D’autres vies que la sienne

Jean-Simon DesRochers (Le sablier des solitudes) a l’habitude des récits où il entrecroise des dizaines de vies. Il hausse son art de plusieurs crans avec Le monde se repliera sur toi, où il met en scène plus d’une centaine de personnages dans un roman habile et touchant qui tient en moins de 250 pages. Son roman, composé de trois « ensembles » de courts récits qui se déroulent sur une période de trois mois, fait trois fois le tour du monde. Sa structure narrative évoque la course à relais : on rencontre d’abord Noémie, interprète minée par une récente séparation, avant de suivre sa fille Clio, qui lui mène une guéguerre de tranchées, puis l’un de ses camarades de classe, leur enseignante, et ainsi de suite. Les tranches de vie s’enchaînent les unes aux autres, reliées par des contacts intimes ou des rencontres fortuites, des déplacements en avion, des communications intercontinentales, etc. Il y a des personnages qu’on ne croise qu’une fois, d’autres qui reviennent, et l’écrivain n’a toujours besoin que de quatre ou cinq pages pour dresser un condensé de la vie de chacun d’eux, qu’il s’agisse d’un hockeyeur finlandais qui s’ennuie à Montréal ou d’une vendeuse chinoise qui aime secrètement les femmes. En arrière-plan, des attentats perpétrés par un groupe terroriste déterminé à provoquer un éveil de conscience ajoutent une touche de suspense, jusqu’à ce que l’on découvre que l’un des personnages sera recruté pour faire sauter une bombe lors d’une conférence à Montréal. Et que la déflagration affectera d’autres vies qu’on a croisées dans le roman. Sur le plan narratif, Le monde se repliera sur toi est un tour de force. Qui trouve son sens dans l’empathie de l’écrivain pour ces vies faites de fragilités mal cachées, de solitude, de petits bonheurs et d’autant de lâchetés qui composent une épatante radiographie du monde et une mosaïque humaine où, au fond, chacun ne cherche qu’un peu de chaleur à se mettre dans le cœur.

— Alexandre Vigneault, La Presse

Le monde se repliera sur toi

Jean-Simon DesRochers

Éditions du Boréal

256 pages

8,5/10

Un roman aérien et lumineux

« La vie est semblable à une bougie. Elle ne peut allumer ou souffler sa flamme elle-même », écrit Ogawa Ito. Quand un pensionnaire s’éteint à la Maison du Lion, on allume une bougie à l’entrée des lieux. C’est dans cette maison de fin de vie que se rend Shizuku, une femme à qui il ne reste plus que quelques mois à vivre. L’île où se situe la résidence, dans la mer intérieure de Seto, au Japon, est d’une grande beauté ; c’est un lieu enchanteur, quasi merveilleux, que nous fait découvrir par la magie des mots l’autrice de La papeterie Tsubaki. Tous les dimanches, on sert un goûter spécial aux résidants pour les replonger dans leurs plus beaux souvenirs. Shizuku, elle, y apprend à faire la paix avec son passé, à accepter sa mort prochaine et à apprécier ses derniers instants de vie en changeant sa façon d’entrevoir les choses, pour que son dernier voyage soit paisible. Malgré la présence de la Faucheuse tout au long du récit, c’est un roman poétique qui se dévoile au fil des pages, aérien et apaisant, aussi lumineux que l’univers de l’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir. Et on le savoure comme un dessert onctueux qui serait servi sur la porcelaine la plus fine, pour nous rappeler que le bonheur réside souvent dans les plaisirs les plus simples.

— Laila Maalouf, La Presse

Le goûter du lion

Ogawa Ito (traduit du japonais par Déborah Pierret-Watanabe)

Éditions Picquier

272 pages

8,5/10

Werber entre la foule et l’individu

L’une est autophobe et irlandaise, l’autre anthropophobe, écossaise… et sapio-sexuelle. Leur affrontement sur près d’un siècle va susciter quelques-uns des évènements marquants du tournant du millénaire, notamment les attentats du 11 septembre 2001. Dans son dernier roman, Bernard Werber se lance dans une surenchère philosoco-érudite avec deux personnages inédits de femmes fortes, presque surhumaines. Le didactisme qui le caractérise retrouve toute la fraîcheur des Fourmis, la série qui l’a lancé il y a 30 ans. On apprend notamment qu’au Ve siècle, deux reines des Francs, Brunehaut et Frédégonde, se vouaient une haine implacable, par maris interposés. Que grégaire a un cousin, égrégore, qui peut faire référence à l’esprit d’équipe. Et bien évidemment que les anthropophobes ont peur du contact rapproché d’autrui et les autophobes, d’être seuls, ou que les sapio-sexuels sont séduits par l’intelligence. Il y a bien quelques couacs, échos de ses lubies parfois agaçantes. Par exemple, la conviction que contrairement à ce que prétendent les démographes, la population mondiale ne connaîtra pas de pic sous les 10 milliards, notamment parce que la Chine ment et n’est pas victime de dénatalité. Autre bémol, des extraits des Encyclopédies du savoir relatif et absolu de Werber étayent avec plus ou moins de bonheur certains concepts. On retrouve tout de même avec grande joie le romancier français à l’exploration impressionniste de concepts intellectuels qui le fascinent parce qu’ils sont enracinés dans son expérience personnelle – la peur de la foule et la fascination qu’elle inspire, le mépris des plus bêtes. Ses séries pèchent parfois par leur ton moralisateur, comme la fable écologiste entourant les abeilles.

— Mathieu Perreault, La Presse

La diagonale des reines

Berhard Werber

Albin Michel

459 pages

7,5/10

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