COVID-19

Des chercheurs remettent en question le « bien-fondé du confinement »

Une note publiée jeudi par l’Institut économique de Montréal (IEDM) suggérant que le Canada avait pris des mesures « trop drastiques » fondées sur une « mauvaise prévision » pour lutter contre la COVID-19 a fait vivement réagir tant les experts en santé publique que le premier ministre François Legault.

Dans leur publication, les chercheurs de l’IEDM remettent en question le « bien-fondé du confinement » en plaidant que les prévisions de décès dévoilées au mois de mars ne se sont pas avérées. Un exemple : alors que les scénarios les plus pessimistes prévoyaient jusqu’à 326 000 décès au Canada si on ne faisait rien contre la COVID-19, on en comptait plutôt 5169 au 12 mai dernier. Les chercheurs ont produit un tableau qui compare ainsi les prévisions et les décès réels pour plusieurs pays. L’écart important entre les prévisions et la réalité leur fait dire que le confinement a été décidé sur la base d’un modèle « défectueux ».

Cette analyse a été torpillée par les experts en santé publique.

« Quand on compare des prévisions d’un scénario sans intervention avec ce qui s’est passé avec des interventions, on compare des pommes et des oranges », tranche le Dr Marc Brisson, spécialiste de l’Université Laval, qui dirige notamment un groupe d’experts mandaté par l’Institut national de santé publique du Québec pour faire des prévisions sur la propagation de la COVID-19. Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, utilise exactement la même expression : « comparer des pommes avec des oranges ».

Les deux experts estiment que c’est justement grâce aux mesures de confinement que les chiffres réels n’ont pas atteint les sombres prévisions et qu’il est donc incorrect de les comparer. Ils soulignent aussi que ces prévisions concernaient toute la durée de l’épidémie, alors qu’on les compare avec des statistiques de décès qui s’arrêtent au mois de mai et qui continueront de grossir.

« Je peux vous garantir que si on n’avait pas eu les mesures de confinement, le nombre de décès aurait atteint des proportions astronomiques, ou en tout cas très graves, au Québec. » 

— Gaston De Serres, médecin épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec

Le Dr De Serres dit éprouver « beaucoup de malaise » par rapport à la note économique de l’Institut économique de Montréal.

« En anglais, on dit fallacies – des faussetés bien concoctées pour que ça ait l’air frappant », dit-il.

Un prévisionniste britannique au pilori

Les auteurs de l’IEDM s’en prennent particulièrement au professeur Neil Ferguson, de l’Imperial College London. À la mi-mars, le professeur Ferguson et son groupe ont publié un rapport qui affirmait que la COVID-19 pourrait faire jusqu’à 510 000 morts au Royaume-Uni et 2,2 millions aux États-Unis si rien n’était fait. Ce rapport, à l’époque, avait eu un fort impact. Ces prévisions sont aujourd’hui jugées « excessives » par l’IEDM.

Benoît Mâsse, de l’Université de Montréal, estime que l’équipe de l’Imperial College est l’une des meilleures au monde et rappelle qu’elle travaillait avec les données de l’époque, qui comportaient de grandes incertitudes. Les prévisions comportaient d’ailleurs une large marge d’incertitude.

« Il y a eu des validations de ce modèle, dit-il aussi. Chaque pays et chaque province a fait ses propres projections. Aucun gouvernement n’a sauté là-dedans [le confinement] seulement en regardant les modèles de l’Imperial College », dit-il.

Notons pour l’histoire que Neil Ferguson a cessé de jouer un rôle-conseil auprès du gouvernement britannique après qu’il eut admis avoir lui-même violé les règles de confinement en invitant une femme avec qui il avait une liaison chez lui.

Interpellé au sujet de la note économique de l’IEDM en point de presse, jeudi, le premier ministre François Legault a aussi défendu la décision du confinement.

« Je suis en désaccord avec l’idée que le confinement était une réaction excessive. […] Je pense qu’il était important qu’on mette toutes les chances de notre côté pour ne pas trop propager le virus, et la meilleure façon était de fermer les entreprises. Je pense qu’il s’agissait de la bonne décision », a dit M. Legault, en anglais.

« Toujours plus intelligent après coup »

« Notre objectif n’est pas de critiquer la prise de décision, parce qu’on est toujours plus intelligent après coup », précise à La Presse Gaël Campan, économiste à l’IEDM et l’un des auteurs de l’étude. M. Campan dit plutôt vouloir orienter la façon dont les décisions se prendront à l’avenir et explique que la note publiée visait simplement à montrer que d’autres choix étaient possibles.

« On a pris nos décisions sur la base de prévisions catastrophistes, estime-t-il. Or, le choix n’était pas entre le confinement généralisé et ne rien faire. Il y a un tas de dispositifs intermédiaires qui existaient – le testage systématique, le port du masque, l’isolement de populations cibles. Ces dispositifs ont été expérimentés par différents pays, comme la Suède, le Japon, la Corée du Sud et Taiwan, et aboutissent à différents résultats qu’on se doit aujourd’hui d’examiner. »

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