Pensions de vieillesse

« Ça ne tourne pas rond » à Ottawa

Pierre Dorval avait tout prévu. À six mois de son 65e anniversaire, cet ingénieur de la région de Québec a envoyé tous ses documents aux gouvernements fédéral et provincial en vue de recevoir sa pension de retraite dès qu’il y aurait droit.

Il a reçu son premier versement de Québec le jour prévu, en septembre 2022. Il attend toujours son chèque d’Ottawa, après de nombreuses conversations téléphoniques, courriels et autres tentatives de communication infructueuses.

« On le voit avec l’immigration, avec les passeports, on le voit dans tout : on ne sait pas trop ce qui se passe au fédéral, mais on sait que ça ne tourne pas rond », dit calmement le nouveau retraité d’Energir.

La Presse a reçu beaucoup de messages de jeunes retraités qui dénoncent une situation similaire depuis la publication d’un article, la semaine dernière, sur la perte de contrôle du gouvernement fédéral dans des dossiers. Nous avons entre autres révélé qu’Ottawa n’avait aucune idée du nombre de ses employés qui pratiquent le télétravail.

Lisez « Télétravail et locaux vacants : Ottawa dans le néant »

Une autre lectrice déplore de n’avoir reçu aucun accusé de réception du fédéral, plus de trois mois après sa demande de pension de vieillesse. « Sommes-nous devenus un pays en voie de développement ? », lance-t-elle avec sarcasme.

58 % plus d’employés

Une chose est claire : les retards déplorés par de nombreux aînés ne sont certainement pas liés à un manque de fonctionnaires.

Le nombre d’employés de la Sécurité de la vieillesse est passé de 1142 en 2015-2016 à 1802 en 2021-2022, selon les données fournies par Emploi et développement social Canada (EDSC), le ministère responsable du dossier. Pendant la même période, le nombre annuel de nouvelles demandes de pension a reculé de 887 155 à 737 737.

Il y a donc 58 % plus d’employés qu’il y a six ans… qui traitent moins de nouvelles demandes de pension.

EDSC a été incapable de fournir le délai de traitement moyen des nouvelles demandes. Cette prestation est disponible à partir du premier mois suivant le 65e anniversaire, et les futurs prestataires peuvent faire leur demande jusqu’à 12 mois à l’avance. De nombreux aînés attendent avec impatience ces versements pouvant dépasser 600 $ par mois pour boucler leur budget.

« Les demandes sont traitées afin d’assurer qu’un maximum de nouveaux prestataires reçoivent leur paiement dès le premier mois de leur admissibilité, a indiqué une porte-parole d’EDSC par courriel. La norme de service est donc que les prestations de base soient versées au cours du premier mois d’admissibilité dans au moins 90 % des cas. »

EDSC a réussi à atteindre cette cible dans 89,5 % des cas l’an dernier. Cela signifie que près de 70 000 Canadiens ont subi des retards dans le versement de leurs premiers chèques.

L’image du fédéral écorchée

Cafouillage avec les passeports, retards dans les pensions, problèmes avec la PCU, explosion des délais dans le traitement des demandes d’accès à l’information : l’accumulation des ratés pourrait mettre à mal l’image du gouvernement fédéral, selon Étienne Charbonneau, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

« Quand des programmes de base comme ça ne sont pas réussis, avec des dossiers simples comme l’envoi de chèques aux retraités, comment allez-vous faire pour créer des programmes complexes comme l’assurance dentaire ? »

– Étienne Charbonneau, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique

« Ça ne donne pas nécessairement confiance aux gens », poursuit-il.

EDSC défend ses façons de faire. Le ministère affirme que les nouvelles demandes de pensions de la Sécurité de la vieillesse sont « priorisées de façon à ce que le plus grand nombre de personnes reçoivent leurs prestations dans le premier mois où ils deviennent admissibles ».

Le Réseau FADOQ, le plus grand organisme d’aînés au Canada, aura la situation à l’œil. « S’il s’avère que des services ne sont pas rendus aux citoyens et que certains sont sérieusement lésés, par exemple dans le cas d’un retard de traitement des demandes de Sécurité de la vieillesse lorsque tout a été fait dans les délais par le citoyen, il y a là une préoccupation certaine », a fait valoir son porte-parole Christian Labarre-Dufresne.

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