Comprendre

La pensée complotiste

Dans un monde complexe où une crise n’attend pas l’autre, le pouvoir d’attraction des théories du complot est immense. Mais d’où viennent-elles et qui se laisse séduire par leurs réponses toutes faites ? Cotitulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, David Morin propose quatre sources pour une incursion dans l’esprit des complotistes.

Un guide

Un tour d’horizon

Publié aux éditions Que sais-je ?, le livre Les théories du complot de Pierre-André Taguieff constitue une « très bonne entrée en matière pour comprendre la pensée complotiste », observe David Morin. L’auteur, philosophe, politologue et historien, est un théoricien renommé du complotisme en France. Dans ce « petit bouquin », il s’attarde notamment aux règles de la pensée conspirationniste (pour laquelle rien n’arrive par accident, par exemple) et aux fonctions des complots, qui répondent à une quête de sens. Pour David Morin, tout le monde a « un peu de pensée complotiste » en lui. Devant des phénomènes qui provoquent un sentiment de perte de contrôle, certains griefs sont valides et le doute est sain. Or, un complotiste renonce au doute quand il fait sienne une théorie du complot. « Le point de bascule, c’est quand quelqu’un analyse tous les phénomènes sociaux à l’aune de complots supposés. » Un glissement qui peut mener à l’isolement, voire au recours à la violence, dans l’objectif de mettre fin au complot. Pour approfondir la réflexion, le professeur propose Le complotisme – Cognition, culture, société, un ouvrage scientifique de Sebastian Dieguez et Sylvain Delouvée qui fait la synthèse des travaux de recherche sur la question, aux éditions Mardaga.

Un essai

Paroles de complotistes

Avec son essai Dans la tête des complotistes, le journaliste au Monde William Audureau transporte les lecteurs « dans la vie de complotistes » pendant la pandémie en France. Après les avoir côtoyés longuement, il retrace leur trajectoire. « C’est très intéressant, dit David Morin, de voir pourquoi ces gens-là ont fini par adhérer » aux théories du complot. Une enquête sérieuse racontée avec une « très belle plume et de l’humour », qui montre que les complotistes proviennent de milieux divers : de la droite identitaire, des mouvements antigouvernementaux et même de l’alterscience. N’empêche, les complotistes se situent souvent « aux extrêmes du spectre politique, parmi ceux qui ne prennent jamais vraiment le pouvoir et qui peuvent en être frustrés », précise le professeur. Pendant la pandémie, ajoute-t-il, un « écosystème réactionnaire de droite a su capitaliser » sur ces frustrations pour promouvoir ses idées. Afin d’explorer le discours de complotistes québécois, David Morin suggère l’émission balado Convictions, de Simon Coutu, sur OHdio, ainsi que le livre Faire ses recherches, du journaliste de La Presse Tristan Péloquin, aux éditions Québec Amérique. « Les recherches montrent que de 6 % à 9 % de la population adhère de façon importante aux théories du complot, rappelle le professeur. C’est minoritaire, mais ce n’est pas marginal. »

Une émission balado

Une théorie à la fois…

Des Protocoles des Sages de Sion au 11-Septembre ou à la pandémie, en passant par QAnon et même le grand remplacement, les théories du complot sont multiples, élaborées et… fascinantes. Comment sont-elles nées ? Qui les a portées ? Dans son émission balado Mécaniques du complotisme, France Culture examine quelques-unes des plus célèbres d’entre elles, depuis la formation de l’ordre des Jésuites à Paris en 1534. Dans certains cercles, ces religieux sont accusés de déclencher des guerres ou d’assassiner des dirigeants pour contrôler le monde. À leur solde, le pape François organiserait l’invasion migratoire de l’Occident… Chaque épisode dure une quinzaine de minutes. « Pour quelqu’un qui veut mieux évaluer ces théories, ce qu’elles signifient, c’est facile, dit David Morin. Il peut se dire : “Pendant mon jogging, je vais essayer de comprendre les théories liées au 11-Septembre.” » Quelques épisodes scrutent la mouvance QAnon, qui a fait beaucoup de bruit aux États-Unis, notamment parce que Donald Trump en a relayé des éléments. HBO a aussi consacré une excellente série documentaire à cette mouvance selon laquelle le monde est dirigé par une clique pédosataniste, ajoute David Morin. On peut voir Q : Into the Storm, avec sous-titres français, sur Crave.

Un film

Un évènement, 50 complots

« L’assassinat de JFK est l’un des évènements qui ont suscité le plus de théories du complot », constate David Morin, qui s’amuse de constater qu’un seul fait peut générer 50 théories pour l’expliquer. Dans son long métrage JFK sorti en 1991, le réalisateur Oliver Stone s’attarde à l’une de ces théories, celle du procureur de la Louisiane Jim Garrison, selon qui Kennedy a été victime d’un coup d’État ourdi notamment par la CIA. En 1969, au terme d’une longue enquête, Jim Garrison a fait un procès à Clay Shaw, impliqué dans la machination selon lui. Or, l’homme d’affaires a été acquitté. Immensément populaire, le film a valu à Oliver Stone d’être traité de complotiste, rappelle M. Morin. Selon lui, JFK montre comment, malgré des preuves étayées, certaines théories résistent à l’épreuve des faits. C’est particulièrement vrai aux États-Unis, estime le professeur. « Ça vient d’une méfiance vis-à-vis de l’État fédéral américain, dit-il. La ligne est parfois grise entre les vrais complots (comme ceux de la CIA au Nicaragua ou celui du 6-Janvier, planifié par les partisans de Trump) et les théories du complot. JFK est une étude de cas intéressante. » On peut louer JFK sur de nombreuses plateformes, dont Apple, Amazon et YouTube.

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