Les 25 ans d’Un gars, une fille

Ils s’aimaient, ils s’aiment et  ils s’aimeront

En 1996, lorsqu’il apprend que Besoin d’amour ne connaîtra pas de nouvelle saison à TQS, Guy A. Lepage est convaincu que sa carrière à l’écran est terminée. « Je ne pensais pas que j’allais me retrouver sur le BS, mais je me voyais redevenir auteur. Je me disais : mes meilleures années sont derrière moi », se souvient-il. Avant que son talk-show ne soit envoyé à la casse, l’animateur retient la portion qu’il chérit le plus : une série de sketches zoomant sur le comique du quotidien d’un couple. Une série que la planète connaît aujourd’hui sous le nom Un gars, une fille.

Entré en ondes à Radio-Canada le 1er mai 1997 l’instant de cinq épisodes, à la faveur d’un trou à remplir entre les grilles d’hiver et d’été, Un gars, une fille devait d’abord servir de parachute à Guy A. Lepage, le temps que celui que l’on décrivait alors comme le plus baveux des RBO retombe sur ses pattes.

« Quand Besoin d’amour n’a pas été reconduit, j’ai dit à Jean Bissonnette [producteur, mentor de Guy] : “On pourrait mettre bout à bout ces scènes-là du couple, dans une spéciale d’une heure.” Comme je ne savais pas quoi faire pour lier les scènes, parce qu’elles n’allaient pas ensemble, j’ai fait un montage rough avec des fade-in, fade-out. Jean Bissonnette m’a dit : “On ne présente pas ça à TQS, on présente ça à Radio-Canada.” »

C’est ainsi, par pure contrainte, que naît l’esthétique novatrice de la série, faite de brefs plans-séquences ne montrant que ses deux personnages principaux, entre lesquels sont intercalés des fondus au noir et des zébrures.

Après 7 saisons, 130 épisodes et 4000 scènes, Un gars, une fille se concluait le 31 mars 2003, la crainte de presser le citron l’emportant sur le vif plaisir de jouer ensemble, qui habitait ses deux têtes d’affiche : Guy A .Lepage et Sylvie Léonard.

Mais Un gars, une fille, coécrite par Lepage avec une ribambelle d’auteurs (dont son bras droit des débuts, Pascal Lavoie), n’a jamais vraiment quitté l’antenne. L’émission, toujours diffusée à Radio-Canada, accumule une trentaine d’adaptations dans le monde – la Slovaquie s’est récemment ajoutée à la liste. « Encore à ce jour, quand Sylvie et moi, on va au restaurant ensemble, les gens arrêtent de parler autour de nous », s’étonne le créateur.

À l’occasion du 25anniversaire du premier épisode d’un des plus grands succès de l’histoire de la télé québécoise, Guy A. Lepage et Sylvie Léonard ont chacun raconté à La Presse la genèse de ce qui cimenterait leur renommée et leur amitié.

Une épiphanie dans un couloir

Guy A. Lepage : En 1994, Chantal Francke n’était plus dans RBO. Il y avait des sketches où Yves ou moi, on faisait des filles, mais quand on était rendus à Bruno, on trouvait ça crapet d’avoir un personnage de fille avec cette pilosité-là.

Sylvie Léonard : Les gars ont toujours dit qu’ils avaient décidé d’engager une fille parce qu’ils étaient tannés de se frencher entre eux autres.

Guy A. Lepage : Yves et André ont soumis la candidature de Sylvie. Dès qu’on s’est vus, on a eu une épiphanie. On a eu du fun instantanément.

Sylvie Léonard : La première fois que j’ai vu Guy dans un couloir, il sortait d’un sketch, il n’avait plus sa perruque, mais il avait encore ses bobépines. On a jasé un peu avant que je passe au maquillage et – je le sais, ça a l’air arrangé avec le gars des vues – tout de suite, j’ai su que ça allait durer, que ce n’était pas la dernière fois que je travaillerais avec lui. Il y avait une connexion.

Guy A. Lepage : La série de sketches sur le couple est née d’une discussion au restaurant, avant même que je fasse Besoin d’amour. On trouvait, Sylvie et moi, que dans beaucoup d’émissions de télévision, particulièrement quand il y avait des couples, tu voyais rapidement que c’était une émission de télé. Du monde de 40 ans qui se couche en pyjama en plein été, qui se donne des becs pas trop habitués, on trouvait ça nono. Ça ne ressemblait pas à la vraie vie.

Sylvie Léonard : Après RBO Hebdo, on a continué à se fréquenter, Guy et moi. Nos enfants étaient inséparables et on avait du fun à se voir. Un gars, une fille est née de l’envie de pouvoir témoigner de ces banalités, dans un couple, qui rejoignent tout le monde. Mais on ne pensait pas que tout le monde, ce serait 30 pays.

Une forme salutaire

Guy A. Lepage : Moi, je viens de l’école de MusiquePlus. Dans toutes les émissions, à l’époque, sur toutes les chaînes, même les émissions de service, c’était impossible de voir quelqu’un plus de quatre secondes, avant de voir son cul, son dessus de tête, un plan large, la ville, un gratte-ciel. Il fallait toujours qu’il y ait 82 valeurs de plan. Moi, j’avais mon truck de ça, parce qu’on l’avait beaucoup fait dans RBO. Et je pense que si les gens ont aimé Un gars, une fille, c’est que sans s’en rendre compte, ils étaient tannés de voir mille plans à la seconde.

Louise Cousineau, dans une chronique parue dans La Presse le 31 mai 1997 : « Je commençais à désespérer de Guy A. Lepage que j’ai adoré du temps du meilleur de Rock et Belles Oreilles, mais RBO a creusé sa tombe dans ses spéciales qui sont passées à Super Écran [...] Guy A. Lepage m’avait aussi laissée froide comme animateur de talk-show. Et voilà, enfin, il se recycle dans une écriture pleine de finesse sur la vie de couple. [...] On a hâte de suivre les péripéties de ce couple parfaitement crédible, quoique fort exagéré. »

Guy A. Lepage : J’avais opté pour les plans-séquences, parce que j’ai toujours trouvé ça dur, dans un sketch avec deux personnes, de choisir à quel moment tu coupes sur l’un ou sur l’autre. C’est le fun de pouvoir les regarder jouer les deux en même temps.

Sylvie Léonard : La forme, ç’a été plus un avantage qu’une contrainte. Le spectateur pouvait décider là il voulait regarder : celui qui parle ou celui qui réagit. Mais il faut que le timing soit là pendant le tournage, parce qu’il n’y a pas de montage qui décide du rythme pour le spectateur. J’ai déjà tourné des scènes dans d’autres projets qui, une fois montées, avaient perdu quelque chose. Là, on était maîtres du rythme.

Guy A. Lepage : Jean Bissonnette m’a donné le meilleur conseil de toute la série. Quand on la faisait à Besoin d’amour, comme je suis humoriste, dès que la fille disait une niaiserie, je lui répondais de façon inélégante. Jean m’a dit très rapidement : « Si tu veux que ce couple-là fonctionne, il faut qu’on sente que malgré vos chicanes, vous vous aimez. Ne méprise pas ta blonde, sois gentil, fais-y attention. » Et ça n’a pas été dur, parce que Sylvie, je l’aime, c’est mon amie et elle sent bon.

Deux poids, deux mesures

Sylvie Léonard : Sylvie, je l’ai bâtie moi-même. C’était important pour moi de montrer l’archétype de la fille en pleine contradiction. À l’âge de 35 ans, elle ne veut pas se marier, mais elle regarde les revues de mariage en se disant : « Si je me mariais, ce serait les pieds nus, comme Julia Roberts », toutes ces contradictions qui sont beaucoup des biais inconscients.

Guy A. Lepage, dans un article paru dans La Presse le 18 avril 1997 : « Trente-cinq ans, c’est une période charnière dans la vie. C’est l’âge où on se demande si on va s’installer ou si on va continuer à galérer. On est tous des restants d’adolescents... »

Sylvie Léonard : La constatation que j’ai faite, qui a été la plus frappante, c’est qu’il y a vraiment deux poids, deux mesures dans notre société. Quand Guy était détestable et décidait de saboter un cours de cuisine, on le trouvait comique. Mais quand Sylvie sabotait une partie de baseball, elle était castrante, fatigante. Je suis fière de ça, parce que c’est ça qu’on voulait montrer.

Guy A. Lepage : Quand je tombe sur l’émission aujourd’hui, je me dis : ostie qu’il est con. Le gars est toujours en train de faire son festival de niaiseries, et la fille, elle, est naïve, parce qu’elle est amoureuse et qu’elle veut que ça marche. [...] Sylvie est hallucinante, c’est une machine, cette femme-là. Je ne sais pas si elle a fait une seule mauvaise scène. Alors que moi, j’en ai quelques-unes à mon actif.

Sylvie Léonard : Est-ce que Guy A. Lepage est un bon comédien ? [Rires] Guy A. Lepage ne peut pas tout jouer, c’est certain. Guy dit : « Je suis passé de comédien très poche à comédien moyen. » C’est ça. [Rires] Je l’aime tellement. Si, un jour, il était en difficulté, j’irais le rejoindre n’importe où.

Le local, universel

Guy A. Lepage : On n’était pas encore rendus à notre première vraie saison qu’une fille qui s’appelle Annabelle Pouliot nous a demandé la permission de négocier en notre nom, pour vendre des options à d’autres réseaux. Elle s’en allait à Cannes. On lui a dit oui, mais on était sûrs qu’on ne la reverrait jamais. On s’est vite rendu compte que le couple bobo du Plateau qui se demande s’il va avoir un enfant ou pas, s’il doit rester en appartement ou acheter une maison, il existe dans toutes les villes occidentales. Les Grecs pensaient que c’était une émission grecque, les Français, une émission française.

Sylvie Léonard : J’ai rencontré beaucoup de couples qui ne sont pas hétéros et qui disaient : on se reconnaît dans cette dynamique-là.

Guy A. Lepage : Mon impression, c’est que dans toutes les relations de couple, hétéro ou gai, il y a un Guy et une Sylvie. Pourquoi ? Parce que la plupart des couples stables sont des couples complémentaires. Il y en a toujours un qui est plus aventureux, un qui aime moins voyager... Mais pour les jeunes de la génération Z, qui sont en redéfinition des modèles de couple et de leur identité de genre, il y aura peut-être un jour une émission qui va s’appeler Iel et Iel. Et ça va être cool.

Et ce n’est pas fini ?

Sylvie Léonard, à propos du dernier jour de tournage, dans La Presse du 29 mars 2003 : « Je n’en conserve pas un souvenir agréable. Une partie de moi, celle qui pouvait s’exprimer à travers ce personnage, est morte. Il m’est difficile d’admettre que Sylvie ne reviendra plus. Cela dit, nous sommes à l’aise avec notre décision. »

Guy A. Lepage : Depuis qu’on a arrêté, il m’est arrivé deux fois d’appeler Sylvie parce que je pensais que j’avais une idée pour un film ou une pièce de théâtre. Sylvie m’a toujours répondu : « Est-ce que tu penses que ça va être meilleur que ce qu’on a fait ? » Et ça, je ne peux pas le garantir.

Sylvie Léonard : Guy m’a donné de l’espace. Sylvie, c’est moi qui ai tout décidé comment elle était et Guy n’a jamais dit : « Ah non, je ne la vois pas de même. » On s’en allait toujours à la même place.

Guy A. Lepage : Un gars, une fille, c’est le bébé de Sylvie autant que le mien.

Sylvie Léonard : Guy et Sylvie s’aimaient, ils se désiraient. Il la trouvait profondément belle, elle le trouvait profondément désirable. Et nous autres, on a décidé qu’ils s’aimeraient pour toujours. Mais ça, c’est notre jardin secret.

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