Société

Le bonheur est dans l’ultramarathon

Le bonheur n’est pas dans le pré, les amis, mais dans l’ultramarathon. Ou plutôt dans l’art de l’apprivoiser. Au figuré, bien sûr : leçon de course, mais surtout, leçon de vie.

C’est l’essentiel de ce que l’on retient de la lecture du très divertissant et haut en couleur (et en photos) Ultraordinaire 2 – Odyssée d’un coureur, de l’ultramarathonien et conférencier Joan Roch, également programmeur à ses heures.

Polaroïd éclaté d’un parcours tout sauf ordinaire, l’ouvrage se situe quelque part entre le récit de voyage, le carnet sportif et le journal intime, histoire d’amour en prime. Le tout parsemé ici et là de clins d’œil (« la fois où j’ai couru trop peu de temps après ma vasectomie ») et autres réflexions philosophiques (« L’important, c’est d’essayer », ou mieux : « Le confort est une drogue »). Le confort ? La course, plutôt, non ? Nous y reviendrons.

Il faut savoir que l’homme, qui s’est fait connaître il y a quelques années avec son Journal d’un coureur (Ultraordinaire 1), à qui l’on doit l’« Odyssée » Percé-Montréal à la course l’an passé (un projet en solo et en sandales de quelque 1135 kilomètres en 15 jours), est d’une transparence désarmante, et ce, à l’écrit comme en entrevue. Parce qu’entre ces deux faits d’armes, ses deux livres, si vous voulez, il y a aussi eu le déclin. Et carrément la chute, assez brutale, merci. « Comme quoi je ne savais pas encore tout de la baisse spectaculaire de motivation », explique-t-il au bout du fil.

Deux mois après avoir sorti son premier livre, notre coureur rangeait en effet ses baskets. Littéralement : la course, c’en était fini pour lui. Diagnostic : écœurantite. « Et j’avais un peu honte, confie-t-il. Un sentiment d’échec. Je n’avais jamais vécu ça. Mais quand j’ai réussi à en parler, je me suis rendu compte, à ma grande surprise, que tout le monde passe par là. Peu importe le sport ou la passion, c’est universel. » Universel ? « Oui, poursuit-il. J’ai eu beaucoup de retours, de témoignages, principalement des sportifs qui, après 15, 20 ans, laissent tout tomber. C’est un sujet non pas tabou, mais très peu abordé. »

« Parce que l’arrêt, ou l’abandon, quand tu es identifié à un sport, c’est quasiment une perte d’identité. »

— L’ultramarathonien Joan Roch, qui a abandonné la course quelques mois

Dans son cas, il n’y avait pas exactement que ça. Et c’est ici que le journal intime prend le dessus : outre le « ras-le-bol » donc, il y avait la famille (et on comprend que la mère de ses trois enfants a fait, elle aussi, une « écœurantite aiguë » de tous ses projets), et le budget. Pour sauver son couple, donc, Joan Roch a fait un choix : lâcher la course. Sauf que ça n’a pas fonctionné. « En arrêtant la course, résume-t-il, je n’ai rien réglé. » Et il l’écrit noir sur blanc : le problème, c’était son couple. Plus exactement : sa femme. « Je ne t’aime plus. Je te quitte. »

Une séparation et un coup de foudre pour une autre femme plus tard (et pas exactement dans cet ordre), il raconte et écrit avec une certaine désinvolture cette rupture. « Je lui ai tout envoyé. Tous les textes où je parlais d’elle, et elle a tout approuvé », assure-t-il. Ah bon ? « En plus, c’était réciproque. » D’ailleurs : « Ça n’a pas été une période facile, en même temps ç’a été une libération. Et d’une certaine manière, ce livre découle de cette libération. »

Je suis un coureur

Parce que sa séparation le lui a confirmé : qu’il le veuille ou non, Joan Roch est un coureur. « Ça fait partie de moi. » C’est son dada. Sa passion. Ce qui le rend surtout pleinement heureux. Son arrêt n’aura duré que quelques mois, moins d’une année, en fait. Et tranquillement pas vite, il a repris la route, les chemins boueux et le bord du fleuve, avec l’ultime projet fou que l’on sait. Avec l’appui, cette fois, de sa nouvelle flamme, passionnée comme lui de défis.

Alors, qui est drogué, ici ? « Le confort moderne est totalement inhabituel et pas du tout naturel », répond l’auteur, qui se plaît à lire des livres d’anthropologie dans ses temps libres (« Les livres sur la course, ça ne m’intéresse pas ! »). Bien sûr, il est bien agréable de passer nos journées dans nos maisons chauffées, à manger nos trois repas équilibrés. « Mais on n’est pas faits pour ça ! » Certes, avoir faim, froid, ou soif, ça fait peur, « mais on n’en meurt pas ! […] Ce n’est pas particulièrement désagréable ».

« Moi, ce qui me motive, c’est ce que je vois et ce que je ressens. »

— Joan Roch, ultramarathonien et auteur

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne vit pas ses moments de découragement comme tout le monde. Entre Cap-aux-Os et le mont Royal, par exemple, Joan Roch en a arraché. Solide. En témoigne ce passage où il se raconte, blotti en boule dans le coffre d’une voiture, littéralement immobilisé. Incapable d’avancer. « Mais j’ai plus de ressources que je croyais, réalise-t-il, avec ces dizaines et dizaines de milliers de kilomètres au compteur (combien, déjà, 50 000 ?). Et ça déteint sur toutes les facettes de ma vie. »

On y arrive enfin. L’ultramarathon, un mode de vie ? « Oui, parce qu’au-delà du sport, ça se passe dans la tête », dit celui qui résume sa philosophie ainsi : « L’important, c’est d’essayer. » Essayer cette course folle, mais pourquoi pas ce blogue, la photo, ou carrément ce projet de livre ? Oser se lancer dans l’inconnu. « Tout dans ma vie est devenu semblable à un ultra, écrit-il. Avoir une idée folle, se fixer un objectif lointain […], s’arrêter si nécessaire, repartir quand même et, un jour, arriver en retard, mais heureux. » Alors, c’est ça, le secret du bonheur ? « Je pense que oui, répond notre homme, sans trop hésiter. On n’est jamais aussi heureux que quand on arrive au bout de quelque chose qui a été difficile… »

L’art de s’adapter, se débrouiller, un système D qui a l’avantage de s’appliquer à une foule de domaines. La preuve : le lendemain de notre entretien, Joan Roch donnait une conférence sur le sujet… à des comptables !

Ultraordinaire 2 – Odyssée d’un coureur

Joan Roch

Éditions de l’Homme

248 pages

En librairie le 24 mars

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