Opinion

Accompagner les jeunes placés vers la vie adulte

Nous sommes le comité des jeunes de la recherche Étude sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France (EDJeP) et nous vous interpellons aujourd’hui dans le but d’attirer votre attention sur l’importance de soutenir les jeunes placés lors de leur transition à la vie adulte.

Les résultats de la recherche EDJeP démontrent très clairement des inégalités préoccupantes chez les jeunes placés qui quittent actuellement le système de protection. Pour ne nommer que quelques faits, 20 % des jeunes placés ont vécu un ou plusieurs épisodes d’itinérance et seuls 24,8 % ont obtenu leur diplôme d’étude secondaire à 19 ans comparativement à 77,4 % pour l’ensemble du Québec. Pour les jeunes qui ont passé la totalité de leur temps de placement en centre de réadaptation, cette probabilité diminue à seulement 7 %.

Force est de constater que nos institutions publiques ne parviennent pas à éviter que trop de jeunes anciens placés deviennent des citoyens de seconde zone.

Le constat à l’égard des différents ratés du système nous permet d’aborder la situation des jeunes placés au Québec sous l’angle d’une problématique sociale complexe et urgente, qui nécessite la collaboration des différents acteurs impliqués. Bien que l’État soit imputable face au devenir des jeunes sous « sa protection », c’est également une question de responsabilité collective.

Depuis plusieurs décennies, de nombreux rapports gouvernementaux et de recherche témoignent de l’importance de mieux soutenir les jeunes placés dans leurs transitions à la vie adulte. Ces études soulignent les différents enjeux auxquels font face les jeunes, tels que la rupture dans la trajectoire de services, l’instabilité résidentielle, le manque de soutien et de préparation. Paradoxalement, rappelons que le phénomène d’allongement de la jeunesse tend à s’amplifier au fil des ans et que les jeunes ont maintenant tendance à vivre plus longtemps chez leurs parents et effectuent souvent des allers-retours pour toutes sortes de raisons telles qu’une perte d’emploi et/ou de logement, une séparation amoureuse, des difficultés financières, etc.

Ces possibilités d’expérimentations ne sont pas possibles pour la majorité des jeunes placés qui, confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives au moment de leur placement, restent toujours vulnérables une fois sortis du système de protection.

Considérant la crise actuelle et le désir de relancer l’économie, il est primordial de prendre en compte le grand potentiel économique des jeunes placés et leur rôle dans cette relance. Ainsi, en février 2020, un rapport publié par la Chaire de recherche du Canada sur l’Évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ/EDJEP) nous apprend que le manque à gagner en taxes, impôts, revenus personnels et épargnes en services sociaux dû à la sous-scolarisation des jeunes placés s’élève à plus de 370 millions de dollars. Par ailleurs, un nouveau rapport¹ publié le 9 novembre 2020 par la CREVAJ/EDJEP nous démontre que pour des investissements de 146 millions de dollars afin d’étendre les services jusqu’à l’âge de 21 ans, l’État pourrait s’attendre à des bénéfices estimés entre 154 et 254 millions. Au-delà des gains économiques, c’est d’abord pour nous une question de justice sociale et d’un droit à l’égalité des chances.

Dans ce contexte, nous sollicitons le gouvernement afin de mettre sur pied une table interministérielle spécialisée sur la transition à la vie adulte des jeunes placés à la protection de la jeunesse avec pour objectif de collaborer à l’élaboration d’un plan d’action concerté avec les jeunes, les familles, les organismes communautaires, les chercheurs et les différents ministères impliqués. Ainsi, nous croyons qu’il est pertinent d’établir une collaboration avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de l’Éducation, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le ministère de la Famille, le ministère de la Justice et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse afin d’agir sur les déterminants de la santé pour répondre aux besoins de ces jeunes de manière intersectorielle, et ce, minimalement jusqu’à l’âge de 21 ans, idéalement 25 ans.

Malgré l’urgence de la situation, le Québec est l’une des deux seules provinces au Canada à ne pas avoir de plan d’action pour la transition à la vie adulte des jeunes placés.

Bien que nous soyons conscients que le rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse sera bientôt déposé, nous vous demandons d’agir, de manière proactive, dans l’intérêt de ces jeunes.

Ainsi, nous demandons au gouvernement de bien vouloir répondre aux trois demandes formulées le 20 mai 2020 par la Dre Mélanie Doucet, la Ligue pour le bien-être de l’enfance au Canada et plusieurs défenseurs des jeunes placés² :

1. Immédiatement, décréter un moratoire officiel sur la coupure des services de protection de l’enfance à l’âge de la majorité afin de s’assurer d’une application uniforme de cette directive.

2. Travailler, sans délai, avec les groupes et réseaux pour les jeunes placés du Québec (par exemple : le Comité des jeunes EDJEP, CARE Jeunesse, l’Association Étudiante des Ancien(ne)s Placés de Montréal, le Réseau Intersection Québec) pour établir un plan d’action concret pour la durée de la pandémie et après, pour s’assurer que les jeunes placés sont supportés sans discrimination.

3. S’engager immédiatement à fournir des services en santé mentale et des liens avec la famille, la culture et la communauté pendant et après la pandémie pour tous les jeunes placés et ceux qui ont récemment quitté le système, comme souligné dans la note d’orientation publiée par la Ligue.

Finalement, nous voulons savoir quand le gouvernement compte agir pour soutenir la transition à la vie adulte et la scolarisation des jeunes placés ? La situation est urgente et nous devons tous collaborer dans l’intérêt de ces jeunes en leur offrant un filet de sécurité sociale.

1 http://edjep.ca/wp-content/uploads/2020/11/rapport_cb_fr.pdf

2 https://theconversation.com/covid-19-il-faut-un-moratoire-pour-les-jeunes-de-la-dpj-138595

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