Waitress

La difficile recette du bonheur

La recette d’une comédie musicale à succès n’a encore jamais été trouvée. Or Waitress, de l’autrice-compositrice et interprète new-yorkaise Sara Bareilles, a assez de bons ingrédients pour passer la rampe. Hélas, l’œuvre est saupoudrée de trop de bons sentiments pour se comparer aux canons du genre, notamment Les producteurs, West Side Story et Hamilton.

« Sucre, beurre, farine ! » Ce leitmotiv revient tout au long du spectacle créé à Broadway en 2016, repris à Londres, entre autres, avant d’être adapté au cinéma l’an dernier. Waitress raconte l’histoire de Jenna (Marie-Eve Janvier), une femme en quête de bonheur qui travaille dans un diner d’une petite ville du sud des États-Unis.

La serveuse a du talent pour cuisiner de succulentes tartes qu’elle distribue à qui mieux mieux. Une passion héritée de sa mère. Hélas, celle-ci ne lui a pas transmis la recette du bonheur. Entre son travail éreintant et sa relation toxique avec un homme violent et manipulateur, Jenna cherche à s’émanciper.

Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte de son mari, Jenna décide de garder le bébé… même si elle désire quitter le foyer. Ses deux collègues au restaurant, Becky et Dawn, ainsi que son gynécologue pour qui elle a le béguin, vont l’aider à se libérer de son sort.

Quête universelle

Entièrement créée par des femmes (livret, paroles, musique, mise en scène et chorégraphies), chose rare à Broadway, Waitress est probablement la première comédie musicale féministe à succès. Tant mieux ! Car la sororité autour de Jenna pour l’aider dans sa quête a des résonances universelles. Et le bonheur n’a pas de sexe.

Waitress est produite pour la première fois en français (textes et chansons), sous la direction de Joël Legendre. Avec une grosse distribution de 17 interprètes, en plus de 6 musiciens sur scène. Joël Legendre a dirigé habilement ses acteurs. Le rythme de la production est un peu flottant par moments ; les numéros, répétitifs.

Or, Waitress est un country-folk musical, non une comédie musicale à grand déploiement. Les chorégraphies sont minimalistes ; les costumes et le décor soignés, mais pas flamboyants.

La production n’affiche pas non plus de grandes voix comme dans d’autres comédies musicales. Or, les interprètes sont très justes dans l’ensemble. Marie-Eve Janvier, très touchante dans le rôle de Jenna, s’illumine lorsqu’elle exécute Cachée au fond de moi, la version française de She Used to Be Mine, la plus belle chanson du spectacle ; pur moment de grâce et d’introspection de ce personnage créé par Jessie Mueller et repris par Bareilles.

Renaud Paradis, Jonathan Gagnon, François Léveillée et Julie Ringuette sont aussi très bons. Une mention spéciale à Jonathan Caron qui a eu une claque du public à sa première apparition dans le rôle du courtisan nerd, Ogie, à la fin de sa chanson Je vais jamais jamais partir. Malheureusement, ce numéro, le plus mémorable de la soirée, arrive à la fin du premier acte et est défendu… par un personnage secondaire.

Ceci explique cela. À notre avis, la faiblesse de Waitress tient à son livret, lui-même adapté du scénario du film d’Adrienne Shelly. Ce récit n’a pas d’arc dramatique fort, et ses personnages sont peu développés, voire des caricatures. On ne comprend pas pourquoi Jenna, « la reine de la gentillesse et de la bonté », s’acharne à rester avec son bourreau de mari. On comprend encore moins quel est le déclencheur de sa subite émancipation, après son accouchement ? Le revirement le plus improbable qu’on ait vu au théâtre !

Bref, malgré les indéniables qualités de la production, le talent de ses artistes et concepteurs, cette comédie musicale légère sur un thème sérieux ne nous a pas vraiment touché.

Waitress est présentée à l’Espace St-Denis, à Montréal, jusqu’au 28 juillet, puis à la salle Albert-Rousseau, à Québec, du 10 au 31 août.

Waitress

Une adaptation québécoise – et en français – réussie

Après New York et Londres, la comédie musicale Waitress arrive à Montréal… en français ! Une version très fidèle à l’originale, mais qui s’adapte au public québécois.

La mise en scène de Waitress à l’Espace St-Denis est une réplique identique de sa version originale. Difficile de trouver une différence entre les décors, les costumes et les chorégraphies de Broadway et de Montréal. La distribution étant étroitement supervisée par l’équipe de New York, les personnages interprétés par Marie-Eve Janvier, Sharon James et Julie Ringuette incarnent loyalement l’esprit de Jenna, Becky et Dawn.

Bien que Waitress ait voyagé jusqu’au Québec, le Joe’s Pie Diner se trouve toujours dans une petite ville du sud des États-Unis près de l’autoroute 27. On évoque le comté voisin de Springfield, ancré dans l’imaginaire américain, tout comme les noms anglo-saxons des personnages.

Cependant, les accents du sud des États-Unis des personnages originaux se transforment en de forts accents québécois. Parfois caricaturaux, ces accents aident à transposer le sentiment d’une petite ville perdue en territoire québécois. Mentionnons notamment l’emploi du verbe continusser par Earl, personnage macho incarné par Jean-François Beaupré.

Les chansons, dont les paroles sont traduites, reprennent les mélodies originales de Sara Bareilles. Les traductrices Joëlle Bond et Elizabeth Cordeau Rancourt optent pour quelques interprétations plus symboliques afin de conserver le message des chansons. Le fameux duo de Jenna et DPomatter It Only Takes a Taste devient Dès la première bouchée.

Les dialogues sont fidèles au texte original de Waitress, tout en se permettant une certaine liberté humoristique. Les lignes comiques, qui intègrent du vocabulaire québécois, provoquent des rires de la foule. « Swing-toé la bacaisse ! », crie le personnage de Cal (Jonathan Gagnon) dès le début de la pièce. On y parle de pitoune, de bedaine et de Laval… 

L’adaptation québécoise de Waitress se situe entre la Géorgie et la Belle Province, quelque part où l’affichage du Joe’s Pie Diner peut se permettre de contrevenir à la loi 101.

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