Faire son chez-soi dans une église

C’est la plus grande, la plus haute et assurément la maison la plus originale du village de Les Coteaux, en Montérégie. Sa silhouette ne trompe pas, c’est une église. Mais on sait, parce qu’on est dans le secret des dieux, qu’elle n’en a plus la vocation. N’empêche que quand on y entre, on se plaît à chercher ses repères.

Attendez une minute… Oui, c’est ça : on dort dans le jubé, on fait sa toilette dans le narthex, on se sèche avec une serviette qui était rangée avec ses sœurs dans le confessionnal. On traverse la nef tranquillement ou au pas de course si on veut pomper son petit cœur, avant d’aller préparer son repas dans le chœur, pour ensuite déjeuner à l’autel. Après, si on a à sortir, on peut prendre le chemin le plus court, direction sacristie, ou revenir sur ses pas par la nef, pousser les grandes portes et aboutir sur le parvis. Voilà, on est forts en géographie, on a tout compris.

Potentiel

On se trouve ici dans l’ancienne église Saint-Médard, dans la région de Valleyfield, où, pendant plus d’un siècle, de saints offices ont été tenus. La baisse d’achalandage que toutes les églises catholiques ont connue a mené à la désacralisation de cette église construite en 1893, et à sa mise en vente, il y a une dizaine d’années. Séduit par sa beauté, son calme et son potentiel, un couple de Saint-Lazarre l’a achetée, en 2012, avant qu’elle ne soit mise aux enchères.

Le but de Simon Bergeron et d’Harmony Hubert était de transformer l’ancienne église en demeure, tout en conservant autant que possible son caractère original et patrimonial. Il n’était donc pas question de tout dénuder pour repartir entièrement à neuf, mais c’était un sacré projet quand même. Pour se donner une idée, il n’y a qu’à penser au fait qu’il n’y avait même pas de toilette dans l’église. L’unique point d’eau était un lavabo dans le coin de la sacristie. L’électricité et la plomberie, organes vitaux de tout édifice, étaient à faire ou à refaire. Il fallait aussi penser cuisine, chambres, salles de bains, salle de lavage, rangement… Où et comment placer tout ça pour rendre l’endroit habitable, agréable et fonctionnel ? Et cela en composant avec une surface habitable de 5600 pi2 et un plafond haut comme le ciel.

« On voulait garder l’espace ouvert afin de conserver l’esprit du bâtiment, conçu pour être un lieu de rassemblement. »

— Harmony Hubert

Mme Hubert et son conjoint, qui œuvraient dans le domaine de la cinématique analytique, ont conçu les plans de départ et les ont finalisés avec des experts. Plus de 30 entrepreneurs en différents domaines ont défilé dans la place pour apporter leur savoir-faire. Le gros œuvre a duré trois mois, estime Mme Hubert. Ça semble peu, mais la propriétaire signale que ça fourmillait de travailleurs et que les journées étaient longues. Le couple s’est lui-même beaucoup investi dans les travaux et on se doute bien qu’il devait rester quelques petites choses à faire par la suite. Quiconque a été propriétaire sait que ce n’est jamais fini, a fortiori s’il s’agit d’une maison ancienne.

Le défi de l’énergie

Ce n’est pas un secret, les églises coûtent cher à chauffer. Un des grands défis que les nouveaux propriétaires s’étaient donné était de réduire les coûts d’énergie. Pour ce faire, ils ont opté pour la géothermie, qui puise la chaleur du sol en hiver pour chauffer et la fraîcheur en été pour climatiser. Le couple estime avoir réduit les coûts d’au moins de moitié avec ce système.

Il est à noter que la géothermie contribue également à la distribution de l’eau chaude dans la demeure. Ici, les points d’eau sont situés aux deux extrémités du bâtiment : la salle de bains principale se trouve à l’avant, tandis que la cuisine, la salle d’eau et la salle de lavage se trouvent à l’arrière. Pour que ça ne prenne pas une éternité à avoir de l’eau chaude, trois réservoirs ont été installés au sous-sol. L’un d’eux contient de l’eau préalablement chauffée par géothermie et sa fonction est d’alimenter les deux autres.

Chambres cocons

Si le leitmotiv était de limiter les divisions, il en fallait tout de même pour assurer l’intimité des pièces plus personnelles, comme les salles de bains et les chambres. Dormir dans un très grand espace n’est pas l’idéal, estime Mme Hubert, qui préfère les chambres cocon. Le couple a donc choisi de bâtir la chambre de sa fille et la chambre principale à l’étage, dans le jubé. Les deux chambres sont séparées par un espace boudoir. C’est ici que la télé a été placée et une attention particulière a été portée à l’acoustique, afin de circonscrire le son.

Quand on entreprend un tel projet, il y a de grosses dépenses incontournables et d’autres qu’on peut réduire en faisant preuve d’ingéniosité, notamment en ayant recours à la récupération. L’escalier en fer forgé qui permet de monter à l’étage des chambres en est un bel exemple. Mme Hubert se souvient d’avoir beaucoup cherché pour trouver l’escalier avec la bonne inclinaison, la bonne hauteur et une fin de course qui ne finirait pas contre le mur, en bas. La perle rare a été trouvée sur Kijiji et provient d’un immeuble du Plateau Mont-Royal. Autre exemple de récupération : l’îlot de cuisine en bois massif a été réalisé avec des poutrelles qu’il a fallu enlever lors du réaménagement des lieux.

Jasons peinture, maintenant. Le bleu et le doré qui régnaient en maître ont fait place au blanc et au gris. Mme Hubert n’a pas fait le décompte du nombre de litres de peinture qu’il a fallu pour tout repeindre. Elle se souvient par contre qu’on a installé un échafaudage de six étages au milieu de la nef pour que les peintres puissent atteindre le plafond avec leur fusil à peinture. À cet endroit, le plafond fait plus de 40 pieds, alors que sur les côtés, il se limite à une vingtaine de pieds. Quand même !

Paix intérieure

Transformer une église en habitation, c’est un projet d’envergure, et y vivre est exaltant, selon Mme Hubert, qui relève sa luminosité, la paix et le silence qui l’imprègnent. « Quand on entre ici, c’est comme si les tracas du monde restaient à l’extérieur », résume-t-elle. Il faut dire que les fenêtres, aussi grandes et nombreuses qu’elles soient, sont placées à bonne distance du sol, de sorte que le regard se porte plutôt vers le ciel, lieu de toutes les promesses, dont celle de la vie éternelle…

Bon, mais pour l’instant, on n’est toujours que de simples mortels, ce qui nous ramène à des préoccupations bien terre à terre. Cette église transformée en demeure, elle est maintenant à vendre, car la vie a fait en sorte que les propriétaires vivent maintenant au Texas la plupart du temps. Ils y revenaient régulièrement, mais là, avec la COVID-19… Ils en demandent 880 000 $, somme à laquelle on doit ajouter les taxes, si on veut y tenir commerce, puisque le zonage a été changé et le permet maintenant.

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