Commerce de détail

Une PME montréalaise gagne son combat contre Costco

Dans un combat à la David contre Goliath qui aura duré sept ans, un petit distributeur montréalais de vêtements de luxe vient de gagner contre le détaillant Costco Canada, condamné à lui verser plus de 1 million de dollars. Au cœur du litige : des jeans de marque Rock & Republic (R&R) vendus 300 $ chez Holt Renfrew et Aritzia, mais seulement 99 $ chez Costco.

La découverte

L’histoire commence en 2009 quand la PME Simms Sigal & Co. découvre que Costco vend des jeans R&R, une marque californienne dont elle détient l’exclusivité de la distribution au Canada. Simms paie les jeans 100 $, les vend 200 $ à ses clients (tels Holt Renfrew, Harry Rosen, Aritzia) qui, eux, les revendent 300 $. De son côté, Costco achète les jeans 84 $ et les revend 98,99 $. La situation est embarrassante puisque les consommatrices qui déboursent 300 $ « paient pour l’image » et pour « avoir le sentiment de faire partie de l’élite », a expliqué une employée de Simms à la Cour supérieure.

Traités « de voleurs »

Les détaillants approvisionnés par Simms se plaignent rapidement de la situation. Leurs ventes baissent, leur réputation souffre. Certains se font traiter de « voleurs » par leurs clients puisque leur prix de détail est trois fois plus élevé que celui de Costco. « Les jeans Rock et Republic sont vendus à 98 $ chez Costco, ce qui est bien en deçà de nos coûts, et ils en ont une tonne… Nous ne pouvons vendre aucun de nos produits », aurait écrit un détaillant. « On a perdu la face et on a perdu des ventes », a dit la fondatrice et propriétaire de Simms, Linda Sigal, au juge. Par deux fois, elle avait mis Costco en demeure de cesser de vendre les jeans, sans succès.

La magouille de R&R

Quand Simms a joint R&R pour l’informer que Costco Canada vendait ses jeans à 99 $, le fabricant a demandé à la PME montréalaise d’en acheter une paire et de la lui envoyer afin d’investiguer. Or, il appert que les jeans en question étaient spécialement fabriqués au Guatemala pour être vendus à Costco par ABFI, un intermédiaire canadien appartenant à l’américaine Quetico. Tous les autres jeans R&R étaient fabriqués aux États-Unis. Mis à part le lieu de fabrication, ils étaient identiques. Mais rien ne prouve que Costco était au courant du petit manège de R&R appelé « Projet x », écrit le juge dans un costaud jugement de 116 pages.

La défense de Costco

Costco se défend en affirmant que les jeans ont été achetés sur le marché gris, ce qui est légal. L’argument ne convainc pas le juge. « Dans le marché gris, la première vente est légitime car la marchandise est achetée dans une juridiction où c’est permis. Ici, la première vente n’était pas valable car elle violait l’entente entre Simms et R&R », a expliqué à La Presse l’avocate de Simms, Me Sandra Mastrogiuseppe, du cabinet Kugler Kandestin. Costco a aussi fait valoir qu’il ne pouvait pas savoir qu’ABFI n’était pas autorisé à l’approvisionner et qu’il n’avait pas la preuve que Simms avait l’exclusivité de la marque R&R au Canada. Le juge estime plutôt que Costco a « choisi d’ignorer » qu’un tel achat « provoquait la rupture de contrat entre R&R et Simms », ce qui contrevient à l’article 1457 du Code civil du Québec. 

La contre-attaque de Costco

Costco a répliqué à la poursuite engagée par Simms en lui réclamant 1,43 million pour couvrir ses frais professionnels, incluant l’embauche de témoins experts. Le détaillant souhaitait aussi recevoir 100 000 $ en dommages punitifs, étant donné que « l’abus de procédures » de Simms a nui à sa réputation. Le juge Mark G. Peacock, de la Cour supérieure du Québec, a rejeté ces demandes.

Plus de 1 million avec les intérêts

Établir les dommages financiers subis par Simms n’a pas été une mince tâche : l’affaire est survenue en pleine récession, R&R a fait faillite aux États-Unis, et bien malin celui qui peut chiffrer les ventes futures d’un produit aussi lié aux tendances mode que des jeans. Costco a finalement été condamné à verser 361 005 $ en dommages compensatoires et 500 000 $ en dommages punitifs et à rembourser les frais d’expertise. Avec les intérêts, la somme dépasse le million de dollars. L’avocat de Costco, François-David Paré, chez Norton Rose Fulbright, nous a confirmé que le jugement sera porté en appel. C’est pourquoi il n’a pas souhaité nous « formuler de commentaires ».

David, Goliath et l’ironie

« Nous sommes très heureux qu’un tribunal ait validé que le comportement de Costco est inacceptable, a réagi Sandra Mastrogiuseppe, lorsque jointe par La Presse. Linda Sigal est très courageuse. Ce n’est pas tout le monde qui ose s’attaquer à Costco. » D’ailleurs, ajoute l’avocate, « c’est un cas classique de David contre Goliath corporatif. Le groupe Costco faisait des ventes de 76 milliards US en 2010. Et ils nous ont forcés à les poursuivre ! On trouvait ça ironique, et le juge nous a donné raison ». Encore plus ironique, croit l’avocate, c’est que Costco a un code d’éthique qui dit à ses employés d’être « droits et de faire la bonne chose » quand « une situation peut amener différentes interprétations éthiques ».

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