Livre Les ravages des écrans

Extrait
Des faits irréfutables

En s’appuyant sur de nombreuses recherches et études scientifiques internationales, le psychiatre et spécialiste du cerveau Manfred Spitzer montre à quel point notre dépendance aux technologies numériques menace notre santé, tant mentale que physique.

Ne nous mentons pas : les technologies numériques présentent le risque de nuire au développement organique, psychique, intellectuel et social des jeunes et elles peuvent de surcroît susciter une forte dépendance.

Les mécanismes ici à l’œuvre sont très divers et s’additionnent pour constituer autant d’« attaques » visant tout d’abord la motricité globale et la motricité fine, la capacité entière de perception de l’organisme, le développement de la faculté d’empathie et celui de la faculté de langage, mais aussi – ultérieurement – celui des fonctions exécutives : la maîtrise de soi, la confiance en soi, l’efficacité, la volonté et la capacité de se fixer des objectifs et de les atteindre. Pour ce qui est de la cognition, les technologies numériques affectent la capacité d’attention et, ce faisant, les résultats scolaires ; en ce qui concerne les émotions sociales, ces technologies conduisent leur utilisateur à éprouver un sentiment d’insatisfaction, de l’angoisse, à souffrir de dépression, d’un manque d’empathie, à connaître l’isolement et le stress – raisons pour lesquelles se déclarent alors, avec une fréquence certaine, de très nombreuses maladies.

Pourquoi dans ces conditions ne fait-on rien ? Parce qu’un lobby surpuissant y travaille d’arrache-pied. Un certain nombre de leçons nous sont assénées quotidiennement au sujet de l’importance, pour nos sociétés, des médias numériques et de la nécessité de s’y former au plus tôt, si possible dès le berceau. Les personnalités politiques – toutes tendances confondues – prêtent leurs voix à ce chœur, y compris celles réputées les plus hostiles à toute idée de progrès et d’innovation.

Les tenants de la pédagogie des médias, qui ne cessent de prôner l’utilisation du numérique à l’école, ne cessent pas non plus de donner des conseils ineptes aux parents, aux éducateurs et aux enseignants.

Il n’y a en fait que certains médecins pour mettre en garde l’opinion publique contre les effets négatifs des médias numériques – et tout particulièrement les pédiatres et les spécialistes de l’enfance et de l’adolescence, qui sont quotidiennement confrontés à ces conséquences : troubles de l’attention, échec scolaire, angoisses, cyberharcèlement, surpoids, manque d’exercice, absence de désir et de motivation, refus de mener une vie sociale, dépressivité et dépendance. Tel est leur pain quotidien. Mais pour chaque mise en garde avisée, combien de hurlements publicitaires en provenance de campagnes marketing ? De sorte que c’est l’incertitude et le désarroi qui dominent, alors même que les faits sont irréfutables. […]

Les technologies numériques sont cause de distraction ; elles nuisent à la concentration et à l’attention. Loin d’encourager et de faciliter – comme beaucoup le prétendent – les processus d’apprentissage, elles les entravent. Les études qui ont été consacrées aux effets de l’introduction des ordinateurs en classe nous ramènent brutalement à la réalité – une réalité pour le moins fâcheuse. Aucune d’entre elles ne saurait justifier, en matière éducative, de lourds investissements dans les technologies numériques.

Les arguments très souvent avancés en leur faveur – prétendant par exemple que les élèves doivent être formés à ces supports numériques et invoquant l’égalité des chances en la matière – ne reposent, avec ces données, sur aucune espèce de fondement empirique. Bien au contraire, les ordinateurs aggravent les disparités sociales déjà existantes entre les enfants.

Dans la mesure où l’on sait depuis longtemps qu’un accès à Internet dans les écoles et les universités est systématiquement source de distraction, et où l’on en connaît les conséquences sur la qualité de l’apprentissage, de telles conclusions n’ont vraiment rien de très surprenant. Quant au constat selon lequel l’écriture cursive se révèle bien plus propice à l’acquisition du savoir que celle sur un clavier, il est tout aussi peu étonnant – du point de vue tant psychologique que neurobiologique.

La lecture et l’écriture sont des pratiques culturelles très importantes. Le fait de maîtriser la langue écrite contribue de façon essentielle à la réussite scolaire et donc, plus tard, professionnelle. Un cours parfaitement mené, s’appuyant sur les principes neurobiologiques de l’apprentissage, de la lecture et de l’écriture, pourrait même remédier à de réelles faiblesses dans ces domaines et remettre sur les rails de la réussite une jeune personne. Mais nous en sommes loin. On préférera débattre avec le plus grand sérieux de l’opportunité de supprimer entièrement des programmes scolaires l’écriture cursive, comme cela est déjà le cas ailleurs, par exemple en Finlande. Les arguments avancés ici ne pourraient être plus stupides : dans la mesure où les enfants n’en seraient plus capables, paraît-il, sur le plan moteur, il s’agirait d’écarter l’écriture cursive une bonne fois pour toutes… Que faudrait-il faire dans ces conditions si les enfants en venaient tous à rencontrer des difficultés en mathématiques ? Supprimer celles-ci, peut-être ? […]

Au regard des données dont nous disposons à l’heure actuelle, et dont l’interprétation ne prête à aucune ambiguïté – alors même qu’il n’est jamais question des répercussions et des risques évidents de leur utilisation –, les investissements visant à généraliser l’utilisation des technologies numériques dans le domaine de l’éducation représentent un gaspillage de moyens financiers.

Rogner sur les postes d’enseignants et, dans le même temps, dépenser des millions pour ces nouvelles technologies est irresponsable et absolument nuisible à l’éducation des enfants.

On ne peut et on ne doit pas abandonner à des multinationales, uniquement mues par la recherche du profit, l’éducation des nouvelles générations – qui est au fondement de notre culture, de notre économie et de la société dans son ensemble. Car l’éducation des jeunes est notre avenir !

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