Aider un enfant qui ne va pas bien

« J’avais l’impression de me faire arracher le cœur. Le cœur et le ventre en même temps. »

Quand sa fille unique l’appelait des toilettes de son école secondaire, incapable de sortir de la cabine tant elle était anxieuse, demandant à sa mère de venir la chercher, Caroline Scott ne pouvait faire autrement que de ressentir elle aussi de la détresse. De la détresse, mais aussi beaucoup d’impuissance.

« Je me sentais comme si je regardais mon enfant se faire torturer », dit-elle.

C’est à l’entrée au secondaire, en 2020-2021, que sa fille a commencé à vraiment mal aller. Ses notes dégringolaient. Elle ne faisait plus de sport, mangeait moins. Et elle avait mal au ventre, tout le temps. « On a fait tous les tests possibles », dit-elle. C’était de l’anxiété.

Caroline a compris que socialement, à l’école, ça n’allait pas. Sa fille était victime d’intimidation. La pandémie la privait aussi de ses exutoires, dont le sport. « La dépression, c’est exponentiel », souligne Caroline Scott.

Quand son enfant ne va pas bien, qu’il soit jeune adolescent, grand adolescent ou adulte, le parent en souffre lui aussi. Chez Arborescence, un organisme qui accompagne les familles ou les proches d’une personne vivant avec un trouble de santé mentale ou de la détresse psychologique, pas moins de 80 % des membres le sont à titre de parents.

« Les parents sont parmi la clientèle pour qui ça génère le plus de détresse », observe Valérie Fortier, cheffe d’équipe clinique chez Arborescence. C’est dans la nature du rôle de parent, dit-elle : quand on met un enfant au monde, on l’aime inconditionnellement.

« On a un sentiment de responsabilité vis-à-vis de nos enfants. Devenir parents, c’est baigner dans la peur, l’inquiétude, la culpabilité. »

— Valérie Fortier, cheffe d’équipe clinique chez Arborescence

Martin et Sophie sont parents d’un jeune homme de 19 ans qui a un diagnostic de trouble de la personnalité limite. Chez Arborescence, le couple participe à un groupe de soutien destiné aux proches de personnes vivant avec ce trouble, qui se caractérise par un sentiment de vide intérieur et d’ennui chronique et profond. Martin et Sophie ont demandé à être cités avec d’autres prénoms, parce qu’il s’agit d’un sujet sensible et que leur fils n’est pas au courant de leur démarche.

Leur fils était un petit garçon jovial et sportif qui vivait de grandes joies, disproportionnées, et de grandes peines, également disproportionnées. Au primaire, il a reçu un diagnostic de TDAH et de troubles d’apprentissage. Parce qu’il était anxieux, il a consulté un psychologue dès l’âge de 12 ou 13 ans.

Au secondaire, les crises de panique ont commencé. Sa souffrance s’est traduite par de l’automutilation et un désir de mourir. Il a fait de longues thérapies pour apprendre à gérer ses émotions, pour apprendre à se gérer.

Un jour, un intervenant a posé une question à Martin et à Sophie. Pensez-vous que vous êtes responsables du bonheur de votre enfant ? Martin, le pragmatique du couple, ne porte pas ce fardeau. « Je suis responsable d’offrir un environnement dans lequel mon enfant peut s’épanouir et être heureux, mais je ne peux prendre sa souffrance sur mon dos », dit-il.

Sophie, elle, l’a longtemps porté, mais elle apprend aujourd’hui à s’en défaire. La Montréalaise a longtemps été hantée par des questions sans réponse. Pourquoi son enfant sent-il un vide à l’intérieur ? Pourquoi ne trouve-t-il pas de sens à sa vie ? Pourquoi son estime de soi est-elle faible alors qu’elle a dit et fait tellement de choses pour le valoriser ?

« Je ne comprenais pas comment nos actions de parents pouvaient ne pas avoir porté leurs fruits. La pilule n’est pas encore complètement passée, mais maintenant, je comprends. Même si on a été hyper aimants, ce vide-là, il est en lui… »

— Sophie, enseignante

« Il y a tellement de facteurs à considérer qui font en sorte que les jeunes ne vont pas bien », rappelle Karine Gauthier, psychologue clinicienne et présidente cofondatrice de la Coalition des psychologues des réseaux publics québécois.

Affect et responsabilisation

Psychologue à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, Rick Noble a souvent vu des parents crier et se mettre en colère parce que leur enfant n’allait pas bien. « Ce n’est pas parce que ce sont de mauvais parents, c’est juste qu’ils sont eux-mêmes tellement en détresse… », dit-il. Quand un jeune constate que son parent est en détresse à cause de lui, ça lui met beaucoup de pression.

La première chose à faire, pour un parent, c’est de prendre soin de son propre affect, comme le fait Caroline Scott en consultant un psychologue, et comme le font Martin et Sophie en allant chercher le soutien d’Arborescence. Car un parent en détresse sera nécessairement un aidant moins efficace.

« Ce n’est pas utile de répondre en panique et de dire : “il faut que tu fasses ci, il faut que tu fasses ça”. Parfois, comme parent, on veut réparer quelque chose, on veut sauver notre enfant, mais quand on fait ça, on n’entend pas les besoins de notre enfant ; on entend ce qu’on ressent nous, comme parent. »

— Rick Noble, psychologue

Et en empêchant ses enfants de vivre des échecs, on les empêche inévitablement de vivre des réussites, souligne pour sa part Valérie Fortier, cheffe d’équipe clinique chez Arborescence.

Sophie et Martin le réalisent aujourd’hui : la souffrance de leur fils, ils la ressentaient et ne savaient pas trop comment la gérer. « On faisait beaucoup de choses à sa place, on voulait lui éviter de la peine », observe Sophie, qui a compris bien des choses sur son fils, mais aussi sur elle-même dans ses rencontres avec Arborescence. Le couple a aussi appris à mettre ses limites, dans la bienveillance.

Communication et validation

Quand son enfant est en détresse, le parent n’a pas le pouvoir d’éliminer sa souffrance, mais il y a certaines choses sur lesquelles il peut agir. D’abord, il peut créer un environnement qui permet à l’enfant de se sentir à l’aise de se confier, souligne le psychologue Rick Noble. On peut demander à son enfant comment il va dernièrement, tout simplement. La discussion, dit-il, doit être continue. C’est d’ailleurs ce que fait Caroline Scott avec sa fille de 16 ans, qui traverse une dépression.

« Quand les enfants viennent vous parler, ils ne veulent pas de conseils ; ils veulent qu’on les écoute et qu’on les croie. »

— Caroline Scott

Selon la psychologue Karine Gauthier, il faut garder la communication ouverte, mais se garder d’insister avec des questions spécifiques. Sinon, dit-elle, le jeune risque de se refermer.

Ensuite, il faut valider les émotions de son enfant. C’est la clé.

« Si, par exemple, l’ado ou le jeune adulte dit à son parent qu’il a peur d’échouer à ses examens, le réflexe de la majorité des parents – tout à fait normal – est d’expliquer à son enfant pourquoi il ne devrait pas être anxieux, souligne Valérie Fortier, d’Arborescence. On va essayer d’éliminer l’anxiété par des exemples logiques. Contre notre volonté, on va venir invalider l’émotion de la personne. » En conséquence, le jeune pourrait se dire que ça ne sert à rien de parler à son parent ou même se sentir encore plus anxieux à force de devoir se justifier, dit-elle. « Peut-être qu’on pourrait juste aller dans : “je comprends que tu puisses te sentir anxieux. Qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ?” »

Cette simple question – qu’est-ce que je peux faire pour toi ? – démontre à l’enfant qu’on croit en ses compétences, mais aussi qu’on est là pour l’écouter, dit Rick Noble.

Valérie Fortier insiste sur la notion d’espoir. Elle voit des gens surmonter leur souffrance, se rétablir. « Il faut avoir confiance dans le rétablissement de l’autre », conclut Mme Fortier, qui conseille aux parents de se réserver des moments de plaisir avec leur enfant.

Chercher de l’aide

Près de trois ans après le début de la pandémie, les services d’aide psychologique demeurent très sollicités. Par où commencer pour accompagner son enfant afin de trouver de l’aide ?

Présidente de la Coalition des psychologues des réseaux publics québécois, Karine Gauthier le dit sans détour : les ressources sont limitées dans le réseau public. Très limitées.

Mère d’une ado qui traverse une dépression, Caroline Scott en sait quelque chose : voilà un an qu’elle est en attente d’un psychologue pour sa fille. Elle a donc décidé de se tourner vers le privé, avec les frais que cela implique.

Pour explorer les ressources au public, on peut demander une référence à son médecin de famille, appeler Info-Social 811 ou poser la question à l’école, au cégep ou à l’université que fréquente le jeune. Dans ces milieux scolaires, les psychologues – peu nombreux – offrent souvent généralement entre trois et cinq rencontres.

« Les ressources sont limitées, mais je dis aux parents de quand même en demander, parce qu’il en existe », dit Karine Gauthier. Certains établissements scolaires offrent des groupes d’écoute entre pairs et des ressources en adaptation. « Avant même de commencer l’école, on peut regarder ce qui est disponible », souligne le psychologue Rick Noble.

Et si son ado ne veut pas consulter ? Karine Gauthier conseille aux parents de lui expliquer pourquoi ils considèrent cela comme important, de leur parler d’athlètes qui voient un psychologue, et de présenter ça comme un essai, sans obligation à long terme.

Si on craint pour la sécurité et l’intégrité d’un proche, il faut alors demander une intervention policière ou se rendre aux urgences.

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

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