On disait qu’on allait niveler vers le bas sous prétexte qu’il fallait faire entrer les femmes dans le système de financement. Au moins, on peut mettre ça de côté maintenant, car la qualité des films est bien reconnue. »

« En même temps, ça devient un peu agaçant d’entendre “film de femme” comme si c’était une catégorie à part dans la tête des producteurs. Cette condescendance vient parfois des femmes elles-mêmes aussi. »

— Sophie Deraspe

« C’est comme s’il s’agissait d’une contrainte à honorer quand arrive le moment de soumettre un projet aux institutions parce qu’il en a été décidé ainsi politiquement, dit Sophie Deraspe. J’ai maintenant des offres qui arrivent des États-Unis et je me fais encore dire que c’est parce que je suis une femme. Ben voyons donc !  »

Ce genre de discours…

Monia Chokri a aussi été confrontée à ce genre de discours, s’étant notamment fait dire que sa sélection au Festival de Cannes l’an dernier était dans la poche du simple fait d’être une femme.

« Personnellement, j’ai assez confiance en moi pour ne pas me laisser atteindre par ce type de commentaire, mais il reste que ce genre de discours reste dans la tête des femmes. Moi, je dis toujours que c’est aussi aux femmes – et aux jeunes filles – d’apprendre à être moins perturbées par l’opinion des autres et à cesser de vouloir plaire à tout le monde. Pour celles qui ont des ambitions, que ce soit sur le plan artistique, politique ou professionnel, c’est le grand cheval de bataille. Dès qu’elles occupent une fonction de direction, les femmes sont souvent remises en question, parce qu’elles doivent prendre des décisions qui ne feront pas nécessairement l’unanimité. Tu ne peux pas t’imposer si tu tiens à plaire à tous. »

Myriam Verreault reconnaît aujourd’hui « totalement » l’effet bénéfique des mesures visant la parité, même si, au début, elle n’a pas milité très fort pour leur instauration.

« On s’est rendu compte qu’il existait un certain – je vais dire un grand mot – sexisme systémique, faisant en sorte que beaucoup de projets menés par des femmes étaient souvent refusés. Les mesures paritaires ont eu l’effet d’une bouée salutaire. »

— Myriam Verreault

« Notamment à propos des thèmes abordés et du renouveau de notre cinéma. Je comprenais quand même le malaise qui pouvait en découler. Kuessipan a eu le feu vert avant que les mesures soient mises en place et j’en retire une certaine fierté parce ce qu’on ne veut pas penser qu’un projet a été choisi sur le simple fait qu’il est réalisé par une femme. Surtout qu’on entendait dire que la qualité des films allait forcément baisser. Là, je pense qu’on a cloué le bec à tout le monde ! »

Louise Archambault, l’une des trois lauréates du Prix de la meilleure réalisation jusqu’à maintenant (Gabrielle en 2014), estime que ces mesures donnent aussi la chance à des réalisatrices de pratiquer leur métier.

« Faire un film tous les 10 ans, ce n’est pas possible parce que tu rouilles, forcément. Or, c’est en l’exerçant le plus souvent possible qu’on apprend son métier. »

— Louise Archambault

« Le but est de faire le meilleur film possible, évidemment, mais on devrait pouvoir aussi nous donner la chance de nous planter. Parce que la création, c’est aussi ça », affirme Louise Archambault.

Un effet durable ?

Si toutes les cinéastes se réjouissent de la forte présence des femmes cette année au Gala Québec Cinéma, elles estiment néanmoins que malgré les avancées, il n’est pas encore temps de crier victoire.

« Il faudra s’en reparler dans cinq ou dix ans, c’est là qu’on saura vraiment », indique Louise Archambault.

« Il faudra voir comment tout cela évolue, mais le mouvement est en progression, déclare Monia Chokri. Je pense que ça ressemblera de moins en moins à un boys club. C’est ce que j’espère. »

« Producteurs et productrices ont tenté l’expérience de travailler avec des femmes au cours des dernières années alors que plusieurs d’entre eux – y compris les productrices – ne l’avaient jamais fait. Des liens professionnels se sont créés et je crois qu’ils ne se déferont pas, bien au contraire », ajoute Myriam Verreault.

« Il ne faut pas non plus trop se péter les bretelles, prévient néanmoins Sophie Deraspe. Oui, on finance des films réalisés par des femmes, mais les budgets ne sont pas encore paritaires. Les plus grosses sommes sont encore majoritairement réservées à des productions réalisées par des hommes. Cela dit, on continue à faire notre chemin, sans rien tenir pour acquis. Il ne fallait évidemment pas s’attendre à ce que les mentalités changent en une année, mais j’espère sincèrement qu’il ne faudra pas trop de temps avant que tout ça ne devienne plus un enjeu. On veut que plein de gars et plein de gens venus de tous les horizons fassent de bons films aussi. L’un n’empêche pas l’autre ! »

« Ce qui arrive est merveilleux et ça ne s’arrêtera pas là. Bien sûr, les mentalités sont encore difficiles à défaire et certains chercheront toujours la petite bête. Mais là, la qualité des films est incontestable ! »

— Paule Baillargeon

Le Gala Québec Cinéma 2020 se déroulera de façon virtuelle le 10 juin.

Des finalistes au féminin

MEILLEUR FILM

6/7

On compte six films réalisés par des femmes dans la catégorie du meilleur film cette année : Antigone de Sophie Deraspe, Fabuleuse de Mélanie Charbonneau, Il pleuvait des oiseaux de Louise Archambault, Jeune Juliette d'Anne Émond, Kuessipan de Myriam Verreault et La femme de mon frère de Monia Chokri. Mafia Inc., réalisé par Podz, est le seul film réalisé par un homme dans cette catégorie.

MEILLEURE RÉALISATION

3/5

Plus de la moitié des films retenus pour la meilleure réalisation sont les œuvres de réalisatrices : La femme de mon frère de Monia Chokri, Kuessipan de Myriam Verreault et Il pleuvait des oiseaux de Louise Archambault. Deux films ont été réalisés par des hommes sont aussi finalistes : Sympathie pour le diable de Guillaume de Fontenay et Le vingtième siècle de Matthew Rankin.

MEILLEUR SCÉNARIO

4/5

Du côté du meilleur scénario, quatre films écrits par des femmes se dispute les honneurs. Les femmes finalistes sont Anne Émond (Jeune Juliette), Louise Archambault (Il pleuvait des oiseaux), Naomi Fontaine et Myriam Verreault (Kuessipan) et Sophie Deraspe (Antigone).

RÉVÉLATION DE L'ANNÉE

5/5

Cette année, toutes les finalistes pour la révélation de l'année sont des femmes : Alexane Jamieson (Jeune Juliette), Catherine Chabot (Menteur), Lilou Roy-Lanouette (Jouliks), Nahema Ricci (Antigone) et Sharon Fontaine-Ishpatao (Kuessipan).

Peu de réalisatrices primées

Si les femmes cinéastes ont la part belle au gala Québec Cinéma cette année, celles qui ont remporté les grands honneurs dans les galas et festivals restent plutôt rares.

Québec

Lyne Charlebois, Jutra de la meilleure réalisation (Borderline, 2009)

Louise Archambault, Jutra de la meilleure réalisation (Gabrielle, 2014)

Léa Pool, Iris de la meilleure réalisation (La passion d’Augustine, 2016)

France

Tonie Marshall, César de la meilleure réalisation (Vénus Beauté (Institut), 2000)

États-Unis

Kathryn Bigelow, Oscar de la meilleure réalisation (The Hurt Locker, 2010)

Cannes

Jane Campion, Palme d’or (The Piano, 1993)

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